Parmi les 35 courses déjà faites depuis janvier, il y a eu la traversée de l’île dit « L’autre Grand Raid », le 6 juillet, en mode plus dynamique que celui prévu pour la Diag’: rando/trail, le but étant d’arriver une fois de plus, en forme, au stade de La Redoute, samedi en fin de journée. Aucun temps intermédiaire envisagé, aucune assistance personnelle ; être à l’écoute des sensations, intégrer ce qui advient et apprécier la grande balade… Cet ultra demeure pour moi une épreuve bien à part tant par son profil que par l’histoire qui me lie à lui depuis trente ans.

Dans l’esprit de l’ami Pablo Vigil, bien lucide sur mon âge, je suis aussi là désormais pour porter le flambeau d’une voie paisible – d’un autre choix possible que la performance jusqu’aux souffrances – sereine et saine, du trail au très long cours, sur plusieurs décennies, où l’envie et certaines capacités demeurent après 60 ans ; où trail rime avant tout avec plaisirs, puis avec bonne santé, ressourcement, épanouissement, déconditionnement d’impositions sociales qui avachissent ; à rebours des stress aux « compétences performatives »… C’est ainsi que lorsque j’étais plus jeune, Louis Ulentin était un modèle pour moi ; à 55 ans, l’ami Loulou était encore capable de finir le Grand Raid 23ème au scratch, 1er V2, évidemment ; l’année 2000, 2ème V3 au Grand Bénare, et à 82 ans aujourd’hui, bon pied bon œil, il me parle toujours comme un petit jeune de sa passion des sentiers ; je fais désormais partie des quelques V3 sur l’île qui peuvent être encore ses disciples. On dure dans le dur, mais sans aller vers quelques difficultés, toujours avec le plaisir d’être dans la montagne d’où l’on ramène de bons souvenirs qui portent à continuer l’aventure…( Lors d’une édition, le très expérimenté Loulou, galvanisé par ses prouesses, s’était laissé aller à se brûler les ailes : abandon juste 2 ou 3 km avant l’arrivée : hôpital au lieu du stade ; il a donné une interview au journal Le Quotidien, dans laquelle il tire les leçons avec une très grande humilité, faisant de son témoignage un bréviaire des meilleurs conseils qui ne m’ont jamais quitté.) La vraie difficulté du GRR, pour moi, va du retrait des dossards jusque Domaine Vidot… Après un 1er aller-retour laborieux Saint-Denis Saint-Pierre, la veille, pour obtenir son matricule (1 heure dans le bouchon d’un accident sur la 4 voies, des heures, certes conviviales et festives, à piétiner dans les jardins de l’hôtel de ville sous le gros soleil…), c’est Odile Sab qui nous ramène pour le départ à Ravine Blanche. (C’est mieux que lorsque j’ai fait du stop avec un gars qui mangeait sa barquette en conduisant…) Sur le parking de Jumbo à Ravine Blanche, dernier instant de calme en discutant avec le bien sympathique couple Olivier et Sophie Blard (élite F) entendus à RFO Réunion ce matin pour faire ensemble cette année la course (ils abandonneront à Plaine des Merles), avant d’être happés dans un entonnoir pour le dépôt des sacs assistances où l’on est oppressé et sauvagement poussé pendant une heure, ce qui vaut déjà de sérieux malaises à certains… (Pas facile de gérer 2800 coureurs dont beaucoup sont survoltés, avec des effets moutons…) Puis vient l’étape des contrôles où les raideurs se précipitent de nouveau sur les premières tables, – comme aux ravitos… – ; je repère que celles du fond sont désertées, tenues par des jeunes, qui, ayant enfin un client, se montrent très pointilleux : contrôle des longueurs des bandes, information sur la durée des batteries Nao+, bruit du sifflet, taux d’étanchéité du Kway, calories alimentaires embarquées… Du coup, je perds de vue Mireille. L’avisé Michel Jourdan – qui gère le super site RUNRAID avec calendriers et résultats – est là qui, tout en prenant des photos, me fait part de ses observations nourries de son expérience en Diag’ : 6 fois finisher entre 91 et 99… Quand je retrouve finalement Mireille, quelque peu paniquée, on rencontre alors le sympathique chasseur d’images, directeur de « Gadiamb » – magazine distribué à la remise des dossards où j’ai l’honneur d’avoir 3 pages en « Roi des Fous » pour avoir le record du nombre de fois Finisher -, Pierre Marchal, qui fera une photo de départ où l’on retrouve aussi le sourire, provisoirement ; car l’oppression va recommencer dans une ambiance surchauffée où ça pousse de partout. Dans l’entassement à un quart d’heure du coup de pétard, on se retrouve devant l’ami Meheza Walla – plus qu’une élite, un V.I.P. ! – à qui je propose de faire la course avec Mireille qui l’emmènerait à coup sûr à La Redoute ; mais sans doute croit-il encore pouvoir partir gagner seul devant (il abandonnera à Ilet à Bourses – lieu tout indiqué pour lui tant « il a eu les couilles » pour lutter contre les B.H. depuis un moment -, hors délais)… Et c’est finalement avec le copain breton Jean Gaël Le Floc’h, croisé sur l’Ultra Tour du Beaufortain, alors arrivé presque en même temps que Mireille, qu’elle évoluera. Alors que les élites avaient pourtant prévu une amorce soft afin d’être au mieux plus avant dans Mafate (étant loin de se douter qu’ils allaient être finalement mal aiguillés et se retrouver à cavaler comme jamais), le départ se fait dans une certaine tension – malgré les rappels faits par l’animateur de ne pas pousser -, avec quelques bousculades et chutes. C’est ainsi qu’un copain breton, sage kiné, se retrouve d’emblée avec une hanche dans le sac : premiers abandons dans des conditions impensables. La qualité de l’encadrement médical sur le terrain et celles des interventions in situ – souvent du fiable PGHM – font que tout se passe au mieux, mais avant d’abîmer leur propre corps, certains peuvent mettre d’emblée à l’épreuve celui des autres… Quant au matériel qui venait d’être bien contrôlé, des éléments de sacs sont arrachés, des réserves d’eau explosées, des lampes cassées, des portables broyés, Gopro écrasées… C’est mal parti pour ceux qui en sont victimes. Peut-être qu’une réflexion serait opportune sur les effets d’une société du spectacle poussée à l’excès…Une méga fête avec chaude ambiance pour des milliers de traileurs et des dizaines de milliers de spectateurs est-elle vraiment compatible avec des départs massifs de courses ? Jusqu’aux feux d’artifices sur le Port, c’est le parcours du combattant pour ne pas subir les effets de meute ; je tends les bras devant tout en essayant d’avoir une vision panoptique ; ensuite, je me cale sur un 10km/heure pour grimper les 700 m D+ sur 15 km jusque Domaine Vidot que j’atteins en 1h40. Après un ravito soigné en liquide, je repars avec le solide – même s’il n’est pas de la famille de l’ami montagnard de renom, Paul – Marc Bonhomme qui m’avait rejoint aux 3 quarts de la traversée 97.4. La pente modérée calme déjà les ardeurs ; les prétentieux coqs replient les ailes et rentrent la tête, qui sont vite obligés de se ranger progressivement, bec rouge et jabot gonflé, haletants ; ouf, le champ se libère ; les chemins d’exploitations cannières offrent un moelleux tapis de poussières qui se soulèvent sous les pas ; il faut juste éviter les douches des lances d’arrosages automatiques dont les saccades se superposent aux tapements de pieds, musique qui reste après l’hymne émouvant du Grand Raid suivi d’une techno-rap à fond la caisse… Là, tout ralentit, se calme en abordant une mise sur orbite dans l’espace nocturne infini ; je rentre dans mon élément ; l’animal détaché de ses fers domestiques prend le pas ; les montagnes vont fixer le tempo, dicter leurs lois aux petites bestioles que nous sommes ; ça fait des années que je les aborde avec la plus grande sagesse, moi, le soi-disant fou ; et de ces Diag’, je n’en fais pas une montagne, même si j’ai du mal à trouver le sommeil avant les départs, avec l’impatience des bêtes qui partent en transhumance ; j’observe, à la faveur d’un grand virage, le sublime long serpentin de lumières, portées par environ 2000 raideurs derrière, qui s’étend depuis la ceinture littorale jusqu’à nous ; je dis à deux gars essoufflés : « Regardez, on n’est pas les derniers et on a déjà pris de la hauteur… » ; je peux un peu mieux me recentrer sur une progression plus sereine au fil du grand planèze qui, via Notre Dame de la Paix, amène à 2050 m d’altitude au Nez de Bœuf après une quarantaine de km. Curieusement, au fil de cette ascension, suite à la débauche d’excitations bruyantes en tous genres du départ, c’est un grand silence continu qui s’installe, juste ponctué de rots et de pets… Il me souvient ces temps de GRR, pourtant plus calmes au départ, où Danyèl Waro grimpait avec son cayamb en faisant péter ici ou là un Maloya sur les pentes du volcan… Rompant ces abolitions des voix, un raideur m’interpelle de l’arrière ; j’ai le plaisir de retrouver l’ami Abderazak Zamouri (5ème GRR) Président du club « Team Ultra Trail Aventurer », organisateur du convivial « Trail des Châteaux » qui prend de l’ampleur ; il court pour la ligue contre la sclérose en plaques, dont il porte le drapeau sur son sac à dos. Abdé vient lui aussi de perdre sa Gopro en ce début de course agité (alors qu’il m’avait fait l’honneur de figurer dans son super film de l’an passé, particulièrement émouvant sur la fin avec du Martin Luther King, « I have a dream »)… On fait un bon bout en causant ensemble, mais je le perdrai de vue au prochain ravito où je ne traîne guère vu la fraîcheur autour du zéro degré – il fera jusque moins 5, alors que plus loin, après Cilaos, ce sera au-delà de 30…-, avec un vent qui abaisse bien plus encore la température ressentie. Il faut veiller à utiliser les vêtements appropriés en sorte de garder une bonne température pour le corps. Si se mettre un moment dans le rouge peut être fatal, connaître une période d’hypothermie peut l’être tout autant… Les deux en même temps, n’en parlons pas… J’aurai aussi fait un petit bout avec celui que j’ai souvent retrouvé sur les podiums de formats plus courts en V2, puis cette dernière saison, en V3, Henri Nourry, un solide client pour la victoire catégorielle – au GRR, je me garde de jouer à ça, une trentaine de podiums depuis le début de l’année me suffit… – mais il abandonnera à Cilaos. Je ferai aussi un peu l’accordéon avec l’illustre Gino, mais il dormira plus encore que l’an passé, et je suis bien décidé à ne pas passer comme lui une troisième nuit dehors (n’étant pas équipé de ses moufles d’alpinisme)… Pourtant dans ces premières centaines de coureurs les plus vaillants, j’assiste déjà à la formation de petits bouchons à chaque raidillon ; c’est également le cas devant les marches de bois pour franchir les clôtures ; certains, qui tentent de resquiller les files indiennes, sont rappelés à l’ordre ; c’est bien qu’il y ait encore une majorité disciplinée. A 4 h et quelques du mat, l’aire du Nez de Boeuf ne manque pas d’air, les vents glacés jouent sous un ciel totalement dégagé, ouvert sur la voie lactée ; j’ai mis la capuche de mon Kway, ce qui est rare ici pour un breton d’origine ; les bénévoles sont bien emmitouflés avec des allures d’esquimaux.
Prudent sur les basaltes chaotiques comme dans les ornières terreuses qui leur succèdent pour rejoindre la Plaine des Cafres en descente soft, j’atteins Mare à Boue vers 6 heures du mat. Le massif du Piton des Neiges devient imposant face à moi dans un rougeoiement qui attise les sens par delà les vastes étendues blanches de givre où nous évoluons. Des extérieurs disent qu’il a neigé… Après avoir avalé un riz-poulet, rempli ma troisième flasque vu la longueur du tronçon qui nous attend – le règlement prévoit d’ailleurs à bon escient « 1,5 litre minimum », alors que beaucoup ne disposent que de deux biberons de 500 ml chacun…-, je remonte tranquillement vers Kerveguen. C’est là qu’Axel Belon me rejoint ; c’est un performer qui va faire une belle course ; après un petit bout ensemble, je le laisse partir pour négocier gentiment la partie boueuse vers Bras Chanson ; content de retrouver sur le sentier le sympathique Dimitri Naranin, « alias Dimi » de Trail-Sport, qui joue le Zembrocal ; arrivé au sommet du Kerveguen, c’est un très beau début de journée. Je descends la vertigineuse paroi très technique qui fait plonger vers Bras Sec, avec la plus grande prudence, cependant que je dois me ranger souvent pour laisser passer les laborieux en montée qui font dangereusement les acrobates afin de gagner du temps ; parmi ces derniers, j’en verrai beaucoup plus avant, boiter, strappés ici ou là, se plaignant des articulations, de leurs abatis malmenés…(Perso, en, trente ans de traversées, je n’ai jamais eu besoin d’utiliser pour moi-même, le moindre centimètre d’élasto…) Ils avaient gagné un quart d’heure, ils ont perdu des heures à venir, et souvent leur chance de finir…L’ultra, c’est de la gestion et pas faire le couillon…! Après être passé près du piton du Bonnet de Prêtre, dont la forme donne aussi le nom à un fruit et au pied de bois qui le porte – spécimen sur le grand parking du retrait des dossards à St Pierre -, j’atteins Cilaos peu après 10 heures (comme d’habitude depuis des années). L’ami champion breton David Mousseaux – en récup suite à la Tor des Géants et qui attend sa championne Gwénaëlle -, court avec moi un bout de route avant le stade. J’y prends mon temps ; fais le check-up avec mon sac assistance, mange un carry poulet, une semoule riz avec graines de chia, des fruits… afin de bien faire le plein de carburant. Lors des GRR antérieurs à 2010, Cilaos était la mi-course, maintenant cette étape correspond au tiers ; le plus gros dénivelé reste à venir… C’est pourquoi il faut repartir d’ici encore bien frais ; c’est mon cas. Je ne change rien à ma tenue, rien à mes pieds, ni chaussures, ni chaussettes (et ce sera de même jusque La Redoute). Hoka ayant abandonné, hélas, les Speed-instinct, je me suis rabattu sur les Speed-goat ; elle ne permettent pas une proprioception aussi précise, mais un contact plus doux avec le sol, leur défaut étant une tendance au tangage prononcé que mes élastiques de viande compensent… Après avoir salué le super-snipper photo, Serge Pothin, je descends tranquillement vers la Cascade Bras Rouge. S’en suit l’attaque du sinusoïdal sentier menant au pied du Taïbit. La montée vers le col me semble toujours plus facile. Je double moins qu’à la fameuse CIMASA fin août où je me suis fait piéger, alors dans le groupe de tête, par un faux aiguillage comme les premiers du GRR tout à l’heure… Mais près d’une centaine tout de même. Je bascule vers Marla avec Marie Gisèle Turpin, une traileuse expérimentée, douée d’une solide endurance. Le spécial fond de soupe de Marla me rappelle que j’ai un estomac à ménager dans ces conditions. Et j’apprécierai le bon gazon de riz donné par l’ami champion, Jacky Robert, du club « Les Bretons », bénévole à la Plaine des Merles. En attendant, c’est toujours un plaisir pour les sens de traverser la bucolique Plaine des Tamarins, avec ces vaches nonchalantes qui nous regardent passer en trains. Le Col des Bœufs n’est pas trop froid, mais on plonge en plein brouillard côté Salazie. Une pensée pour Thierry Delaprez, mort d’une chute au GRR 2012, derrière le col d’à côté, du nom de Fourche. (Sans oublier Guus Smith, Gérard Bordage ; seul, on n’en court pas moins avec un tas de gens à l’esprit ; les racines se ravivent avec des amis disparus, ses parents qui nous ont transmis ces forces pour avancer, l’ultra réactivant un tas de souvenirs… donnant une rare acuité sur la vie, des réflexions étonnantes…) La sente qui rejoint Bord Martin est boueuse. Ne l’est pas moins le Sentier Scout où la nuit m’accueillera. Contrairement à beaucoup, la nuit et la solitude ne me font pas peur ; dans les montagnes, elles me sont plutôt des luxes que j’apprécie à leurs justes valeurs. C’est la 2ème incursion dans le cirque de Mafate, celle par où l’on plonge durablement dans le chaudron de grand-mère Kalle ; la plupart en ressortent cuits… Si les modes de cuisson y sont variables, de nombreux raideurs bien raidis finissent le plus souvent en papillotes au bord du chemin… Certains sont littéralement grillés sur place, comme à Pompéi, cul posé sur un caillou et tête dans le vide avec la lampe toujours allumée, les jambes en travers du chemin… Sympathique petite ambiance Maloya-La-Cour au lieu-dit « La Plaque », où l’on bifurque vers Ilet à Bourses. Mais je ne suis pas à côté de la plaque : j’avance tipa-tipa dans cet univers mafatais si particulier, à la fois cocon et rude. La température soufflant le chaud et le froid, j’ai gardé mon KWay en guise de pyjama pour ma nuit de rêves parmi les pics sous les étoiles. J’aime écouter le bruit des insectes. Je n’aurai finalement jamais sorti mon ipod du périple – où j’avais pourtant mis une super playlist adaptée – préférant rester bien connecté à la nature qui me porte… Une première ravine passée, avec, au fond, sa passerelle balançoire, on atteint le plateau isolé où l’on trouve un ravito, même s’il était soi-disant supprimé ; ce sera aussi le cas à Ratinaud, (quelques extérieurs se plaignent d’imprécisions sur la feuille de route annexée au dossard, notamment qu’il y ait deux étapes de « Sentier Scout », ce qui peut faire croire à l’une des nombreuses hallucinations que connaissent les coureurs…) A Grand Place les Bas, une pensée pour Yvrin Pausé, le facteur de Mafate récemment décédé, et que je connaissais depuis 1985. Je pense aussi à feu Aristide Boyer, ancien conducteur de bœufs et tant d’autres qui me racontèrent leur vie à Mafate – rude mais précieuse, pauvre matériellement mais si riche de suppléments d’âme – ceux exilés avec la nostalgie des lieux telle l’ancienne institutrice Anne-Marie Passas-Dennemont… Ambiance grave au ravito, tel un camp de repli en pleine guerre. Tout le monde sait que d’ici au Maïdo, c’est un très très gros morceau… Souvent, je me demande ce que penseraient les anciens du cirque, ceux qui y ont longuement travaillé très dur, en particulier à faire les sentiers, de nos cavalcades maternées d’un jour… En ce cœur profond et sauvage de Mafate, la sorcière Kalle peut vous y transformer en crapaud, en bestioles rampantes, voire en mutant marmotte… Car après cet îlet, bienvenue en « Pentes RAID » pour emprunter une expression au journaliste du Quotidien qui en a l’art, Emmanuel Guermeur ! Ça pique déjà pour grimper au col de Grand Place les Hauts avant la sévère descente sur la Roche Ancrée, lieu de baignade d’antan, d’où l’on entendait fréquemment des éboulements (alors que l’ancien sentier des porteurs était encore ouvert et souvent réparé…). Mais assez de douces rêveries, car une fois la rivière traversée à gués, c’est un véritable premier mur qui nous attend, suivi d’une petite descente avant la bonne source d’eau fraîche ; et de là, il faut de la patience pour aller chercher Roche Plate, via le pied du Bronchard… Sans doute la pente qui fait le plus de mal au sein des raideurs… On voit des frontales danser de partout dans le cirque comme en miroir des constellations. Certains en déduisent des représentations fantaisistes sur la localisation des reliefs effacés dans le noir. Au ravito, beaucoup d’allongés sous les couvertures de survie. Via « La Brèche », je monte régulièrement la paroi qui fait office de dernière grosse montée, mais où le dénivelé n’est pas si difficile que la nature du sol fait de grosses roches rendant les appuis compliqués. Au col, le directeur du Mag « Gadiamb » prend des photos alors que le jour va se lever. Je suis encore en pilotage automatique nocturne ; bientôt un nouveau cycle va me réveiller, recharger en hormones de jour pour relancer la machine. Les profils des sombres sommets commencent de se détacher sur une aube orangée. J’atteins « Tête Dure » peu après 5 heures, 120 km, 7700 D+ ; ça sent bon à tous points de vue… Je mange un riz chauffé bien pimenté et m’en vais tranquillement au gré de la tôle ondulée qui borde le rempart du cirque. J’accélère un peu sur la fin, émoustillé par l’odeur des plantations de géranium. Plus d’arrêt à Sans-Souci, plus de crêpes ; on rejoint l’îlet Savannah via des sentes poussiéreuses sur des terres brûlées, jonchées de détritus. Je récupère mon 2ème sac assistance – en y prenant que très peu de choses – et mange 2 assiettes de rougail saucisses (au poulet), prends vraiment mon temps dans de sympathiques discussions, refais le check-up de mon sac à dos et repars pour la traversée de la rivière afin de rejoindre le Sentier de Bord. Il fait très chaud sur cette section désertique. Aux dernières maisons, les habitants nous offrent un rafraîchissement au sirop de grenadine ou de citron, doublé d’un sympathique ravito marron, et surtout de chaleureux encouragements…

« Multiraidiciviste »
Après cette droite quelque peu monotone qui était un toboggan de boue sous les orages, l’an passé, nous descendons sur Ratinaud, via le fameux « Sentier Gaston » très acrobatique avec ses cordes pour ne pas glisser ; la remontée sur la Kalla puis la nouvelle descente qui suivent ne seront pas moins techniques. C’est là que les raideurs à ampoules, genoux douloureux, tendinites, (la liste serait longue…), commencent de râler sérieux… Et ce n’est pas fini. La caillouteuse descente sur La Possession est laborieuse. Le nouveau changement qui nous y attend, consistant en un mini urban-trail en boucle, nous replace résolument, un petit bout de chemin en plus que l’an passé, dans un univers citadin… Avec ce chemin derrière l’école Evariste Parny – où je fus prof des écoles – on suit une embouchure aux eaux saumâtres puant les égouts et où flottent des tas d’immondices ; dommage qu’elle ne soit pas plus entretenue par la municipalité qui venait de nous faire visiter son quartier fraîchement sorti de terre… De quoi être presque content de retrouver ce sacré chemin des Anglais dont les pavés souvent chaotiques renvoient une très forte ardeur. Rajouter des pierres aux pierres, des pièges aux pièges, je le redis : à partir d’Ilet Alcide, le parcours n’est plus vraiment pour ceux qui aiment avant tout la belle nature et ses nobles montagnes … (J’en ai la nostalgie des GRR qui passaient par la Roche Écrite, puis par Dos d’Ane…) A La Grande Chaloupe, je retrouve la gentille bénévole (et ex élève du secondaire) Betty Morin, qui me sert comme à l’ordinaire la bonne « soupe de maman » ; franchement, de très loin, la meilleure de toute la traversée ! C’est aussi un plaisir d’être accueilli chaleureusement par Béatrice Clain, une amie de 1985 – quand je découvrais tous ces sublimes sentiers qui étaient encore loin de connaître les traileurs, et alors que beaucoup de gens marchaient aux bords des routes autrement moins encombrées de voitures… -, ainsi que Dominique Parvedy qui a déjà couru le GRR. Je laisse l’expérimentée Sandra Cerveau, qui a mené une très belle course, en montant régulièrement vers Saint Bernard. Françoise et Jean Louis Techer, de la famille qui a donné son nom au chemin local, sont venus à ma rencontre. On parle de la bonne progression de Mireille dont j’ai régulièrement demandé la position. Le familier « sentier rouge » atteint, je peux sereinement déclamer le poème du retour d’Ulysse. Je n’ai pas perdu la boule : elle est bien là, annonçant le Colorado. J’arrive sur une raideuse qui a comme une jambe plâtrée, lui proposant de prendre, dans ces circonstances, deux bâtons de bois ne présentant aucun des dangers évoqués pour l’interdiction des bâtons de trail au règlement. Après une petite discussion avec le collègue inspecteur de Mireille, qui me sert au ravito – la magie du Grand Raid étant d’abolir les étiquettes sociales au profit de rapports plus authentiques -, j’attaque cette ultime descente dont je connais chaque appui. Ayant un peu d’avance sur l’an passé, je la fais plus calmement, tout en souplesse et légèreté – tant du corps que de l’esprit, même si cette distinction n’existe pas en réalité pour moi, ce qui me donne une unique force toute animale – ne doublant avec courtoisie qu’une vingtaine de grands-raideurs. J’arrive en ce samedi soir à l’heure de l’apéro, comme prévu.
Jérôme Désiré le bien nommé, m’accueille chaleureusement sous l’arche – en même temps que l’illustre Cléo Libelle -, rappelant mon petit pedigree de « Multiraidiciviste », néologisme personnalisé que m’a attribué Emmanuel Guermeur. Contrôle technique 2019 OK. Mes sacs assistances sous le bras, je remonte à pied chez moi dans les hauts de Bellepierre : 3km et 200 D+ supplémentaires. Bain, repas et au lit. Mireille me réveille par téléphone à 2 heures du mat, me prévenant de son arrivée au Colorado. Après un copieux petit-déj, je vais à sa rencontre. Finisher, elle aussi, avec 2 heures de moins que l’an passé et en meilleur état.

Texte: Daniel Guyot
Photos: DR

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