Le 11 juin 2016, à 0h49 très précisément, la terre a tremblé à La Réunion. Mais pour une fois, cette activité sismique un peu exceptionnelle n’était pas le fruit des caprices de Dame Fournaise, mais plutôt de ceux d’un gamin aux pieds d’or : Dimitri Payet. À Leicester, un mois plus tôt, les sismologues britanniques avait enregistré un micro-séisme au moment où les « Foxes » inscrivaient le but du titre le plus improbable de l’histoire de la Premier League. Incroyable mais vrai, à la 89e minute du match, un tremblement de terre d’une magnitude de 0,3 sur l ‘échelle de Richter avait secoué les environs du King Power Stadium ! Il s’est certainement produit le même épi-phénomène sur l’île-volcan au début de l’Euro.

C’est d’ailleurs également à cette minute bien précise que Payet est passé du statut de star à celui de demi-Dieu sur le caillou. Lors de ce duel inaugural face à la Roumanie, Giroud s’est chargé d’ouvrir le compteur pour les Bleus. Mais après l’égalisation de Stancu (65e), c’est une deuxième rencontre à l’air vicié qui débute au Stade de France. Dans la rue de Nice, à Saint-Denis, où un écran géant a été dressé pour l’occasion, les visages se crispent et les chichas scintillent dans la nuit. Avec des Roumains qui se jettent sur tous les ballons, la fin du match est irrespirable. À deux pas du carré cathédrale, un silence du même nom s’empare des lieux.

Mais à une minute de la fin du temps réglementaire, alors que l’artère dionysienne ressemble plus à un colloque de dépressifs anonymes qu’au club-house du Botafogo un soir de carnaval, Coman sert Kanté côté droit, qui glisse le ballon au no8 tricolore à l’entrée de la surface. Contrôle orienté et missile des 25m en pleine lucarne, « Dieu-mitri » absout la France d’un bijou du gauche à montrer dans toutes les écoles, faisant basculer une île toute entière dans la démence (2-1). À deux pas du Barachois, l’heure est aux embrassades et les «gout a nou » de sortie. Il n’y a plus de « zoreys », de « kafs » ou de « malbars » qui tiennent. Juste un peuple uni derrière son nouveau « Lider Maximo ». La scène rappelle à s’y méprendre celles dont on se sentait encore nostalgique, remontant à presque vingt ans en arrière, lorsque « Zizou » et la génération « black-blanc-beur » s’en étaient allés décrocher l’étoile dans cette même enceinte face au Brésil, en finale du Mondial 98.

Du rire aux larmes…

Trois minutes plus tard, la foule est encore en pleine communion au moment ou Dimitri Payet cède sa place à Sissoko sur la pelouse d’un « SDF » tout aussi chamboulé. Au moment de quitter le carré vert, le « marmay » de Saint-Philippe laisse échapper quelques larmes . Une subite émotion qui a le don de générer une onde lacrymale des plus contagieuses dans l’assistance. Cela faisait un moment que le public 974 n’avait pas vibré à l’unisson comme ça. À vrai dire, ça n’était encore jamais arrivé avec une telle intensité. En un centième de seconde, en termes de popularité, « King Payet » vient de reléguer aux oubliettes les giga-stars du ballon que sont Jackson Richardson, Daniel Narcisse ou encore son homologue, Guillaume Hoarau.

La rue de Nice ne désemplira plus. Jusqu’à la fin de la compétition, les superstitieux, déjà présents contre la Roumanie, ne rateront pour rien au monde les représentations à venir. Et ceux qui avaient choisi de toiser l’Euro, pour cette entrée en matière relevant du rêve éveillé, réviseront rapidement leur jugement. Cinq jours plus tard, il seront d’ailleurs deux fois plus nombreux à venir encourager la bande à Deschamps face à l’Albanie. Au stade Vélodrome, sans savoir qu’il viendra s’y installer quelques mois plus tard, Payet régale encore en inscrivant le but du KO dans les arrêts de jeu (2-0). Nouvelle tournée générale au comptoir de Bourbon. La France est en huitièmes.

Désormais habitués au caviar, les supporteurs réunionnais vivront une deuxième partie d’Euro un peu moins opulente alors que Griezman prend le relais en attaque. En boutiques, les maillot floqués des numéros 7 et 8 s’arrachent comme des petits pains. Face à l’Irlande en 8es (2-0), puis à l’Islande en quarts (5-2), les deux héros font encore un peu plus chavirer le cœur de la nation lors de bisous échangés par souliers interposés, pour ce qui restera comme l’une des images fortes de ce championnat d’Europe à la maison. En demie, les Bleus terrassent la bête noire allemande (2-0), s’ouvrant en grand les portes de la finale. Face au Portugal, en ce dimanche 10 juillet 2016, le Barachois sera noir de monde. C’est une certitude.

Dans le chef-lieu, les écrans géants ont fleuri tel le chiendent. Au beau milieu de cette foule compacte, massée à portée de canons, les fidèles se mêlent aux curieux. Mais néophytes comme spécialistes, ils partagent tous le même avis : la France va s’imposer, sûrement grâce à un but de… Dimitri Payet. On l’aurait deviné. Dès la 8e minute, le « serial-buteur » des Hammers se fait remarquer dans un registre inhabituel en infligeant un tacle – viril mais correct – à la terreur absolue du onze portugais, Cristiano Ronaldo. Touché au genou, celui qui porte à bout de pieds les espoirs du peuple lusitanien depuis le début de la compétition, quitte le pré parisien en larmes au bout de 25 minutes. Cette fois-ci, c’est certain, les Bleus ne peuvent plus perdre.

Mais au fur et à mesure que les minutes s’égrènent, le stress, qui s’était totalement évaporé depuis la sortie sur civière de « CR7 », refait surface. Peu en vue lors de cette finale européenne, « Super Payet », remplacé par Coman, quitte à son tour le théâtre des rêves à la 58e minute de jeu. Au Barachois, le soufflé retombe brusquement. Sans son porte-bonheur sur le gazon, l’inimaginable redevient pensable. Les clopes se consument, les ongles trépassent et les optimistes le sont déjà beaucoup moins. En prolongations, Gignac fait courir un ultime frisson positif dans l’assistance en ratant la consécration d’un quart de crampon. La balle de match ricoche sur le poteau. Et à dix minutes de la fin, le destin bascule. Eder plombe définitivement le peu d’ambiance qu’il restait en trompant Lloris des 25m (0-1). Les mouches volent au dessus d’une foule abasourdie. Ce ne sont plus des larmes de joie qui inondent les visages. La peine est bien réelle. Seul le football a cette capacité de vous faire passer du septième ciel à la cave en un éclair. Mais Dimitri peut garder le front haut. Il aura fait un grand Euro.

Etienne GRONDIN

 

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