Provenant du malgache « Belova », Bélouve est le nom d’un important héritage, un grand domaine ouvrant de nombreuses portes : Hell-Bourg et tout le cirque de Salazie, le Piton des Neiges et Cilaos, la Plaine des Cafres, l’îlet Bananes et Takamaka, la Plaine des Palmistes, la forêt des Lianes et Bras-Panon… Le 16 janvier, nous en ouvrons quelques unes qui grincent plus ou moins, certaines officiellement fermées par arrêté préfectoral, d’autres définitivement condamnées : plus de 50 kilomètres et 2000 D+, avec deux bivouacs sauvages.

Alors qu’il inspire globalement une paisible horizontalité, le grand plateau de Bélouve mène beaucoup de sentiers vers des parois verticales et de périlleux précipices. Si beaucoup de randonneurs connaissent l’abyssal « Trou de Fer » depuis un point de vue aménagé très facilement accessible, peu ont emprunté les échelles descendant à Takamaka et celles hissant à la forêt des Lianes via une sente si exigeante que l’ONF indique 11 heures de marche… (On en mettait 6 dans les années 90, alors qu’un refuge de sauvegarde existait encore.) Dans l’expression « Trou de Fer » – qu’on dit aussi trou d’enfer – sans doute par une dérivation de la structure en aquifères, rien à voir avec le métal pourtant bien présent : aux plats planchers recouverts de grillage galvanisé, aménagés pour marcher tranquillement au-dessus des boues, tranchent les échelles verticales de confidentiels parois en roches et racines glissantes…

En guise d’échauffement, – et après rencontre avec le tournage du « ZeSpot#3 » – nous descendrons rendre visite à Hell-Bourg via ce classique serpentin que nous courrions en montant aux premières « Boucles des Salazes ». La carte célèbre du « Relais des Cimes » fait envie à notre passage mais nous allons casser la croûte aux anciens thermes. A l’instar de certains sentiers historiques abandonnés, les ruines de l’hôtel des Salazes (fermé en1984) font aussi pitié que celles de l’hôtel des Thermes à Cilaos (fermé en 2000). Les panneaux de TEMOR (Test en Montagne Régulier) de la station de trail, commencent de s’éroder ; mais le cirque vert demeure une valeur sûre pour l’entraînement. Nous y comptons beaucoup de départs (outre les B.S., Cimasa, Salazienne, KV Roche Ecrite, Trail Tour des Cirques) et de passages d’anciennes Diag’… Puis, tournant le dos au cirque, nous nous attaquons à ce fameux sentier menant, via la moussue et chaotique « ravine Monique » descendue sur 1km, au surplombant plateau Mazerin, puis à l’Eden de Bras-Panon…

Alors qu’on le faisait allègrement autrefois, dans un sens comme dans l’autre, avec de gros sacs, toujours admiratifs d’une sublime végétation primaire, quel chantier d’abandons aujourd’hui ! Certes, il est officiellement fermé ; mais les marques blanches et oranges se mélangent, divergent, ou se perdent depuis un moment sous les mousses ; les pestes végétales, dont l’opportuniste vigne maronne, pas seulement répandue par les oiseaux, vont étouffer tout le reste ; en bas, le GPS n’est pas inutile ; là-haut, une dangereuse partie dégradée en corniche du Mazerin, justifie la fermeture… Afin de recouvrer un peu d’espoir sur l’avenir des sentes – et se dégourdir les abattis… -, nous empruntons un grand classique qui vient d’être très bien refait, menant du gîte de Bélouve au Cap Anglais ; c’eût été un plaisir d’y passer dans ces conditions lors de la fameuse Diag’ 2014… Après cet intermède reposant, nous allons visiter le vertigineux sentier de Takamaka menant à Ilet Bananes, boueux, glissant (à éviter absolument en saison des pluies…) Enfin, en guise de cerise sur ce feuilleté forestier, c’est un véritable joyau qui nous attend, bien lové dans le vaste plateau ; beaucoup de randonneurs connaissent la « Grande Mare » mais moins la magnifique « caverne aux hirondelles » ; elles virevoltent, toujours aussi nombreuses, au-dessus d’une imposante étendue d’eau diaphane sur fond de galets moirés, dans un univers tropical à souhait, rehaussé de grandes fougères arborescentes…

Croisée du « cassé de Takamaka », je repense à cette époque où l’on pouvait encore descendre via de branlantes échelles sur la source Bras Cabot pour rejoindre, de manière très acrobatique, la Plaine des Palmistes ; ce qui impressionnait l’ancien forestier, feu Joseph Alexis Arhel ; il tenait alors avec Lucette une aussi sympathique que rustique auberge rurale ayant donné le nom « Table d’hôtes » à un arrêt de bus de la Petite Plaine ; bonne étape dans des traversées de l’île à pieds, en alternance avec les passage par la Plaine des Cafres (le but étant de « double-traverser » Nord/Sud/Nord sans jamais repasser par un même sentier) ; la pause commençait par des beignets au plantes du coin, arrosés par une collection de punchs aux fruits du coin… Une bonne descente tout en refaisant le monde des sentes…

Bélouve ne fait pas dans la demi-mesure ; envoûtante et florale avec ses fuchsias, arums, bois de corail, et même quelques hortensias donnant une touche bretonne (…), elle peut se montrer très cassante avec ses boues, trous, précipices et végétations impénétrables ; elle attire, d’une part, les touristes, sur ses spots très accessibles ; et d’autre part, les montagnards très expérimentés – avec option milieu tropical -, sur ses confidentielles sentes plus ou moins praticables et chargées d’histoires, pétries d’un lien entre des hommes forts et une nature qui ne l’est pas moins. Les traileurs ne font guère que « tangenter » Bélouve, essentiellement via le bord du rempart de Salazie entre le gîte et Cap Anglais ; l’art des pentes raides étant de les arpenter pas à pas en marge des raids patentés, jamais aucun trail n’aurait pu passer par le sentier des Lianes, ni celui d’Ilet Bananes… Ils demandent en priorité l’usage des mains avant celui des pieds… Mais quand on a mis la main sur ces portes secrètes de Bélouve, alors c’est vraiment le pied !

Texte et photos Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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