En cette veille de fêtes, Daniel Guyot est d’humeur champêtre. Il nous emmène sur La Bernatoire nous conter ces histoires qui font partie de ces légendes.

La Bernatoire, une montagne qui rassemble les hommes et les bêtes, et qui fonde la Grande Histoire d’un vertueux col de collaboration pour la vie.

Les fêtes approchent qui appellent une trêve pour clôturer une année difficile où la vie réelle est mise à l’épreuve derrière les fictions sociales ; mais en dépit de quelques velléités d’en revenir à une existence plus saine, plus raisonnée, dans un imaginaire de « monde d’après », les animaux de compagnie vont subir les pétards plus que jamais dans un défoulement de confinements, la viande d’élevage intensif va être dévorée à outrance dans un excès compensateur du mal être de 2020… Alea jacta est. Mais il existe encore de hauts lieux plus respectueux de la vie, des bêtes, de la nature, riche en belles émotions sans artifices…

A l’heure d’un regain de crispations nationalistes en Europe, des liens ancestraux résistent de part et d’autre de certaines frontières. C’est un peu névralgique avec l’Angleterre depuis un moment – la mer qui sépare, on le sait à La Réunion où elle se fit d’emblée négrière, étant moins opérante que les montagnes plus ou moins marronnes -, mais avec les Pyrénées, la persistance de liens forts reste particulièrement vraie grâce à la transhumance de La Bernatoire qui associe l’Espagne et la France dans une pratique d’élevage fondamentale les reliant directement à une culture datant d’au moins 3 millénaires… Les éleveurs espagnols, en bonne intelligence avec leurs homologues français, ont même un droit de pacage, dûment écrit depuis 7 siècles, et qui n’a jamais été démenti, ni même modifié. Chaque année, plus de 1000 têtes de bétail parcourent 70 km très accidentés, en seulement 3 jours, depuis la vallée de Broto, pour franchir le fameux col à près de 2300 m d’altitude. La technocratie européenne qui est si agissante sur nos montagnes réunionnaises, pas toujours à bon escient, n’a pas pu encore atteindre cette essentielle coopération pour la vie en montagne. La Bernatoire ne s’est pas laissée berner par les moratoires… Son histoire s’est imposée au Parc National. Si les touristes français passent volontiers en Espagne pour y trouver des conditions plus favorables, en revanche, la sécheresse estivale conduit le bétail espagnol à faire le chemin inverse pour trouver de l’herbe bien grasse et de l’eau fraîche à volonté côté français.

En ce début d’août 2020, après avoir quitté la vallée d’Ossoue, traversé le gave portant son nom, nous nous hissons sur le Pla de Lourdes (1930m), jonction avec le chemin du GR10 offrant une vue sur la cabane de Lourdes (1947m) entre les terriers de marmottes, nombreuses à monter la garde à proximité en prévenant les amies… C’est aussi à partir de là que nous retrouvons les grands troupeaux de paisibles et veinards bovinés, nés à une belle vie de traileurs, à l’instar des célébrités humaines de leur pays, tels, Kilian, Iker… « Hola, amigas las vacas, como estan?… Avec le réchauffement climatique, elles apprécient d’autant plus la tradition de transhumance en France… Nous les laissons pour remonter cette verte vallée suspendue de La Canau (Sud) par un sentier muletier non balisé qui monte en douceur vers le col à précisément 2275 m d’alti.

Le lac circulaire de La Bernatoire se présente au soleil telle une perle bleu émeraude de 1.8 ha, étincelante sous les vaguelettes créées par les forts courants d’air du goulet, incrustée entre deux crêtes rocheuses qui décrivent la chaîne d’un pendentif ; avec un regard plus géologique : comme un creux de cratère rempli, curieusement niché en altitude sans alimentation ni déversoir apparent. Magique. L’eau est pure, les alevins de truites y frétillent. La plupart des randonneurs arrêtent là leur excursion, hypnotisés, mais pour nous le meilleur commence en continuant l’ascension jusqu’au pic qui présente, à 2516 m d’alti, de magnifiques vue sur le Taillon, l’Escuzana, le Mont Perdu, le Pic du Midi de Bigorre, La Tendenera… Autant de belles guirlandes sommitales, en ce Noël hivernal à l’envers de notre été austral, qu’on imagine étincelantes sous les lumières confidentielles de la lune, alors que les vaches ruminent de fades foins dans les vallées, en rêvant sans doute des prochains cadeaux pour leurs veaux au pied des sapins estivaux dans les altiers décors de La Bernatoire, là où la chèvre de Mr Seguin n’aurait pas été mangée par le loup… Un passage qui laisse encore croire aux pas sages continuant de l’honorer, par un épiphanique rituel chaque printemps et chaque automne depuis des lustres, qu’un « autre monde » est possible… Joyeuses fêtes à tous.

Texte et photos Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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