Premier et unique cycliste réunionnais à rouler chez les pros, Lorrenzo Manzin est un exemple à suivre au sein de la grande famille du sport 974. La belle histoire d’un marmaille de Bras-Panon qui n’a jamais lâché un millimètre dans son sprint vers les cimes.

Le sport peut parfois constituer un extraordinaire ascenseur social. Le cas de Lorrenzo Manzin en est un des exemples les plus marquants. Aujourd’hui, à 22 ans, alors qu’il déroule sa troisième saison d’affilée à la Française des Jeux, le coureur formé au Vélo Club de l’Est est le seul routard péi à s’être frayé une place chez les pros. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le rêve un peu fou qu’il caressait depuis tout gamin sur les routes de l’Est, est devenu réalité. Flash-back.

Dans sa jeunesse, le marmaille du quartier de la Giroday, à Bras-Panon, qui se définit lui-même comme « hyper actif » à l’époque, donne plutôt dans le ballon rond, le foot étant le sport roi à la case. Sur le carré vert jouxtant l’école, il côtoie un certain Sylvio Ouassiero. Les deux dalons n’ont beau n’avoir que 8 ans, ils ont déjà de la suite dans les idées. « A cet âge-là, on s’était dit que si un jour on devenait pros tous les deux dans nos sports respectifs, ce serait bien qu’on reste amis quand même », raconte Manzin. Près de quinze années plus tard, leur vœu s’est réalisé. Le sprinteur de la FDJ et le milieu de terrain du Standard de Liège vivent de leur passion. Et sont toujours les meilleurs amis du monde…

Cette anecdote illustre à merveille l’importance de s’accrocher à ses rêves. Mais aussi la détermination qu’il faut y mettre. Le jeune Lorrenzo était loin d’en manquer. Le choix du deux-roues apparaît assez rapidement comme une évidence pour lui. « Ce qui me gênait dans le foot, c’est qu’il fallait partager les récompenses. En vélo, au moins, je me disais, si je perds, c’est de ma faute et si je gagne, c’est grâce à moi ». Ses premiers tours de roue, c’est Armand Henriette, alors au CCSL, qui lui les offre, lui prêtant même un vélo en prime. A ses débuts, ce ne sont pas les Cipollini, Zabel, ni autres Jalabert, qui font briller ses yeux le dimanche mais plutôt les Richard Baret, Mike Ferrère, Fabrice Bénard, Stéphane Lucilly, Armand Henriette… « C’est eux qui me faisaient rêver, les coureurs locaux. Je me rappellerai toujours de la victoire de Lucilly sur le Tour de l’île en 2002 », se remémore celui qui gravera son nom au palmarès de l’épreuve onze ans plus tard. Le souvenir le plus fort de sa carrière à ce jour, soit dit en passant.

Travailleur acharné sur l’anneau panonnais si cher au VCE, le club de son cœur, Manzin déroule ses gammes quotidiennement sous l’œil avisé de Fabrice Bénard, son entraîneur. Les premiers résultats nationaux sont fracassants et ne font que confirmer son indéniable potentiel. Un doublé en or (2009, 2010) sur la course aux points chez les cadets aux championnats de France de l’Avenir sur piste achève de convaincre le coureur et son entourage de la nécessité d’exporter le diamant brut. Direction le pôle espoirs de la Roche-sur-Yon (Vendée). A 15 ans et demi, Lorrenzo fait le grand saut.

Dans l’ouest de la France, l’adolescent a l’avantage de ne pas s’enfoncer en terre inconnue. Accueilli à Châteaubriant (Loire-Atlantique) par Georges-Henry Nomary, le frère de Jean-Marc, alors président du VCE, Lorrenzo Manzin réalise aujourd’hui pleinement la chance qu’il a eue. « C’est en grande partie grâce à eux si j’en suis là. Sans eux, je n’aurai probablement jamais roulé à ce niveau. Et puis avec la FDJ et les Madiot pas loin, j’avais les bonnes cartes en mains pour réussir. » Ne reste plus qu’au stagiaire de la Française des Jeux à mettre ses atouts sur la table pour empocher la mise.

Toutes ces heures passées, son séant vissé sur sa selle, n’auront donc pas été vaines. Après un podium sur une étape du Tour du Poitou-Charentes, la récompense arrive fin 2014. « Tu signes ton contrat dans quinze jours. » Cette phrase magique et tant désirée qu’on vient de lui souffler dans l’oreillette à l’arrivée de la course, ne le chamboule pourtant pas plus que ça. « J’étais focus, affirme-t-il. Pour moi, ça représentait juste une étape de plus dans le processus. » Là où d’autres auraient certainement pu se croire arrivés, le Panonnais, lui, y voyait plutôt le commencement de quelque chose. « Etre pro, ça ne veut rien dire. Mon souhait maintenant est surtout de performer chez les pros », livrait-il ainsi quelques jours après l’officialisation de son transfert à la FDJ.

« ça peut s’arrêter à tout moment »

Son baptême dans la cour des grands sera douloureux. A l’orée 2015, sur sa première épreuve internationale de la saison, le Tour Down Under, bien placé à l’arrivée de la 3e étape, il chute lourdement sur le bitume brûlant d’Adélaïde (Australie). Les flancs en lambeaux, il termine sa première sortie sur le World Tour dans une ambulance. Aïe. « J’ai débuté sur les chapeaux de roue ! », plaisante-t-il aujourd’hui en y repensant, ayant parfaitement intégré, plus de deux ans après les faits, que « ça fait partie du métier ». Deux mois plus tard, à peine remis, il lève les bras à la suite d’un finish dont il a le secret sur la Roue Tourangelle (1.1). Sa dernière victoire à ce jour.

« Ça fait deux ans que je n’ai pas gagné. C’est trop long », réalise celui qui, de sprinteur-puncheur a dû se muer en sprinteur pur pour espérer se faire sa place au soleil au sein du peloton international. A l’image de ces attaquants, frustrés de ne pas trouver le chemin des filets en football, Lorrenzo est en manque de bouquets, de flonflons et de paillettes. Mais il sait qu’il faut être encore un peu patient. Il l’a toujours été. Comme il aime à le rappeler, signer pro à 20 ans n’est pas chose commune. Il en est conscient aussi. « Je ne serai jamais un grand sprinteur comme Cavendish. Je ne pourrai jamais gagner 25 courses dans l’année. Mais avec du travail, je pense que je peux en gagner une sur le World Tour. Il ne me manque pas grand-chose », confesse-t-il sur la pointe des roues. Les ambitions mesurées mais le verbe affirmé, dans un discours clairvoyant et teinté de modestie. A son image.

Ce petit rien qui le sépare encore des géants mondiaux du sprint, ces poussières de temps après lesquelles il continue de courir, sont aussi le meilleur des moteurs pour lui. Doté d’une grande maturité malgré son jeune âge, la gâchette de la bande du Trèfle, auteur d’un Top 5 sur la dernière Vuelta, brosse un tableau sobre et réaliste quand on évoque son avenir professionnel. « Pour certains, le vélo, c’est toute leur vie. Moi, je ne le vois pas comme ça. On sait que c’est un métier précaire et que ça peut s’arrêter à tout moment. Mais je ne veux pas subir ma carrière. Tant que je verrai que je continue à apporter à l’équipe, je continuerai… » A l’instar de ce siècle, son cycle ne fait que commencer.

Texte : Etienne Grondin
Photo : Pierre Marchal

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