Annoncé par le Général Paul Sanzey, – chasseur alpin, commissaire aux sports militaires – un « Village des blessés des armées Adjudant Géo André » – du nom d’un militaire sportif ayant participé aux J.O. en 1908, 1912, 1920, 1924, blessé au cours de la 1ère guerre mondiale, et mort pour la France lors de la 2ème – est inauguré au CNSD (Centre National des Sports de la Défense) de Fontainebleau, le 11 avril. Un mois plus tard, c’est au tour de La Réunion d’emboîter le pas, en fédérant un marathon civils/militaires, un semi, et des foulées, dans un tel village mis en place au parc du Colosse de Saint-André, le 25 mai.
En métropole, l’objectif est avant tout d’offrir aux blessés, accompagnés de leurs familles, un cadre approprié pour permettre des activités de reconstruction par le sport, favoriser l’accès des blessés militaires à des activités sportives, et éventuellement à la compétition. Le village œuvre également à l’accompagnement des militaires touchés par une incapacité temporaire dans leur retour opérationnel, et des anciens militaires invalides dans la durée.
A La Réunion, il s’agit essentiellement d’accompagner des militaires blessés en vue d’une réinsertion dans la vie civile, le sport étant un moyen parmi d’autres. Ancien parachutiste plusieurs fois blessé, Frédérick Nivarosa, alias Niki, rentre sur son île en 2016 après 25 ans passés sous les drapeaux. Il prend la mesure des difficultés auxquelles sont confrontés tous ses camarades dans la vie civile. L’ARBA naît alors à Saint-Pierre sur la base d’un refuge (maison louée 2 ans) avec potager et activités diverses dans le cadre d’une vie collective, en retissant des liens salvateurs, aux autres, à la terre insulaire… Après avoir frappé à de nombreuses portes, c’est à Saint-Benoît que l’association a obtenu un solide soutien, avec une mise à disposition des anciens locaux de l’ALEFPA sur La Confiance, grâce au maire, Patrice Selly. Composé de 7 bâtiments, le village permettra de créer un espace de parole, une cellule d’accompagnement psychologique mais aussi social, une maison pour accueillir les familles, des activités ludiques, un potager, un réfectoire. Le site ayant été 3 ans à l’abandon, des travaux, à commencer par un sportif coup de peinture, sont nécessaires. Un important défrichage a déjà été effectué par l’association qui fédère de nombreuses bonnes volontés, associant les jeunes et ouvrant les portes au-delà de l’armée. Les cadets du RSMA, de la gendarmerie, mais aussi la chambre des métiers via son centre de formation de Saint-André, et le LP Jean Perrin, sont déjà engagés dans le projet. Dons financiers (défiscalisables) ou de matériel sont bienvenus ; et qu’on ne s’étonne pas du prix d’inscription des civils au marathon, qui reste cependant mesuré : 68 euros en réservant le repas.
Tant au plan de leurs statuts respectifs qu’à celui de leurs doctrines, ces « villages » solidaires de Fontainebleau et de Saint-Benoît, sont bien différents, mais ils procèdent tous deux d’un même socle d’accompagnements humains, dans la dignité, et où le sport prend une place importante.
Une union sportive avec des préparations à la course à pied bien différentes
Aux engagés dans les armées, le sport est un outil pour devenir et rester opérationnel, en distinguant la pratique des disciplines sportives en particulier, et des activités physiques militaires en général : parcours du combattant, d’obstacles, et course d’orientation, sont à privilégier, ainsi que les techniques d’intervention opérationnelles rapprochées, et d’optimisation du potentiel ; ce qui n’exclut pas de pratiquer la boxe et la course à pied… (Cf. « Doctrine en Entraînement Physique, Militaire et Sportif, EPMS. Référence : Directive ministérielle n°17615 du 23 décembre 2003 »). Chaque année, le militaire effectue son test de Cooper pour valider son aptitude physique. A rebours de l’esprit de compétition dans le domaine civil, on doit comprendre que le potentiel d’une section de combat, par exemple, se mesure non pas aux performances du plus fort mais à celles des plus faibles ; s’agissant des équipements, contrairement à l’obsession d’allégement des coureurs civils, les instructeurs militaires privilégient la course en treillis, brodequins, casques, et armes, sans viser des performances individuelles : les cohésions, de groupe, de section, de compagnie, sont primordiales ; on retrouve là les valeurs originelles du trail, disparues – plus coopératives pour aller au bout ensemble, que compétitives pour que les meilleures se distinguent -, et on mesure le panache de nos amis militaires pour s’associer à une course ouverte aux civils ! Il n’est guère étonnant qu’un civil aguerri remporte le 1er marathon ARBA.
Des passerelles performatives entre civils et militaires
Le Général Sanzey à la tête du CNSD – s’affirmant, lui-même sportif passionné, en grand patron des sports militaires – renforce l’objectif ancestral au niveau des J.O., d’aider le monde civil à performer. Nul doute que notre célèbre animateur du village ARBA, Jean-Louis Prianon – Monsieur 27 minutes 34 secondes au 10 km, 4ème aux JO d’été 1988 de Séoul ! -, ait connu cette proximité militaire pour représenter la France… Et nous connaissons bien toute l’importance accordée par Jean-Louis au handisport, concernant tant les civils que les blessés des forces régaliennes… Modèle et moniteur d’exception à La Réunion.
Depuis les années 60, les sports militaires ont formé 1000 moniteurs par an au profit des 3 armées, et de la gendarmerie nationale ; le Bataillon de Joinville, intégré depuis 2014 au CNSD, est entré dans la légende du sport français en encadrant des générations d’appelés talentueux, de Platini à David Douillet, ou encore avec Henri Leconte… Les 20 500 appelés du Bataillon de Joinville ont donné à la France 312 titres mondiaux, civils et militaires, et 45 médailles olympiques !
Ayant été moi-même secrétaire de l’escadron électronique – EE 51 -, j’ai expérimenté combien les liens civils/militaires s’articulent avec brio sur la base des compétences les plus pointues de la Nation, et même aux plans opérationnels. Pour brouiller les pistes d’avions, se mettre au mieux en forme sur les pistes de courses à pied, était un préalable… Réservé sur les enjeux de géopolitique actuelle, je reste persuadé de la plus haute importance des valeurs de l’armée – la discipline, la qualité de l’engagement, les règles… – à transposer dans la vie civile, et en particulier dans le cadre des compétitions sportives qui y sont organisées de manière exponentielle, avec quelques travers… En France, chaque unité militaire est sensée disposer d’un “officier des sports” et d’un club sportif ouvert aux civils ; une des missions d’un délégué militaire départemental est le renforcement du lien Armées-Nation.
À La Réunion, il convient de ne pas oublier que la 1ère grande course à pied fut les 100 km de la gendarmerie ; que c’est le PGHM qui initia la 1ère course de montagne – cross du Piton des Neiges de 1988 -, ainsi que la toute 1ère Diagonale, 1er Ultra Trail européen – Marche des Cimes de 1989 – gagnée par le militaire Gilles Trousselier, alors que le civil Laurent Smagghe était donné favori… Remontant plus encore le temps, rappelons-nous, pour son 75ème anniversaire en 2025, cette conquête de l’Annapurna en 1950, avec le militaire Maurice Herzog, et l’alpiniste expert civil, Louis Lachenal, l’élément fort de la cordée…
D’importants partenariats pour le marathon ARBA
Avec 200 adhérents, l’asso intervient toute l’année dans des établissements scolaires ; 7 000 élèves sont impliqués. Echo au « Day Run for Peace » de février en Métropole : un cross associe les collégiens du pays de Fontainebleau, préalable aux conférences et expo. Le Général Sanzey entend faire preuve de pédagogie à l’endroit de la jeunesse, et montrer de façon plus large, nationale et même au-delà, que le sport peut être un vecteur de rencontres, de dialogue, et donc de meilleure compréhension entre les nations…
Le partenariat local de l’ARBA avec l’Éducation Nationale a abouti sur un authentique projet pédagogique qui pourrait servir de modèle… J’ai eu le privilège de discuter avec les 9 élèves bénévoles du lycée professionnel François de Mahy, Saint-Pierre, – Ahaled Roukaya, Belizaire Jérôme, Callinghee Alex, Eqadlier Mathéo, Grondin Léa, Lallemand Enzo, Morel Pierre, Valeama Roshan, Vitry Louna -, et leur 3 enseignants accompagnateurs – Messieurs Boyer, Parassouramin, Thiébaut -, mesurant tous leurs engagements pour l’installation et la réussite de ce 1er marathon/village des armées, leur aide active aux ravitos et points d’épongeages sur la course. Du concret basé sur des instructions, de la discipline, de l’altruisme, ces plus belles valeurs civilisatrices qui devraient être revivifiées plus largement dans l’EN… Ces jeunes du LP F. de Mahy, en sont, – grâce à l’ARBA et leur Proviseure, Mme Petit -, les 1ers dignes ambassadeurs dans leur établissement.
Outre l’implication de l’Académie de La Réunion, les évidentes collaborations institutionnelles, opérationnelles, avec la mairie de Saint-André, et les FAZSOI, ont été à la base des 2 autres partenariats essentiels pour ce 1er village marathon.
Déroulement
Après un départ fictif permettant un échauffement sur 800 m, la course s’ébranle pour de bon à 7 heures, en ce calme dimanche matin du 25 juin, sur l’ancienne nationale de Champ Borne. Il fait encore plutôt frais, mais ça ne va pas durer ; nous apprécierons alors la récurrence d’un épongeage exceptionnel, et les ravitos ne feront pas défaut ; une fort belle promenade avec des paysages mer et montagne qui portent, scandée d’animations festives dont d’endiablées danses des îles sœurs ; mais également un circuit très alambiqué, des voies encombrées de véhicules, des chiens très opportunistes qui doivent rêver des bonnes viandes d’abattis humains, et même un risque de glissade sur des sarcives provenant du nettoyage à grandes eaux d’un restaurant : c’est un marathon qui ne manque pas de folklore et de piquant ! Tout en dépassant quelque peu la distance standard, son profil ne pouvait permettre d’y réaliser un chrono ordinaire ; avec un fort dénivelé comme celui de Saint-André-des-Eaux que je cours chaque année, les bosses y sont moins bien réparties. Il y a peu, à un âge déjà canonique, je mettais 3h17 à St-André ; là, au train, je serai sur du 3h30 ; et ce n’est pas le 3ème civil à l’arrivée, le jeune SEH Guillaume Bonneau déguisé en Zorro, qui parviendra à me mettre quelque pression ; 3 jours après, j’aurai les 15.5 km des foulées des saveurs palmiplainoises et 2 jours plus tard, les championnats régionaux de semi ; au total 3 courses en 8 jours, à gérer dans leur globalité… J’en termine en forme 2ème civil sur le classement séparé Sport Pro ; en réalité 6ème au scratch en fusionnant les listes des résultats civils et militaires, comme il se doit.
De retour au village des blessés
L’accueil y est très chaleureux. Avant de déjeuner, on assiste aux récompenses du semi marathon dans une folle ambiance ; les officiers et officiels en tenues blanches de cérémonies, sont nombreux sur le vaste podium où discours et protocoles, tantôt solennels, tantôt débridés, s’avèrent émouvants. Lors du temps mort avant les récompenses pour le marathon, nous déjeunons, cependant que les hommes en blanc se disséminent. Mireille a la surprise d’être appelée 1ère féminine par Jean-Louis, puis moi 2ème derrière l’ami Jean Daniel Vee, un spécialiste d’Ultrafond. À micro tendu, nous dirons spontanément toutes nos satisfactions pour cette belle manifestation solidaire. Nous pensons qu’un pareil protocole suivra avec les militaires, mais finalement, non… On leur remettra informellement leurs récompenses. Dommage. Des danses prendront place sur la scène, cependant que le village se vide déjà, trop vite… Entre autres rencontres des acteurs clés de cet éphémère village, je discute avec le doyen de l’ARBA, bon pied bon œil, se jurant d’être de retour en 2026, pour la 2ème édition. Quelle chance d’avoir les témoignages émouvants de ce grand Monsieur au parcours incroyable, Ghislain Constant, blessé de guerre âgé de 93 ans, vétéran parachutiste engagé dans les combats d’Indochine à l’âge de 19 ans… La marraine de cette 1ère édition, pionnière assidue du marathon sur l’île, Marlène Chane See Chu, fut bien présente, participant aux protocoles ; mais l’illustre parrain, Raymond Tangatchy, le coureur aux pieds nus qui gagna le 1er marathon sur l’île, et remporta la médaille d’or lors des 1ers JIOI, n’est finalement pas venu. Mais on l’en excuse volontiers, car les discrétion et humilité du grand champion qui n’est plus tout jeune, en ont résolument fait un homme d’action plus que de représentation.
Après un week-end UTOI loin de ces valeurs sportives, immédiatement suivi de la Ronde des Goyaviers qui réconcilie déjà avec une belle aventure sainement partagée dans les hauts – et où j’ai fait un bout de chemin avec un militaire très respectueux des anciens coureurs comme moi, Maxime Kume -, le marathon de l’ARBA nous aura pleinement reconstruits nous-mêmes, solidairement avec les blessés des armées… En une période où il serait si important de réconcilier, sans faille, tout le peuple avec ses forces régaliennes, d’infuser les meilleures forces d’âme chez la jeunesse, ce fut une belle journée de concorde sociale, d’agréable convivialité, dans la sportivité ! Bravo à Niki, à tous les membres de l’assso ARBA, aux chefs de corps pour leur soutien, aux partenaires ; à l’avisé animateur Jean-Louis Prianon, aux bénévoles pour ce village/marathon ; à tous les coureurs militaires et civils unis fraternellement sur les meilleures valeurs !
Texte et photos Daniel Guyot
Résultats du marathon
Scratch :
1er Vee Jean Daniel, club civil STASA, 2ème Flory David RPIMa, 3ème Begel Hervé COMSUP, 4ème Costier Cédric RPIMa, 5ème De Moncuit Quentin RSMA-R, 6ème Guyot Daniel civil NL, 7ème Bonneau Guillaume civil NL, 8ème Couturier Idriss DICOM, 9ème Gaborit Maxime RSMA-R, 10ème Angelvin Jorys RPIMa
Podium féminin :
1ère Fleury Cindy RSMA-R, 2ème Vélia Mireille civile NL, 3ème Henry Doriane Bureau AEM