Quand j’étais petit, mes parents me disaient : « ne mets pas tes doigts dans le nez ». Quelques dizaines d’années plus tard, à deux jours de ce voyage pour les Baléares, je me retrouve assis sur une chaise, dans un cabinet médical, à me faire enfoncer un goupillon dans le pif, mon passeport pour respirer plus librement sans doute l’air de la mer.
Cette étape nasale franchie, cap vers l’Espagne, un trajet que nous partageons Anne et moi avec nos amis Cédric et Cathy Chavet. Il n’y a pas plus de monde dans le grand aéroport de Barcelone que de promeneurs en tenue de soirée au beau milieu d’un champ de betterave. Plus rien ne m’étonne, mis à part peut-être que la frontière au Perthus se franchisse sans contrôle, que l’on embarque sans contrôle et qu’on ne regarde pas les résultats de mon test à l’arrivée… C’est bien la peine de nous cassez les pieds.
Sur place, Christophe Le Saux nous attend, la peau hâlée par ses traversées successives d’autres îles aux eaux turquoises.
Il n’y a pas à dire, les retrouvailles autour de notre sujet préféré, le baroud en trail, font un bien fou, et même si les autorités ne nous autorisent pas à courir au-delà de 23h, l’heure fatidique où les virus se bousculent à la recherche d’un hôte à deux pattes courant la campagne, nous sommes heureux à la perspective de couvrir les 185 km en 2 étapes diurnes.
Balades, galopade et baignades occuperont les deux journées d’avant course en nous donnant un aperçu de la chaleur et du terrain, bien que pour ce dernier, après 4 éditions, j’en connaisse les détails.
Jour J, il est 05h45 quand nous nous approchons des plots de départ espacés de 1,50m. C’est pas mal, surtout le deuxième jour quand le coureur pue. Petit calcul immédiat, si c’est pareil à Cham au mois d’août pour l’UT-chose, et vue l’étroitesse de la zone de départ, ça devrait faire 4 plots de front sur 937m de long. Bien sûr, il conviendra de respecter cet espace vital , c’est-à-dire de passer à l’équivalent de deux plots sur le chemin des Houches afin de ne pas réduire à néant cet effort collectif, ce qui fera alors une queue de 1874 m. Aucun souci, des drones de surveillance équipés de fusil paintball patrouilleront au-dessus des troupes farouches, éliminant les contrevenants d’une marque rouge sur leur front.
06h, top départ, nous filons, ravis, le long du vieux port de Ciutadella. Pau Capell prend les commandes, très raisonnablement, entraînant quelques trailers dans son sillage. Il pilote ses deux pieds comme un as dans la roche abrasive du chemin côtier, le fameux Cami de Cavalls.
Pour cavaler, ça cavale ! 97 km au programme, 12 à l’heure pendant 30 bornes avec 800m+, c’est le temps qu’il me faut pour rejoindre Cédric parti dans le groupe de tête.
La chaleur grimpe, le terrain peu, l’envie d’en découdre beaucoup ; c’est super de retrouver cette atmosphère compétitive, même s’il plane une sorte d’habitude de rester dans sa zone de confort.
Cédric et moi avions tâté de la compète en Italie un mois plus tôt, ce qui nous permet d’accepter plus facilement les passages difficiles, les envolées de pulses, les efforts supplémentaires pour réduire les écarts, et de renouer avec la gestion des ravitos express.
Km 44, Binimel-la, j’ai rejoint Pau et son compagnon de course Joan Fiorit. Je ne m’attarde pas et pars en tête. La piste est large, le soleil implacable, mon visage se couvre de cristaux de sel, je bois bien pour limiter les pertes minérales. Sur ma gauche, la côte est belle, très découpée ; je la surplombe de 50m en zigzagant à présent sur une petite trace. Je dois quitter la mer des yeux pour naviguer entre les cailloux acérés. Une erreur de trajectoire serait fatale. J’ai choisi les Challenger GoreTex pour leur confort sur piste et route, leur amorti, et pour les passages sableux. C’est parfait.
Pau me rejoint. Nous arrivons ensemble à Plagia del Fornels, km 55, belle anse aux eaux calmes, plage de sable blond où farnientent quelques vacanciers. Après un long ponton de bois qui nous évite le sable, nous pointons ensemble au ravitaillement.
Seul point d’assistance, j’en profite pour manger du riz, de la patate douce, boire un peu de chia et de coca. Je repars les poches pleines tandis que Pau m’attend et accélère sur la longue portion de route avant de rejoindre le parc naturel. Pau m’accompagne un peu, puis s’éloigne inexorablement. Il court juste aujourd’hui, en préparation d l’Ut-chose, ayant déjà cumulé de belles sorties cette semaine. L’important pour moi est donc de gérer mon avance sur les autres coureurs. J’aurais bien aimé que Cédric ou Cricri soient avec moi, mais le premier étant tombé assez tôt, heureusement encore en course après s’être remis d’aplomb après quelques étirements et des brasses en mer, et le second ayant dû stopper à cause d’un mal de dos récurrent, je dois doser seul mon allure.
Quelques appels de crampe au mollet droit m’invitent à ralentir. Le sentier contourne des lagunes par des champs déjà fauchés. Le climat est chaud ici !
Passé le far de Favarix, Il me reste 18 km. Je pense à la course de demain. Encore à plus de 11 de moyenne, je décide de relâcher un peu le rythme, d’autant que le final comprend de la route, que mon mollet droit menace de partir en crampe, et qu’économiser ce qu’il me reste de fibre est important.
L’ombre de la forêt de pins d’Es Grau me fait du bien. Je me rappelle des 3 tortues d’Herman rencontrées ici pendant nos promenades.
Cette année, nous traversons un camp militaire, une belle surprise qui nous évite plusieurs km de route. En la circonstance, je préfère l’herbe haute que le macadam !
Enfin les abords de Maon en vue ! Je m’accommode de la route qui me mène au port. Encore un bon km le long des quais bondés de bateaux de plaisance et c’est l’arrivée ! 8H47, je n’espérais pas mieux. Les sensations sont bonnes après 97 km et 2200m+, mais pas loin de ressembler à celles d’une course aboutie. Il va donc falloir optimiser la récupe à fond d’autant que j’ai à peine le temps de répondre à quelques questions et boire un verre rafraîchissant que mon poursuivant, Joan Fiorit arrive à son tour, à juste 4’. Derrière, deux autres coureurs pointent à 19 et 21’. Cédric boucle sa course en 9h38 après un arrêt de 30’, c’est balèze.
Je me trempe les jambes sans tarder dans l’eau du port en attendant l‘arrivée de Cédric, tandis que Cricri venu m’accueillir revient d’un supermarché avec deux sacs de petits pois congelés pour m’offrir une séance de cryo improvisée ! Boisson de récupe Aminov, petit goûter protéiné avant le repas du soir, petite balade à pied pour drainer, auto-massage, les jambes vont bien.
Reste à bien manger ce soir, dormir du mieux possible, et ce sera reparti pour 85 km demain !
La suite sans tarder …
Texte Antoine Guillon
Photo DR