Georges, Jean-Pierre et François Chan Liat sont trois frères experts d’une même branche : celle d’un karaté traditionnel qui voit plus loin que la compétition sur le tatami.

Quelle mouche a bien pu piquer la fratrie Chan Liat, installée à l’époque rue Pasteur à Saint-Denis, face au cinéma Plaza, un beau soir de 1967 ? Pas grand-chose, sinon l’irrépressible besoin d’étancher une petite soif au domicile familial à l’entracte d’un film. Mais, à l’époque, une fois qu’on rentrait dans une salle obscure, on n’y sortait pas, les grilles extérieures étaient baissées, et on consommait à l’extérieur. « Ça n’a pas plu aux gars qui gardaient le cinéma », raconte Georges Chan Liat, tout gamin à l’époque. « Quand on a voulu rentrer, il y a eu une explication musclée », élude-t-il dans un doux euphémisme.

Tout a donc débuté par une bagarre devant le Plaza. Par « tout », entendez par là l’amour immodéré de la famille Chan Liat pour le karaté. « Jean-Claude, notre aîné, était le seul adulte. Il avait un solide bagage de catcheur, l’un des sports rois de l’époque. Mon père, Louis, a décidé de nous mettre à l’épreuve et c’est comme ça qu’on a tous pratiqué le karaté. »

Sur la terrasse de la maison familiale

Les six frères et la sœur ne mouftent pas. Ils obéissent à la consigne du patriarche et se documentent. « On est tombé sur un livre de maître Oyama, le fondateur du karaté kyokushin, poursuit François Chan Liat. Car à La Réunion le karaté n’existait pas ou quasiment pas. M. K’Bidi donnait quelques leçons au Dojo dionysien. Nous, on s’entraînait dans la cour de la maison familiale, sur la terrasse. »

Jean-Claude rentre de métropole début 1973. Une opportunité se présente dans le quartier Saint-Jacques où les ecclésiastiques cèdent un local désaffecté. Le Real Saint-Jacques naît en 1974 et accueille en son sein toutes les composantes de la société réunionnaise. « Aucune ségrégation, confirme Jean-Pierre. On y enseignait avec Jean-Claude, qui avait passé ses diplômes, un karaté traditionnel. » Jean-Pierre poursuit l’aventure en ouvrant en 1980 le Kempo Club Réunion dans la salle S du gymnase Champ-Fleuri, François s’installe à Sainte-Clotilde, rue de Lattre-de-Tassigny.

Les graines sont semées, les champions nationaux et internationaux, pas seulement au sein de la famille Chan Liat, éclosent. A l’extérieur aussi. Georges est champion du Languedoc, champion de France universitaire, arbitre national, responsable de l’arbitrage au sein de la ligue longtemps dirigée par Jean-Claude. Les Jeux des îles 1998, la coupe des Dom-Tom 2001 tombent également dans l’escarcelle familiale.

Frapper juste et savoir pourquoi je frappe

Mais les titres, nationaux, internationaux ou régionaux, ne comptent que pour une part du cursus sportif et personnel de la troupe. « Le karaté est un art, aime à souligner François. Il demande une précision extrême, je dirai presque, pour ma part, une maniaquerie permanente. C’est faire le bon mouvement au bon moment. Apprendre le karaté, c’est refuser d’être figé, accepter d’évoluer et de s’adapter. » A tel point que les trois frères ont trouvé une voie différente à celle, « officielle », qu’empruntent habituellement les karatékas péi. Ils se sont affiliés à la FEKAMT (fédération européenne de karaté et des arts martiaux traditionnels), tout en conservant leur licence à la FFKDA (fédération française de karaté-dô et disciplines associées). Gilbert Gruss, aujourd’hui décédé, et Gérard Garson en sont les fondateurs avec pour devise : « développement personnel, plutôt que médailles et podium, ni dogme, ni stéréotype mais un code moral et vertueux. »

Jean-Pierre Chan Liat précise : « C’est une forme de karaté non compétitive, qui ne cultive pas la championnite et fait la part belle au développement personnel. C’est le coup juste, certes, mais asséné avec précision, puissance et surtout dans un but précis. Je frappe, et je sais pourquoi je frappe parce que je rentre dans la tête de mon adversaire. » Georges a poussé cette quête en se tournant vers les techniques énergétiques. Après avoir exercé plusieurs métiers, il trouve sa voie, à la suite de stages et de diplômes validés par les plus hautes instances chinoises, vers la digitopuncture. Et de démontrer : « Comment, en vieillissant, peut-on devenir plus fort ? Ma quête, ça a été de trouver cette force interne, cette énergie. Et je pense que je l’ai trouvée par l’étude et la maîtrise des points vitaux. »

Bon sang ne saurait mentir

Former des pratiquants acquis à ce karaté 100 % efficace guide les trois frères. Ils ont amené leurs fils à cette recherche permanente. Brandon, fils de Georges, est vice-champion du monde Wuko katas chez les juniors, deux fois champion de France à la fois en karaté et en tir au pistolet – « le tir ressemble au karaté, abonde Georges, car il requiert une parfaite maîtrise » – tandis que Christophe, fils de François, est champion du monde Wuko senior en kata et champion de France. Sans oublier Laurent, peut-être le plus connu, car il tâte du sambo et du MMA après avoir été 3e à la coupe du monde de shi to ryu à Paris et double médaillé d’or de karaté aux Jeux des îles en moins de 80 kg.

« Ils adhèrent à la tradition, confirme François. Cette tradition, c’est aussi pratiquer toute sa vie, c’est de trouver ces sensations qui vous permettront de posséder cette longévité qui fait souvent envie. Parce que le karaté, c’est aller plus loin qu’un simple mouvement, c’est rechercher cette profondeur, cette connaissance qui vous fait progresser. » Mais n’allez pas croire que ces experts – François est 8e dan et fait partie du collège d’experts nommé à la suite du décès de Gilbert Gruss, ses frères sont également haut-gradés dans la hiérarchie de la FEKAMT – ont font des puits de science intouchables. « On ne sait pas tout, renchérit Georges. Au contraire. On sait un petit bout de la connaissance. Par exemple, je peux maîtriser parfaitement deux ou trois mouvements. Mais que sont-ils au milieu de la centaine d’autres ? Rien ! L’essentiel est de se sentir bien parce qu’on n’est jamais arrivé. »

Soudés « grâce au karaté », la fratrie a évidemment grandi dans la vie professionnelle. François est directeur général de la société Adelis où Jean-Pierre en est le directeur technique tout en conduisant aux destinées du Kempo Club Saint-Denis. Georges possède un cabinet de digitopuncture, discipline également étudiée avec brio par deux fils, Fabrice et Brandon. « Le karaté se pratique toute la vie, termine Georges. Quelquefois on le met entre parenthèses, car la vie est ainsi faite. Mais il revient, tôt ou tard, et se rappelle à votre bon souvenir. » En kimono, cela va de soi…

Laurent : « C’est un état d’esprit »

Fabrice, Brandon, Laurent et les autres… Les « fils de… » sont bien présents dans la saga Chan  Liat. Laurent, titré en karaté mais aussi en sambo, témoigne :

« Le karaté est une discipline plus calme, qui s’inscrit dans la réflexion. C’est un art martial, alors que le sambo est un sport de combat qui mise avant tout sur l’efficacité. Le côté esthétique du karaté permet de le pratiquer plus longtemps. C’est un état d’esprit.

« Je ne suis pas actuellement en recherche de compétition, mais je tiens à valider mes acquis, mes compétences à travers un enseignement. Pour l’instant, le sambo me va très bien.

« Mais il est évident que, pour la famille, le karaté est ce qui lie toutes les générations. Ce lien est indéfectible. Si je mets mon kimono, ça me rattache immanquablement à la famille, à la tradition, à une certaine idée de la vie, à une certaine philosophie. »

Texte: Jean Baptiste Cadet
Photos: Pierre Marchal

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