Leïla Lejeune a « raccroché » après plus de trente ans passés sur les terrains de handball. L’arrière internationale revient sur une carrière bien remplie et se projette vers les jeunes qu’elle encadre à Saint-Denis.

Le regard est franc et direct, les yeux vous percent, les mots arrivent, parcimonieux. « Je ne suis pas une personne expansive. Je garde toujours une distance, au moins au début. On me dit que je suis hautaine mais quand on me connaît mieux, cette façade tombe. » Leïla Lejeune est comme ça, sur la défensive – n’évolue-t-elle pas au poste d’arrière, comme un clin d’œil – puis prolixe, presqu’enjouée lorsqu’elle revient sur son parcours, les 183 sélections en équipe de France de handball assorties de 763 buts, ses sept titres de championne de France avec l’ASPTT Metz, les sacres, championne du monde 2003 – elle a été meilleure arrière gauche au Mondial 2001 -, championne de France N1, N2 et un premier titre du HBF Saint-Denis, cerise sur la gâteau d’une carrière entamée il y a plus de 30 ans au Port. Elle s’appelait alors Leïla Duchemann…

La boucle locale a été bouclée vendredi 24 mai 2018, avec le trophée Sôlpâk, avant un dernier déplacement en métropole face aux formations ultra-marines et métropolitaines. Une ultime compétition qui lui rappelle de beaux souvenirs avec Saint-Pierre, le titre de championne de France N1 à la clé. « C’était la première année que la fédération décentralisait les finalités, se remémore Leïla. A Vannes, j’ai retrouvé d’anciennes joueuses de l’équipe de France comme Gaëlle Piatti et également une joueuse qui avait évolué à Saint-Louis. L’ambiance était très créole et on avait une super équipe, avec Stéphanie [Ludwig] et Nodjialem [Myaro]. C’était la fête du hand et surtout le hand féminin réunionnais avait été à l’honneur, ce qui n’arrive pas souvent. C’était exceptionnel. »

Une saison sur le banc à « observer les connexions entre joueuses »

Les meilleures années de la Portoise se situent pourtant de l’autre côté de la métropole, à Metz où elle débarque en août 1994, sur les conseils d’Olivier Krumbholz, coach d’une équipe de France où elle a déjà ses marques, et entraîneur d’une équipe lorraine, genèse de l’ogre actuel. Ses sélections nationales n’ont pas été un passe-droit. « Je suis restée une saison sur le banc, raconte Leïla, pas du tout amère. La base arrière titulaire était bien rodée. Mon rôle de remplaçante m’a été très utile, j’ai pu observer le jeu, les joueuses et, le plus important, les connexions entre les joueuses. Et lorsque mon tour est venue à la suite d’une blessure de la titulaire, j’ai senti comment il fallait jouer avec Isabelle [Wendling] et on est devenues complémentaires. C’était gagné. »

De cette saison passée dans l’ombre du « sept majeur » messin, Leïla en a tiré une expérience qui l’a servie durant toute sa carrière : « Le côté psychologique, les différentes manières d’aborder ses partenaires, c’est essentiel. Et on devrait se servir de cette expérience pour conseiller des jeunes joueuses de l’île qui partent en métropole tenter l’aventure. La concurrence est féroce là-bas, maintenant que le hand féminin français a obtenu ses lettres de noblesse. »

La période messine reste à jamais gravée dans sa mémoire. La jeune Leïla y a mûri, comme murissent au mois d’août les mirabelles – « je débarquais, je ne connaissais que le letchi ou la mangue, jamais je n’aurais imaginé qu’un petit fruit jaune puisse être aussi bon ! » –, s’est forgé un palmarès et trouvé un mari, Laurent, Picard de naissance. Elle a connu les demi-finales de Champions’ League puis a mis le cap sur le Danemark, à Viborg, entre deux jeux Olympiques. « Je n’étais pas saturée mais cette vie commençait à me peser. Mon mari, kiné, voulait revenir à La Réunion. Moi, je ne m’y voyais pas trop mais je voulais aussi fonder une famille. Je n’aime pas rester inactive. Aussi, quand la proposition de Patrick Candassamy à Saint-Pierre s’est présentée, je l’ai saisie. » Nous sommes en 2006. Deux ans plus tard, c’est la consécration avec la « dream team » d’ex-internationales à Vannes, une aventure qui trouve son prolongement à la Cressonnière, toujours avec Stéphanie Ludwig comme complice. « La naissance de ma fille [Jeanne, 13 ans maintenant], la venue des copines, ça a été un beau prolongement à ma carrière internationale. Et avec le premier titre du HBF [ndlr : 2018], on a vécu avec les filles une année formidable malgré l’adversité. »

Etre avec les enfants, « c’est plus sain »

Cette année 2018 qui s’est achevée en apothéose pour l’ex-joueuse, désormais éducatrice. Leïla Lejeune intervient en effet depuis plus de trois ans dans les écoles primaires dionysiennes et encadre des jeunes en club. « Côtoyer les jeunes, c’est plus sain. Avec eux, j’insiste par exemple sur l’égalité entre les garçons et les filles. Les marmailles sont plus francs et directs que les adultes. J’ai l’habitude, j’ai quasiment élevé mon plus jeune frère, Jean Alain. Et quand il faut les recadrer, on arrive toujours à leur faire sentir qu’ils doivent rectifier le tir. »

Pourtant, les choses ont bien changé en vingt ans, Leïla est la première à pointer du doigt cette génération 2.0, « qui pense que tout est facile dans la vie, que zapper sur une tablette permet d’obtenir tout ce qu’on veut ». « De mon temps, les infos étaient plus rares, nous n’avions pas l’occasion de voir évoluer des filles au très haut niveau. Lorsque l’équipe de France féminine est venue jouer au Port, j’ai tout de suite su à qui je voulais ressembler. J’avais mon idole, ma voie était tracée. Maintenant, tu peux te croire champion en cliquant sur un bouton. C’est difficile de faire comprendre aux jeunes que le sport véhicule d’autres valeurs, comme le respect, la modestie – mon père m’a éduquée en me disant : protège-toi, observe – ou la ténacité et la rigueur. »

Il ne faut pas croire que Leïla Lejeune a connu une trajectoire rectiligne qui l’a propulsée au firmament du hand mondial. Son parcours est fait de sinusoïdes, marqué par les blessures et le sort contraire. Deux ruptures du tendon d’Achille, à six mois d’intervalle et à quelques mois d’un mondial, une opération du ménisque sans parler de la luxation du coude. « C’est le lot de tout sportif de haut niveau, admet-elle. Ça rend plus fort. Je n’y serai jamais arrivée sans l’aide de Laurent, notamment à la suite de la rechute au tendon d’Achille, après avoir glissé à Capbreton durant ma rééducation. J’avais envie de tout arrêter. Mais au final, ça m’a fait grandir. »

Au point que le « cygne noir » – surnom donnée par ses coéquipières messines – a su rebondir de toutes les chausse-trapes que la vie lui a réservées. « Je pars du principe que rien n’arrive au hasard. Que tout a une signification. Je suis très superstitieuse. A Metz, mes coéquipières me demandaient toujours : « Leï, t’as rien oublié aujourd’hui ? » Il m’est arrivé d’oublier mes chaussures avant un match par exemple. Et elles étaient contentes parce qu’elles savaient que j’allais sortir un gros match. [rires] »

Désormais, Leïla Lejeune entame une autre existence, encore plus secrète, plus anonyme. « Ça ne me gêne pas. Je n’ai jamais été à l’avant de l’affiche. J’ai toujours pratiqué mon sport pour m’éclater et me suis toujours protégée de la notoriété pour ne pas tomber de haut. Chacun son truc. J’ai toujours été « cash ». Je n’arrive pas à jour un rôle. » Mais elle est une vraie actrice de sa vie…

Texte: Jean Baptiste Cadet
Photo: Pierre Marchal
43 ans, 183 sélections en équipe de France, mariée à Laurent, 2 filles, Jeanne et Ambre

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