Philippe Nativel a découvert le jiu-jitsu brésilien un peu par hasard, il y a une quinzaine d’années. Mais le quadragénaire, champion d’Europe 2017, s’est piqué au jeu et veut en faire son chemin de vie, comme lorsqu’il a eu une révélation et rencontré Dieu.
Pratiquer les arts martiaux ou un sport de combat résulte souvent d’une rencontre fortuite ou de l’identification à un modèle. Concernant Philippe Nativel, c’est une combinaison des deux qui l’a extrait de ses pratiques de jeunesse – karaté avec Julian Maillot, boxe française avec les frères Bègue, boxe américaine avec Gérald Philippot – pour l’entraîner vers le jiu-jitsu brésilien, au départ techniques de self défense qui permettaient aux petits d’avoir une chance de battre les grands. « J’ai un cousin d’un an plus âgé que moi, Mickaël Hoareau. Il pratique le wing chun kung-fu et le jet kune do. A l’époque, il m’a parlé d’un Brésilien, Royce Gracie, qui battait tout le monde grâce à son jiu-jitsu, les plus lourds comme les plus endurcis aux disciplines pieds-poings. »
C’était le temps des premiers combats dans l’octogone de l’UFC, en 1993, les débuts du MMA (mixed martial arts) et la mainmise des techniques à base de combats au sol, soumission, clés de toutes sortes et étranglements. Comme Philippe Nativel, marmaille, a toujours aimé se « chiffonner » avec son frère, iI retrouve dans le « JJB » le plaisir des saisies et des prises. « J’ai toujours adoré le contact au sol. Ça me rappelle les bagarres avec ce grand frère. Des bagarres toujours amicales, sans agressivité. Dans le jiu-jitsu, on retrouve ces sensations alors que le spectateur n’a pas l’impression qu’il se passe grand-chose sur le tatami. »
Fouler les tatamis de la famille Gracie
En effet, pour tout béotien peu au fait de la chose, le « JJB » apparaît comme un sombre entrelacs de bras, de jambes et de troncs dont on tente maladroitement de discerner le dominant du dominé. « Il y a beaucoup de stratégie, explique Philippe Nativel. La situation de combat peut s’inverser en une demi-seconde. Pour gagner, on a doit donc beaucoup réfléchir. » Même à plus de 30 ans, l’homme apprend rapidement au contact de Thiago de Guimarães. Titres et places d’honneur s’empilent au fil de compétitions internationales qui requièrent beaucoup de sacrifices et d’investissements personnels. Champion d’Europe ceinture bleue, des podiums à la pelle en ceintures violette et marron, ainsi qu’au tournoi international de Rio au Brésil où le Réunionnais goûte à l’une de ses plus grandes joies, celle de fouler les tatamis de la famille Gracie. « Un moment fort, très intense », se souvient-il.
Jusqu’à la consécration, en janvier 2017, avec le titre de champion d’Europe Gi (avec kimono) chez les masters 4 ceinture noire en poids léger (moins de 76 kg), au terme de trois combats menés tambour battant. Ce titre arrive quelque temps après un sacré virage négocié par Philippe Nativel. Virage sportif, spirituel et professionnel, excusez du peu. Car en 2014, se produit un mini séisme dans le petit monde du « JJB » péi avec le départ de quelques cadres originels et la création de l’association de JJB « Marron » Chekmat Réunion autour de Philippe Nativel, Géraldo Dumont et Alexis Sztrakoniczky. Même s’il ne côtoie plus son ancien entraîneur, le Dionysien ne nourrit aucune animosité envers Thiago : « J’ai toujours un cœur reconnaissant pour lui, pour le travail qu’il a laissé. »
« Dieu m’a donné un équilibre dans ma foi »
« C’est exactement à ce moment de fêlure sportive que j’ai rencontré Dieu », déclare sans ambages le Dionysien, désormais adepte de l’église protestante évangéliste Extravagance à Saint-Pierre. « Dieu me parlait au travers des événements et des situations que j’ai traversés, poursuit-il. Il m’a donné un équilibre dans ma foi. » Sans en rajouter, Philippe Nativel parfait sa connaissance spirituelle dans la Bible : « On va dans l’explication de ce qui est dit. » Faut-il également relier ce renouveau quasi mystique avec sa rupture professionnelle quelques mois plus tard ? Sans aller jusque-là, Philippe Nativel y trouve matière à réflexion sur sa vie future : « J’aimerais travailler dans le social, avec les jeunes en difficulté, car beaucoup se perdent aujourd’hui. J’aurai plus de plaisir à partager mon JJB qu’à vendre des produits d’assurances. »
Marié « au bout de dix-sept ans de vie commune » et déjà grand-père d’une petite fille de 5 ans, le « quadra » est en train de dessiner les contours de sa vie « d’après » : une formation obtenue au sein de l’IBJJF, l’une des instances qui régit le jiu-jitsu au niveau mondial, puis auprès du ministère des Sports avec l’obtention d’un diplôme fédéral et le long cursus vers le BPJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport), seul viatique pouvant lui permettre de vivre de sa passion. « Je reste lucide. Il est quasi impossible, actuellement, de vivre du jiu-jitsu. Mais, au sein du label Checkmat Réunion, qui couvre toute l’île, de Petite-Ile à Saint-André en passant par la Saline ou La Possession, on peut développer notre discipline. »
Revenir plus fort encore
Certes, Philippe Nativel a perdu son titre de champion d’Europe Master 4 au championnat d’Europe à Lisbonne en 2018. Mais il entend revenir plus fort encore. « J’ai été perturbé dans ma préparation par un mal récurrent au dos. Je savais que je n’allais pas pouvoir tenir la distance d’un tournoi aussi relevé au Portugal. Et j’ai logiquement perdu au deuxième combat. Je me suis soigné, je pense être à 100 % mais je ne pense pas être suffisamment préparé pour le championnat du monde au mois d’août prochain. J’espère bien être présent en 2019 pour d’autres grands rendez-vous. Egalement, je pourrai concourir dans d’autres fédérations et maintenir mon niveau. »
Plusieurs fois par semaine, le champion d’Europe accompagne ses « dalons », Alexis Sztrakoniczky, Mickaël Ethève ou Frédéric Barthélémy, le dernier venu, et la trentaine de « marrons » de l’association dans une des salles du « QG », au Butor Saint-Denis, avec un regroupement, le samedi, qui agrège de plus en plus de combattants des autres clubs de l’île. « On échange avec l’île Maurice et Madagascar, termine Philippe Nativel. Il faut reconnaître que beaucoup de choses dépendent des moyens qu’on se donne. Mais pas seulement. J’ai vraiment foi en mon sport. » La foi, concept qui trouve toute sa résonnance dans la bouche du champion dionysien.
Texte: Jean Baptiste Cadet
Photos: Luc Ollivier
48 ans, champion d’Europe 2017 « Gi » Master 4 poids léger