Guillaume Vimeney, par le haut niveau en Ultra-Trail comme en Philosophie, a su conjuguer à merveille des voies de belles volitions et une voix de rebelles vertus, ce qui reste une référence d’autant plus appréciable par ces temps qui courent en nous dévoyant parfois du meilleur… Si tout le monde connaît l’histoire du médiatique Étienne Klein, philosophe des sciences qui s’est mis tardivement au trail, moins visibles, les expériences de Guillaume menées en parallèles dans les deux domaine (Philo et Ultra) sont sans commune mesure.

 

Une petite idée de son pedigree sportif, pour ne citer que des victoires, parmi d’autres nombreux podiums :

  • 1er à Ultra Trail Trans Aq’, 230 km, juin 2010, en 18 h 07 min
  • 1er au Mount Royal Trail, 50 km, juillet 2010, en 3 h 12 min
  • 1er au Grand Raid du Sahara, 180 km, janvier 2011, en 14 h 24 min
  • 1er au Bretagne Ultra-Trail, 120 km, avril 2012, en 11 h 23 min
  • 1er à l’Ecotrail de Bruxelles, 82 km, septembre 2012, en 5 h 50 min
  • 1er à The Trail, 110 km, mai 2013 et 2014, en 9 h 59 min, puis 10 h 12 min
  • 1er au Trail des Pyramides Noires, 110 km, le 30 mai 2015, en 9 h 52 min
  • 1er au Marathon des Villages, octobre 2013 et 2014, en 2 h 36 min, puis 2 h 40 min
  • 1er au Marathon de Blaye, mai 2014 en 2 h 41 min

A noter une jolie 61ème place scratch à sa découverte, dans la tempérance, de notre Grand Raid 2012, cependant que j’accompagnais sur un bon morceau, son sympathique père, Michel, lui-même vaillant Finisher… Belle entrée de « l’entreprise d’Ultra-Trail Père & Fils » en Diagonale des Fous ! Là encore, expérience d’une belle philosophie pratiquée, déjà réalisée en 2010 par Arnaud – jeune élite – et Pierre Claude Moisan – vieux briscard de l’Ultra-Fond – qui eux, finirent ensemble…

Ses principaux ouvrages :

  • « Naturaliser la sociologie », Paris, Sisyphe, 2008.
  • « Philosophie des thérapies cognitives », Paris, Sisyphe, 2009.
  • « Du fondement des sociétés humaines », Paris, Sisyphe, 2009.

Il est un lieu commun d’évoquer «une philosophie du trail» qui qualifierait plutôt un mode de vie (ou des restitutions métaphysiques) intégrant des pratiques de course en nature, et on m’y a parfois associé (à l’opposé d’hommes machines abordant plus les montagnes avec des protocoles que par curiosité, imagination, envie, spontanéité, authenticité…) ; il est aussi nombre d’experts qui s’improvisent chercheurs en « sciences humaines du sport »… Mais il n’a existé à ma connaissance qu’un seul cas de véritable Philosophe et Ultra-Traileur en même temps, aussi exceptionnel dans ses explorations conceptuelles que dans ses expéditions en milieu naturel, Guillaume Vimeney…

Ma vie menait à le connaître sur le terrain, – une chance -, dans le cadre enchanteur du Néouvielle pyrénéen… On m’y voit sur cette photo avec le binôme de champions (alias Guigui et Tonio, dans le monde du trail) qui ont fait honneur à la parisienne « Team Outdoor ». Comme Guillaume Vimeney (au centre), Antoine Allongue a un palmarès énorme… Il voue son existence au sport, en étant, outre un expert en trail qui continue de performer, prof d’EPS…

Explorant un lien avec la philosophie de Guillaume, l’Ultra-Trail me semble relever d’une expérimentation providentielle au cœur de ce qui se joue de plus fort entre le social et l’intime. J’ai souvent évoqué un « mariage de l’instinct et de la raison », titre d’une page qui m’était consacrée dans Le Quotidien, en juillet 2019, sous la brillante plume du grand journaliste sportif formé à Ouest-France, avec son style de sprinter et son art endurant de cerner les contextes, Emmanuel Guermeur.

La Base : ne pas prendre ses désirs pour la réalité, mais plutôt accorder une réalité nuancée à ses désirs, associer avec discernement les pensées aux émotions, garder le bon sens dans l’éveil de tous ses sens… Être capable de « maîtriser » un tant soit peu ses ressentis, ses sensations, sans les interpréter de manière univoque et stéréotypée selon des grilles d’évaluations « émotionnalistes » chiffrées, mais avec une réflexion tâtonnante, pas à pas, quitte à en faire de côté, nourrie d’expériences et ancrée sur le socle des humanités.

Une filiation avec le stoïcisme est bienvenue ; comprendre un tant soit peu la nature de sa propre nature, enracinée dans celle du monde ; appuyer ses jugements sur cette expérience pour être aussi émotionnellement que physiquement résistant aux malheurs, aux erreurs, aux souffrances, aux stratégies trompeuses… dans l’exercice de déterminations les plus favorables possibles, d’introspections vertueuses. Plus facile à dire qu’à faire ; l’Ultra-Trail est une pratique de choix, la plus naturelle, pour se forger cette persévérance avisée au cœur d’un complexe intentionnalisme plus ou moins conscient, entre inné et acquis, afin de rester lucide sur son chemin, constructif dans son cheminement, accordant aux contradictions confuses, une résultante positive.

Le contemporain « Fighting Spirit » de l’Ultra-Trail – dont se revendique Guillaume – trouve à mon avis ses meilleures sources dans la Mètis grecque, la mère des intelligences, constituant un ensemble complexe mais cohérent d’aptitudes physiques et mentales, de dispositions intellectuelles (flair, anticipation, sagacité, souplesse d’esprit, contournements, intégration des obstacles, adaptations aux imprévus, transposition de faiblesses en forces, vigilance, initiatives inédites, habiletés diverses, plasticités sans limite…), sur la base d’une grande expérience longuement acquise, dans un palimpseste de parcours, et dont les parchemins se fondent par chemins faisant…

J’ai employé l’imparfait car Guillaume a pris ces toutes dernières années un tournant managérial – encore de haut niveau – l’ayant, provisoirement je l’espèrerais, éloigné tant de la philosophie que du trail. (Il est certain que de grandes évolutions de carrières peuvent difficilement s’articuler avec le haut niveau en Ultra ; et plus généralement, la condition du trailer demeure très aléatoire, notre discipline étant à la fois très populaire mais peu codifiée… Et même pendant la période de son haut niveau en trail, Guillaume connaissait un clivage social avec son travail de philosophe.) Quant au professeur Antoine Allongue, il continue de faire briller le maillot jaune de la Team Outdoor sur de nombreuses épreuves.

Pour ceux qui veulent aller plus loin – un peu ardu, comme l’Ultra-Trail, mais tout est question de bonne volonté en course comme en philo… -, avec Guillaume Vimeney:

https://strathese.unistra.fr/strathese/index.php?id=841

La philosophie occidentale, basée sur la métaphysique disqualifiant l’immanence, (à de rares exceptions tels Spinoza et Nietzsche), peut difficilement penser l’essence du sport et encore moins le corps sportif… Si toute philosophie du trail s’avère encore une impasse, nul doute que l’Ultra active automatiquement la pensée et inspire des philosophies pratiquées, dans les pas des stoïciens. L’ouvrage « Philosopher en courant » de l’exceptionnel Ultra-Fondu, Serge Girard, qui a traversé les continents, en témoigne. Et comme l’explique Cécile Coulon ayant écrit le « Petit éloge du running », quand on part courir sans trop se poser de questions (ce qui est contraire à la philosophie…), on en revient avec pas mal de réponses… J’ajouterai qu’on piétine l’expression « Bête comme ses pieds » (marquant l’écart le plus éloigné entre la tête qui a de la hauteur et les pieds au plus bas) au profit de celle « C’est le pied ! », même en « courant comme un pied », pour avoir vraiment « pris un pied » à courir…

Mais ceux qui écrivent le mieux sur la course à pied ne viennent pas du trail, comme si cette pratique hybride – ni dans la haute montagne réservée à l’alpinisme, ni dans l’athlétisme, et donc privée de ces deux ivresses, sans être non plus dans le contemplatif de la rando… – avait du mal à se forger une âme… Le trail se cantonne souvent dans des approches journalistiques, pédagogiques, sociologiques, psychologiques, biographiques, techniques, humoristiques…, c’est le hic, sans constituer un corpus globalement emprunt de réelles qualités littéraires, sauf rares exceptions, comme celles-ci :

  • Brice Delsouiller, Des nuages plein la tête, Michel Lafon, 2018
  • Jean-Philippe Lefief, La folle histoire du trail, Guérin/Paulsen, 2018 (Essai)

Pour la course de Fond, parmi un foisonnement très hétérogène, des publications sortent du lot :

  • Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, Belfond, 2009
  • Bernd Heinrich, Bêtes de course, Guérin/Paulsen, 2020 (Essai)

Pour la Haute Montagne, le corpus est en revanche immense et à la hauteur du sujet, (j’aurais pu citer les écrivains/alpinistes Terray, Rébuffat, Bonatti, Desmaison…) entre un pionnier enchanteur et un contemporain prometteur :

  • Louis Lachenal, Carnets du Vertige, 1956, édition expurgée, Guérin, 1996
  • Paul Bonhomme, « Raide vivant », Guérin/Paulsen, 2020 (Pas de parenté avec notre grand aventurier local, l’autre ami homonyme, Marc, alias Mcjb ; un guide de haute montagne et « Ultra-montagnard » d’exception.)
  • De fort belles biographies qui font rêver, immortalisent des parcours extraordinaires, tel « La trace de L’ange » concernant « La vie de Marco Siffredi » (sous-titre), Antoine Chandelier, Guérin 2005, . Des grands auteurs inscrivent les excursions en montagne dans l’histoire littéraire, tel Erri De Luca, « Sur la trace de Nives », Gallimard, 2006… A noter les écrits du plus grand alpiniste de tous les temps toujours bien vivant, Reinold Messmer, tel « La montagne nue », Guérin, 2006. (Dans le Nanga Parbat, Reinhold a perdu son frère Günther et a vécu la plus terrible des histoires de survie…)

Comme pendant aux hautes montagnes, on pourrait aussi s’intéresser aux traversées du désert (aux sens propre et figuré à la fois). Quiconque a déjà fait la Diagonale ne saurait que relativiser son « exploit » en lisant « Smara – carnet de route d’un fou du désert », Michel Vieuchange, Phébus, 2004. Dans les pas d’Arthur Rimbaud ou d’Isabelle Eberhardt, ce « pèlerinage monstrueux au royaume de nulle part » selon Paul Bowles, révélé en 1932, fut salué de Paul Claudel à Théodore Monod…

Entre autres adaptations à cette crise Covid, il n’est pas inutile de lire en s’ouvrant à ceux qui ont su faire marcher ensemble la tête et les jambes haut et loin – ou à défaut d’aimer lire, faire au gré de leurs pinceaux (synonymes de pieds), des balades artistiques avec Charly Lesquelin dans les hauts oniriques de l’île, ou dans les Alpes épurées avec Émilie Bouchard…-, un autre partage à défaut de compétitions. En attendant leur retour, pour synthétiser la Doxa de l’Ultra, on peut dire avec Descartes : « Je cours, donc je suis »… (Ce qui marche déjà avec… « marcher », ainsi qu’avec d’autres verbes d’actions, et d’autant mieux, ancrées dans la nature, réceptives aux altérités…)

Texte et photo Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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