Qui se rend à Ouessant, ne rentre pas dans le rang… Qui y court dans le vent, se sent bien plus vivant !

Rimes au rythme du « Trail Off à Ouessant », août 2020, dans un total dépaysement tout au bout du monde… Un grand bol d’air dans une année en proie aux existences masquées… Les confins qui ne mentent pas résistent aux confus confinements. Dans son Cap à l’Ouest pour un nouveau défi de 1000 km au fil du GR 34, j’aurais conseillé au grand François Dhaene de faire un petit détour par Ouessant, si son projet n’avait pas été annulé par le nouveau confinement… Je doute que quelque confinement ait lieu à Ouessant… (On ne s’y protège que des coups de vent, sinon tout demeure grand ouvert, esprits, espaces, voitures, maisons… La Réunion d’avant 90…) François pourrait encore y faire ses 1000 bornes sans pb, en faisant 22 fois le tour… En 2013, je m’alignais sur le « Trail du Bout du Monde » 57 km, départ donné par Karine Herry (1ère aux Diagonales 2011 et 2006) ; 5h 57 min de cavalcade côtière – dont une bonne partie en compagnie de Claire Nédélec, championne bien connue sur La Réunion – à l’extrême pointe bretonne… Le bout du monde ne m’a pas mis à bout. Mais il restait encore une aubaine pour courir au-delà de ce réputé Finis Terrae, ultime possibilité sur la toute dernière terre perdue après la proue du continental Finistère…

Nous prendrons donc le tout premier bateau pour Ouessant, débarquant en mode « traileurs » sur l’île si sauvage – car selon l’adage : « Qui voit Ouessant voit son sang » – afin d’en faire le tour complet ; 45 km auxquels nous en ajouterons 7, soit 52 bonnes bornes, singulièrement hors du monde. Nous martèlerons de nos pas aventureux cette forteresse de granit burinée par les tempêtes, les criblages de gros grains, les assauts de fortes houles… Depuis le coquet port du Conquet (au 55ème km du TDB), nous avons embarqué pour l’île de Molène déjà plus austère, puis, traversant ensuite le fameux Fronveur (un courant très puissant qui a causé tant de naufrages), modérément secoués sur notre barge-lessiveuse – ainsi nomme-t-on désormais les navires depuis que celui du nom de ce courant a été mis à la casse, je l’ai bien connu – nous atteindrons, après 1h45 de navigation globale, cette lointaine île fantomatique de Ouessant, accostant au port du Stiff.

Afin de se donner de la marge pour ne pas rater le dernier bateau du soir, sitôt sautés à quai, nous commençons illico en mode trail dans le sens des aiguilles d’une montre (cap Sud-Ouest), coupant l’épaisse brume à flanc de falaise, l’objectif étant de suivre la côte au plus près sans jamais s’en écarter par des sentes plus empruntées qui coupent les nombreux caps. Souvent, les plus rasantes traces, décrivant de multiples méandres, sont aussi les plus tenues, les moins dégagées en épineux… Le découpage particulièrement marqué invite à un véritable jeu de pistes, d’où découlent différentes mesures par GPS livrées de manière fantaisiste sur le Net. Mais pour avoir fait plusieurs fois le tour de l’île en rando, j’en ai une fine topo dans la tête qui permet de garder le rythme sans hésiter sur la meilleure trace à suivre. Même si les dénivelés sont peu conséquents, des relances entre les hauts de falaise et les plages ou rives en gros galets, sont fréquents, associés aux changements de nature du sol…

Les célèbres phares aident au positionnement côtier, successivement, Kéréon, La Jument, Nividic, Créac’h, Stiff. Virant vers les vieux pylônes de Nividic, là où la mer se déchaîne sur une côte déchiquetée, je repense à Yann Tiersen, à un concert donné ici (aussi improbable que ceux qui ont pu se faire à Mafate) – sans oublier Yann-Fañch Kemener et Didier Squiban dans le bel album « Enez Eusa », Ouessant en breton -, à ces nuits passées près du phare du Créac’h (2ème plus puissant du monde) dans des tempêtes hivernales, à ces flocons d’écumes volant comme de la neige mêlée aux embruns, à la difficultés d’avancer contre le vent violent, équipés de polaires et cirés, sous des hallebardes pluvieuses, dans une ambiance de « Shutter Island », une lutte contre les éléments qui peut soit rendre fou, soit vivifier ; pas de demi mesure… Cependant, en cette pleine saison estivale, l’atmosphère est très différente ; l’île est relativement plus accueillante – mais moins envoûtante et romantique aussi – ; c’est la toute première fois que j’y viens en été.

Notre tour de l’île passera par un temps très variable, entre brumes et soleil, de beaux ciels qui alternent de sombres volutes avec de magiques trouées aux rais de lumières semblant provenir de religieux vitraux ; ainsi s’animent ici les paysages les plus désolés. Contrairement aux idées reçues, il pleut moins à Ouessant que sur le continent oriental, en Bretagne… Il y fait aussi bien plus doux (influence du Gulf Stream). Mais les vents particulièrement vifs, la nécessaire sobriété, et la rudesse, ont rendu trapue toute vie ; il en va des végétaux (bruyères, fougères, genêts…) comme des moutons endémiques qui, malgré leur épaisse laine noire, sont les plus petits du monde, mais d’une constitution résistante. Je m’y sens assez en harmonie…

On a la chance de croiser Randy qui joue dans la baie de Lampaul (le bourg) avec les cordes d’amarrage, aimant à s’y gratter… Ce dauphin solitaire, mais proche des hommes (il a même son FB), est une vraie star des côtes Ouest – de La Rochelle à Cherbourg en passant par cette pointe bretonne – où il affectionne particulièrement ses escales à Ouessant ; c’est un très grand sportif connu pour son exceptionnelle endurance, notamment lors d’un de ses trips au tout début des années 2000, en Hollande, se risquant même dans de techniques canaux à écluses… Un aventurier sans pareil. Perso, si j’avais la chance d’être réincarné en cétacé, – car c’est assez d’être un humain en ce moment -, je finirais, comme lui, par m’installer à Ouessant… Passant ses hivers au large des îles britanniques, le gaillard de 35 ans et 300 kg (bien identifiable grâce à une singulière encoche sur sa dorsale), fait les tournées estivales des plages françaises, imitant les anglais, avec le même fair-play. Isolé de ses congénères – un peu comme moi, le plus souvent – il déborde d’une idéaliste affection pour les humains – comme moi aussi envers les bêtes -, en particulier les traileurs qui le font sans doute rêver de faire sur terre, ce qu’il fait dans l’eau… Et son océan est rude avec les humains :

L’autre jour, une houle très puissante déferlant sur la côte, liée à la présence de l’ouragan Epsilon dans l’Atlantique Nord, a emporté un jeune de 10 ans, Malone Le Hénaff, – joueur de foot en catégorie U11 à la J.A. Penvénan -, près du phare du Créac’h. Ni l’hélico Caïman – dont le pilote a observé des creux de 30 m…- de la Marine Nationale, ni celui de la Sécurité Civile, le Dragon 29, qui a dû abandonner les recherches faute de visibilité, n’ont rien pu faire… Il y peu encore, c’est une mère de famille qui avait été emportée au même endroit… Lors de ma dernière excursion hivernale, j’avais eu des difficultés à revenir sur le continent… Ouessant reste une île particulièrement sauvage, souvent coupée de tout lien avec le reste du monde, au cœur d’une mer déchaînée, pour une part imprévisible, et dont l’histoire a été régulièrement ponctuée de tragédies humaines, comme les hautes montagnes (avec leurs avalanches, leurs crevasses). Les puissances naturelles doivent relativiser les nôtres… En deçà et au-delà de notre passion pour le trail, notre compassion va à toutes les victimes des forces de la nature… Même si la jouissance des aventures en milieu naturel hostile, est alimentée par des prises de risques qui y sont souvent inhérentes, nous ne pouvons qu’en appeler à la plus grande prudence préservatrice des vies… Courir en des sentes rustiques mais sans courir des risques…

Les autres îles bretonnes, plus douces, ont leurs courses :

– L’île de Batz a son semi marathon (et un 1er trail tour de l’île prévu cette année a été annulé).

– L’île de Bréhat, grâce à son Amicale des Sapeurs Pompiers, propose en octobre le trail « La Breizh’Îlienne, 8 et 20 km. En mars, « Run in Bréhat », 18 km à parcourir sur les routes et sentiers déjà fleuris de ce bel écrin costarmoricain.

– L’île de Groix a la « Groisillonne », parcours de 5 Km, 10 Km et 18,6 Km permettant de découvrir le paysage par les sentiers côtiers, mais également le « Trail des Marathoniers », 28 km.

– Belle île, outre des formats de 9, 19 et 45 kilomètres, est célèbre pour son Ultra de 83 km « Belle île en trail » (annulé en 2020).

Mais à Ouessant, qui se prêterait pourtant le mieux à y courir : aucune épreuve. Historiquement habitée par des hommes hors normes à la mesure de ce territoire, forts, – des marins pêcheurs et des paysans capables d’affronter des conditions difficiles -, des sportifs par nature, elle s’est graduellement dépeuplée (passant de 3000 habitants en 1910 à seulement 800 aujourd’hui), se démarquant du conformisme ambiant ; la mutation économique l’a contrainte à délaisser ses foires à moutons ; pour autant, elle ne se livre pas aux foires humaines… Et c’est un privilège inestimable que d’aller y faire un trip atypique dans une atmosphère digne des endroits les plus sauvagement sublimes de La Réunion.

Texte et photos Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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