Gilberte Libel ne fait pas tant de courses que ça. Mais elle en gagne énormément. Le destin d’une Mafataise éprise de liberté, qui, à 40 ans, ne poursuit qu’un seul but : progresser. Et progresser encore…

Si un jour vous avez la chance de rencontrer Gilberte Libel, ne tombez pas dans le panneau de la flatterie. Ça ne marchera pas. La Mafataise sait d’où elle vient. Et surtout où elle va. « Je suis modeste. C’est dans ma nature », se hâte-t-elle de préciser. Son curriculum vitae sur les sentiers aurait pourtant de quoi faire tourner bien des têtes. Mais la sienne est solidement vissée sur ses deux épaules. Le tout, soutenu par des jambes en titane. Des jambes interminables qui ont rapidement appris, à leurs dépens, l’exigence de la course en montagne, à laquelle elle s’adonne naturellement depuis son plus jeune âge, dans les parages d’Îlet-à-Malheur. Une enfance passée dans l’écrin sauvage de Mafate qu’elle n’échangerait « pour rien au monde ».
En 2012, après avoir épinglé le premier dossard du reste de sa vie sur le Trail des Anglais, grâce aux encouragemens insistants des assistants sociaux du cirque le plus réculé de l’île, Gilberte va vivre une sorte de bizutage des cimes, quelques semaines plus tard sur le Trail du Colorado. « J’avais mal au genou », se rappelle-t-elle en évoquant le fameux « syndrome de l’essuie-glace », qu’elle a appris à domestiquer avec le temps, mais dont elle souffre toujours aujourd’hui.
Sur l’épreuve chère à Lucien Bois, l’aspirante traileuse se classe 186e au scratch. La pire place qu’elle a jamais enregistrée à ce jour. Mais elle apprend beaucoup. « Ça m’a appris à endurer la douleur notamment », dit-elle. Et puis, comme elle aime à le rappeler inlassablement, Gilberte Libel ne court pas contre des adversaires, elle court contre elle-même avant tout. « Pour moi, je n’ai jamais été en compétition. Je veux faire des courses pour voir où sont mes limites », affirme l’électron libre des sentiers.

Reine de Bourbon

Portant encore les stigmates du Colorado, c’est « surstrappée » au niveau des jointures qu’elle se présente à l’assaut de son premier Trail de Bourbon, lors de cette même année 2012. Un cent-bornes escarpé, faisant la part belle au cirque de son cœur, qui semble donc taillé pour elle. Mais ça, elle ne le sait pas encore. « Je n’avais jamais couru une telle distance. C’était une grande première pour moi. Et je ne savais pas très bien comment le prendre », avoue celle qui se classera pourtant 7e féminine, dès son premier essai. La belle idylle avec le prince de Bourbon ne fait que commencer. Deux ans plus tard, après avoir entre-temps épinglé sa première étoile sur le Trail du Grand Ouest, la résidente d’Îlet-à-Bourse monte une première fois sur le podium du TdB, juste derrière Estelle Carret. Et finit par s’installer durablement au sommet lors des deux éditions suivantes (2015, 2016). Une Bourbonnaise est née.
Mais l’ascension n’est pas terminée. Comme bon nombre d’ultra-mordus sur le caillou, une épreuve en particulier fait léviter Libel et ses deux L. Un événement que toute une île attend, chaque année que Dieu fait, depuis presque trois décennies : le Grand Raid. « Je savais que c’était une course très difficile et je ne m’en pensais pas capable », confesse Gilberte. D’autant que pour son baptême en diagonale, en octobre 2017, tout ne se passe pas comme prévu. « J’avais mal au ventre. Je n’arrivais pas à m’alimenter », raconte-t-elle. Et pour en rien arranger, sur la descente du Taïbit, en plein cœur du GRR, les essuie-glaces refont surface et elle doit mettre le clignotant. « Aïe, aïe, aïe ! J’étais inquiète », avoue-t-elle.

Le Raid en héritage

A cet instant précis, deux personnes en particulier vont la sortir de l’ornière. En premier lieu, Geneviève, sa fidèle ostéopathe, qui lui rafistole le genou autant que faire se peut, afin de lui permettre d’entrevoir la Redoute. Mais aussi une certaine Marcelle Puy, avec qui elle joue au yo-yo depuis de la départ de Ravine Blanche et qui lui sert de phare dans la nuit. « Marcelle, elle ne baisse jamais les bras », affirme sa digne héritière. Il n’est donc pas question que Gilberte abandonne, elle qui n’a jamais abandonné de sa vie. En serrant les dents, elle passe les portes de la délivrance dans le Top 40 au scratch, héritant de la 4e place chez les féminines en 31h17, à une vingtaine de minutes derrière la Reine Marcelle. Et à plusieurs heures d’Andrea Huser et Emilie Lecomte, deux références planétaires en matière d’Ultra. Une performance qui vaut toutes les victoires du monde.
L’année suivante, la « raidiciviste » retente sa chance. Plus aguerrie cette fois-ci, après s’être imposée sur le Raid 97.4 et avoir exporté son talent dans les Alpes, en se classant seconde de l’Echappée Belle, la lauréate de la Transmartinique 2016 ne s’élance plus dans l’inconnu. Et son allure s’en ressent. Gilberte Libel se classe de nouveau 4e féminine, mais première Réunionnaise et surtout 25e au scratch, gagnant presque une heure (30h31) sur son précédent chrono. « L’important, c’est que j’ai amélioré mon temps, retient la raideuse. Ça me donne envie de progresser. Encore et encore… »
Cette notion de progression est LE carburant qui alimente son moteur. Bien trop modeste pour déclamer qu’elle a les moyens de remporter le Grand Raid, la pépite mafataise se contente d’affirmer qu’elle peut encore améliorer son temps. « Faire 29 heures, ce serait bien », dit-elle. Sur le GRR, la victoire est probablement à ce prix. Si elle n’est pas encore certaine de s’engager en 2019, alors ce sera pour 2020… Ce qui est certain, c’est que l’histoire qui lie Mamzel Libel à Dame Diagonale est loin d’être terminée.

Texte: Etienne Grondin
Photo: Luc Ollivier

 

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