Jacques Murat, plus connu sous le nom de « Jacky », est un pilier fondateur dans l’édifice du Grand Raid. À 63 ans, l’inoxydable coureur de vie a déjà bouclé une vingtaine de grandes traversées depuis celles des origines. Et à l’entendre, son foot-trip en diagonale est loin d’être terminé.

Mollets en béton, visage taillé à la serpe et silhouette d’athlète malgré la soixantaine bien frappée… Au premier regard, Jacky Murat en impose. Et quand on l’écoute dérouler le film de ses exploits passés, cette première impression visuelle se mue en profond respect. En 25 ans de Grand Raid, le temps semble avoir glissé sur sa carcasse de marathonien des cimes comme rosée sur feuille-songe. Les grandes traversées, il en a déjà achevées une vingtaine. Alors, on le pardonne volontiers quand il souffle, s’excusant presque : « J’avais commencé à tout noter et puis pour finir, on court, on oublie et on ne compte plus. Du moment que le plaisir est toujours là… »

Au départ, rien ne prédisposait pourtant plus que ça le natif de la Plaine-des-Palmistes à une telle trajectoire. « J’étais un enfant gâté. Trop gâté. Et très capricieux », avoue en toute franchise le « chouchou » de sa maman, directrice d’école à la Plaine-des-Cafres. Ses premiers pas dans la montagne avoisinante, c’est en guidant quelques zoreys égarés sur le toit de l’île qu’il les accomplit. Mais jusqu’à la trentaine, le pensionnaire du CAPP – qui pratique la course à pied depuis tout petit à l’école, confessant même « bâcher les cours » pour étancher sa soif de foulées – se consacre uniquement à la piste. Ou plutôt à la route.

La révélation pour le dénivelé arrive sur le tard. À 35 ans, Jacky découvre une discipline encore inconnue à La Réunion, comme dans le monde entier d’ailleurs : l’ultra-trail. Le coup de foudre est immédiat. « Je valais 2h40 sur marathon mais quand la course de montagne est arrivée, j’ai complètement délaissé la route. Le virus a pris tout de suite », se souvient-il. Nous sommes en 1989. Un an après avoir fait sortir de terre le Cross du Piton des Neiges, premier trail de l’Histoire à avoir vu le jour dans les Mascareignes, Jean-Jacques Mollaret et son run-band de Cilaos ont l’idée un peu folle d’organiser la première traversée intégrale de l’île. Baptisée « Marche des Cîmes », elle s’effectue dans le sens Nord-Sud, du Barachois au Tremblet, et attire plus de 500 pionniers, essentiellement des randonneurs, sur une distance de 112 km. Le grand Jacques en fait déjà partie.

« Mafate, l’inconnu total »

Un véritable saut dans le vide à en croire ses propos. « On ne savait pas du tout ce qui nous attendait. J’avais un sac à dos bien trop lourd avec des couvertures, des couverts, une petite marmite… J’ai heureusement pu m’en soulager à partir de la Rivière-des-Galets mais je n’avais pas d’eau, ni de nourriture, se remémore l’homme des plaines, qui, à cette époque-là, côtoie principalement les reliefs encerclant son jardin d’Eden. Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas mon île. Mafate, c’était l’inconnu total pour moi. » Un premier foot-trip en pente raide où il serra nourri et hydraté tout au long du trajet par les pique-niqueurs du dimanche et autres touristes de passage. Le début d’une longue relation fusionnelle avec la Diagonale. À l’arrivée, il écope d’un encourageant Top 5 dans le Sud sauvage, après presque 20h d’efforts. Trois bonnes heures derrière le premier roi d’une longue lignée de Fous : Gilles Trousselier Ier, duc de Savoie, qui régnera trois éditions durant sur les grandes traversées (1989, 1990, 1991).

Aujourd’hui, près de 30 ans plus tard, cet exploit souvent qualifié d’inhumain par le commun des mortels, Jacky Murat en est venu à bout à seize reprises. Sans compter les cinq « Passe-Montagne », épreuves chères au Dr D’Abadie, programmées au mois de mai et équivalentes en termes de difficulté, que le recordman du Tour de l’île pédestre a honorées chaque année entre 1993 et 1997, avec trois sacres à la clé. En outre, il est – et restera très probablement – le seul concurrent à pouvoir se targuer d’avoir inscrit son nom au palmarès du GRR dans toutes les catégories d’âge (seniors, V1, V2, V3).

Car quoi qu’on en dise, même si son nom ne figure pas officiellement sur les tablettes de l’Histoire, en 1994, Jacky le sait mieux que quiconque, c’est lui qui s’est imposé « haut la main » sur la deuxième Diagonale de la création sous sa forme « associative ». Arrivé le premier à La Possession, avec une bonne heure d’avance sur l’un de ses plus sérieux concurrents dans les années 90, Jean-Philippe Marie-Louise, le « multi-raidiciviste » confesse ne toujours pas avoir compris aujourd’hui ce qui lui arrivait.

Le Grand Raid à 70 ans

Trail Reunion 974 Grand raid

« A l’arrivée, même pas une poignée de main, que dalle et on m’annonce que je suis disqualifié pour une histoire de pointage. C’était très désagréable, surtout que moi, je savais que je n’avais pas triché. Ça m’a un peu démotivé. Je me disais, ça sert à quoi ? », déplore celui qui trottait si vite qu’il avait visiblement pris de cours l’équipe d’organisation. « Cette année-là, j’étais fort, très fort. Je survolais le parcours. Je n’ai d’ailleurs jamais retrouvé cette facilité en compétition », affirme-t-il, sans une once de prétention dans la voix, avouant ne plus en vouloir aujourd’hui à son adversaire, qui aurait posé réclamation essentiellement pour toucher les quelques milliers de francs promis au lauréat à l’époque. Le vainqueur sur tapis Raid se serait depuis excusé pour son geste. Et plus de 20 ans après les faits, il existe un grand respect entre Murat, Marie-Louise et Maffre, le club des 3M, qui a régné sur les sommets de l’île au crépuscule du XXe siècle.

Cette longue course contre le temps, entamée il y a presque trois décennies, est loin d’être terminée pour le papa de cinq enfants. Tiré au sort pour la première fois de sa « carrière » en vue de la 25eédition qui s’annonce, le Palmiplainois en titane, après un départ poussif sur l’opus précédent – où une place de 8e dans le club relativement fermé des V3 a eu le don de froisser son ego – visera le podium dans sa catégorie en octobre prochain. Les « sexa » sont prévenus. Mais sa projection va un peu plus loin. « Si Dieu le veut, j’aimerais continuer à courir jusqu’aux vétérans 4 (+70 ans) et gagner le Grand Raid dans cette catégorie. Il me reste encore sept années à patienter donc il faut que je me ménage. Mais c’est un bon remède anti-vieillissement », se fixe le « Bébel des sentiers ». En guise de baume anti-rides, on ne fait pas plus naturel.

« La vie est courte », répète à l’envi le raideur au long cours, plus que jamais déterminé à prolonger la Diagonale de son existence. Sur la précédente édition, il narre, tel un enfant, le fantastique dernier tronçon qu’il a effectué lors de la longue descente vers la Redoute. Loin des bouchons saint-pierrois qu’il abhorre tant. « J’ai sauté, galopé à fond la caisse, comme un jeune homme (rires). Et encore, j’ai perdu du temps avec un Italien sur le pont, tient-il à préciser. Mais j’ai été plus vite que François D’Haene sur cette portion, vous pouvez vérifier… » Vérification faite, Murat à mis 50 minutes à atteindre la délivrance depuis le Colorado. Le vigneron volant en a mis 52. Il est encore un peu vert sans doute.

Texte : Etienne Grondin
Photo : Pierre Marchal

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