Eric Dagard a longtemps été la figure de proue de la boxe anglaise locale. L’homme a su se construire à travers un parcours de vie fait de hauts et de bas.

La carrière d’un sportif de haut niveau commence-t-elle à seize ans et se termine-t-elle à trente et un ? Dans ce laps de temps si court, à peine quinze années, peut-on réaliser tous ses rêves de conquête, de podiums et de médailles ? Eric Dagard, 35 ans depuis le 23 mars dernier, est le parfait exemple d’un boxeur atypique, blessé par les cicatrices de la vie et qui a tutoyé les sommets nationaux pour, finalement, se construire humainement après un parcours sportif inabouti.

L’histoire de cet enfant dans la Zac 1 du Port, élevé par sa mère, se conjugue sur le tard avec le Noble art. Qui dit boxe au Port, dit Noël Grondin, entraîneur miracle de la fin du siècle dernier, figure marmoréenne de la boxe anglaise péi. « J’ai tout de suite accroché avec cette discipline, raconte l’intéressé. Ma chance, c’est d’avoir été champion de La Réunion des moins de 54 kg dès ma première année, d’avoir ensuite effectué des stages, des rencontres, notamment avec l’équipe de France de Jérôme Thomas en préparation des Jeux des îles 2003 à l’île Maurice. » Cette échéance se transforme toutefois en cauchemar. « J’ai effectué une grosse préparation pour descendre en moins de 51 kg, à tel point que j’ai eu une crise de boulimie. Au final, je suis le seul boxeur réunionnais à ne pas ramener de médaille. La honte. »

Ce premier échec n’échaude pas le Portois. « Celui qui m’a encouragé à persévérer, Jean Nicol Quentin, m’a ensuite incité à participer au championnat de France 2005. Et là, contre toute attente, je dispute la finale contre le champion de France, Hicham Ziouti, un gars longiligne que je n’arrive pas à toucher, tellement ses bras sont interminables. Je fais toutefois le buzz et ça m’a encouragé à persévérer. » L’année suivante, Dagard perd de justesse contre Ali Hallab, qui vient d’être médaillé de bronze au championnat du monde amateur.

Interdit de boxer six mois

Le palmarès du poids coq s’enrichit au gré de ces confrontations nationales alors que, localement, le jeune homme règne en maître sur la catégorie. Les Jeux des îles 2007 à Antananarivo se profilent à l’horizon mais le premier tour se transforme en désillusion face au boxeur local. « Je ramène toutefois le bronze et, dans la foulée, je quitte Le Port pour Saint-Denis et rejoint l’UPSD de Raymond Gévia. » Le championnat de France 2010 ne lui procure pas la consécration espérée. Il passe sans encombres plusieurs tours de coupe de France mais, en demie, est reversé arbitrairement en championnat de France et perd sa demi-finale contre Anthony Bret. « Je n’ai pas pour habitude de me plaindre mais, à l’issue de ce combat que je pense gagner haut la main, on m’explique simplement que la scoring machine dans mon coin ne marchait pas. »

Qu’à cela ne tienne, la rencontre internationale face à l’équipe de France en préparation des JO de Londres lui offre un joli tremplin à tout juste 26 ans. Il l’emporte face au Tricolore Laid Douadi mais souffre de maux de tête depuis quelques jours. Les examens ne montrent rien d’alarmant, uniquement un peu de repos. Et, au cours d’un entraînement commun à Saint-Pierre en compagnie de l’équipe de France, Eric Dagard s’effondre, jambe gauche paralysée. Il s’allonge, se plaint de violentes céphalées. Il passe un scanner qui montre un hématome sous-dural pariétal gauche, souvent d’origine traumatique. « On m’a expliqué que cela a pu être provoqué par un coup violent, une répétition de coups, ou plus simplement la malchance. On ne pratique pas d’intervention chirurgicale, l’hématome se résorbe au bout d’une semaine. »

Mais la commission médicale statue selon les textes en vigueur : interdiction de boxer pour une durée de six mois. « Ma carrière est-elle terminée, s’interroge alors Eric. Je passe un scanner en mai 2011. Rien. Je reprends doucement à l’UPSD. Dominique Nato, l’entraîneur national, prend des nouvelles. J’effectue alors une rencontre capitale, celle d’Alex Hernandez, qui m’ouvre sur d’autres techniques de préparation physique. Je veux préparer les Jeux des îles aux Seychelles, en août 2011. Je reprends une licence. Je développe ma puissance et monte chez les moins de 60 kg. »

« Dieu m’a donné deux bras »

Le résultat est bluffant. Le néo-Dionysien abat tous les obstacles jusqu’à la finale où il est opposé au Mauricien John Colin, champion d’Afrique et sélectionné aux JO de Pékin, donné favori de la catégorie. Il l’emporte de justesse (20-17) et rapporte l’une des deux médailles d’or réunionnaises – avec Brice Cadenet – de l’édition seychelloise. Il rapporte une anecdote significative sur son état d’esprit avant d’affronter le boxeur de l’île Sœur : « En demi-finale, je me suis blessé au bras. En fait, j’avais le biceps écrasé. Je me suis souvenu d’un film, « 300 », où un combattant spartiate, qui a perdu un œil, repart au combat. J’ai dit au médecin qui hésitait à m’accorder le droit de boxer : Dieu m’a donné deux bras, si on m’en prive d’un, je boxerai avec l’autre. J’ai terminé la finale avec un bras tétanisé mais j’ai gagné. »

Dans la foulée des Jeux seychellois, Eric Dagard devient – enfin – champion de France 2012 des moins de 60 kg en dominant en finale Matthieu Lehot, actuel champion de France professionnel des super-plume. Ne souhaitant pas intégrer l’Insep (Institut national des sports), il veut se relancer au championnat de France 2013 mais perd devant Oualid Belaoura, seul vainqueur français de Sofiane Oumiha, futur champion olympique à Rio. « Je me suis alors tourné vers la ceinture Montana, une franchise qui rassemble des boxeurs de niveau international. » A Argenteuil, le Réunionnais bat le champion d’Europe amateur en titre, un Allemand. Dans la foulée, il domine un Irlandais, Sean McComb et triomphe en finale de Simeon Bonardziev, un Norvégien à plus de 100 combats au compteur alors qu’il en compte à peine une trentaine.

Fort de ses succès, Eric Dagard tente de passer pro mi-2013. En conflit avec son entraîneur, il y renonce, s’entraîne seul avec son préparateur physique, prend une licence au Chaudron et effectue la préparation des Jeux des îles 2015 qui se déroulent à La Réunion. Il retrouve le Mauricien John Colin en demi-finale à Saint-Pierre, le bat, et triomphe face à la « vedette » seychelloise Andrique Allisop au terme d’un combat d’anthologie, élu combat de la soirée.

Passeur de valeurs humaines

Toute épopée sportive est intimement liée à un parcours de vie, professionnelle et sentimentale. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Eric Dagard a mis un certain temps, et même un temps certain, à trouver sa voie. « Je pense qu’au départ, personne ne m’a conseillé pour me donner des pistes sur le chemin à suivre », explique-t-il sobrement. Ainsi, il arrête l’école en 2002 après avoir entamé un BEP Métier électronique. Il se fourvoie ensuite à Port-de-Bouc, non loin de Marseille, pour entamer un autre bac pro. Il loge dans un foyer Sonacotra, loin de tout. L’expérience fait long feu. Pendant les deux années suivantes, il effectue de l’intérim, fait de tout et de rien, et, en 2005, entreprend une formation Bac Pro Commerce Sport au lycée Rontaunay sous la houlette de François Xavier Jeanmart et Guy Mangani. Cela le remet sur les rails de l’emploi. Parallèlement à sa formation, il travaille le week-end dans une grande surface dédiée au sport. « Je faisais autant de chiffre que ceux qui bossaient en horaires de semaine », sourit-il.

Jamais rassasié, Eric entame un BTS assistant gestion PME-PMI à Saint-Paul avec Mme Sgoluppi et M. Rivière. En 2009, à 25 ans, le voilà solidement armé, lui qui a longtemps erré dans les méandres du système scolaire. « Je suis reconnaissant envers tous ceux qui m’ont aidé à trouver mon chemin », souligne-t-il. S’il fallait encore en rajouter, il suit le tronc commun du brevet d’Etat 1er degré de boxe et, en juillet 2010, obtient la partie spécifique grâce aux conseils avisés du Portois Patrick Araste. Il intervient en milieu carcéral et encadre les détenus courtes peines dans le Noble art.

Tout d’abord vacataire à la mairie de Saint-Denis, il met logiquement en avant ses titres sportifs et sa formation pour obtenir un poste à la DPEG (direction du projet éducatif global) du chef-lieu en tant que coordonateur des activités périscolaires. Mais cela ne lui suffit pas. Eric Dagard passe ses soirées à dispenser des cours au sein de son club, le Dagard Boxing Club, dont la présidente est Laetitia Dumont, une cheffe d’entreprise. A destination des boxeurs confirmés mais aussi et surtout des débutants, il ne ménage pas sa peine. « J’aspire à transmettre les valeurs humaines qui caractérisent mon sport et apporter toute mon expérience acquise tout au long de mon cursus, aussi bien sportif que professionnel. J’ai traversé des moments difficiles, mais les échecs comme les réussites m’ont fait grandir. »

Père de deux enfants – une fille de 5 ans et demi et un garçon de 4 ans – Eric Dagard ne regrette pas les années collèges ratées, une carrière promise au plus haut niveau avortée. « Je remercie tous ceux qui m’ont aidé et je ne crache pas sur les autres. Lorsque des personnes me croisent en me félicitant pour ce que j’ai fait et ce que je fais, cela veut dire beaucoup de choses pour moi. Que j’ai réussi à gagner leur respect et leur estime. Et cela, rien ne le remplace. »

Texte: Jean Baptiste Cadet
Photo: Luc Ollivier

LEGENDE : 35 ans, né au Port, champion de France amateur, double médaillé d’or aux Jeux des îles

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