On peut penser que cette initiative de La Région, le 29 octobre (soit 8 jours après le GRR), réponde à un certain malaise médiatisé sur le manque de reconnaissance accordée aux locaux de la Diagonale 24 : Judicaël Sautron, 7ème au scratch, 3ème M1 (non récompensé), 1er réunionnais ; et Géraldine Lachapelle, 1ère M2, 1ère réunionnaise au classement (13 fois Finisher)… Ne méritaient-ils pas au moins de monter sur le podium de la fête finale à La Redoute ? Il est en effet courant que même les locaux de « courses quartiers » reçoivent une distinction spéciale pour avoir mis à l’honneur leur commune ; alors, s’agissant d’un ultra réputé mythique sur la planète, on s’étonne en effet qu’ils n’aient pas été d’emblée, plus fêtés, en replaçant l’exploit de nos « traileurs péi » dans une concurrence internationale, vu l’échelle de La Réunion au regard du monde.

Réparant promptement cette situation par l’invitation de ces héros réunionnais de l’édition 2024, La Région y a trouvé la belle occasion de rassembler des acteurs locaux de toute l’histoire du GRR. Des figures telles Marcelle Puy, Emilie Maroteaux, Jean-Philippe Marie-Louise, Cléo Libelle, Patrick Maffre, Jacky Murat, Richeville Esparon… Certains ont manqué, tel Eddy Myrtal ; et bien entendu les regrettés, Thierry Técher que nous avons cité et applaudi, Louis Ulentin… Mais ce fut également le moment d’une pensée pour des amoureux extérieurs de notre île, disparus, qui s’y sont illustrés sur le GRR, telle Andréa Huser, victorieuse en 2016 et 2017. Collectionnant le plus grand nombre d’arrivées, de 1989 à 2024, j’ai eu l’honneur d’être invité.

Multifinishers
Le plus grand mérite revient naturellement aux gagnants d’une course à pied. Mais s’agissant de l’histoire du trail, la qualité de « finisher » compte également. (Aux origines du trail, seul le dernier était fêté, tradition à l’endroit des finishers qui s’exprime encore pour la Diagonale des Fous). Dans tous les domaines sociaux, on tend à reléguer la robustesse au profit de la performance. Mais cette dernière peut s’apparenter à une obsolescence programmée, cependant que la première dure toute une vie, peut se partager et se transmettre ; le performatif restant plus individuel et éphémère ; héroïsme hors du commun des hommes… Cf. Olivier Hamant, « Antidote au culte de la performance : la robustesse du vivant », Tracts (N°50). La longue course d’endurance adaptative qu’est le GRR, pétrie à l’origine par la robustesse durable se ses acteurs, et non par la ponctuelle performance, a été accompagnée dans la durée – avec toutes les inéluctables fluctuations – par un certain nombre de coureurs. Chaque édition ritualise une vie avec un accomplissement fait de hauts et de bas : sa répétition dans le temps symbolise globalement l’évolution du vivant… Sans l’extraordinaire travail de Michel Jourdan – lui-même Finisher de 6 Diagonales entre1991 et 1999 -, ses bases de données et son site Runraid.re, les multifinishers seraient effacés sous des mythologies personnelles tenant le haut du pavé sur les réseaux sociaux, hors des réalités et de la connaissance du passé. Dans le sillage de mes 29 arrivées, il y a Charles Hoarau, 25 ; Jean-Christophe Pitarque, 24 ; nous sommes des témoins privilégiés de l’histoire – dont je suis un pionnier – et de l’évolution de la Diagonale. Breton d’origine, je ne m’en sens pas moins réunionnais ; et c’est d’ailleurs un breton, Thierry Gallou, qui, avec 16 Diagonales terminées, détient le record hexagonal devant Antoine Guillon, 15. Le bastion des plus nombreux et fidèles traileurs venant sur le Grand Raid, se remarque rien qu’aux « Gwen Ah Du » flottant partout, autant que « Lo Mavéli ». Les 2 fortes identités régionales, en des terres de trail distantes de 10 000 km, s’unissent fraternellement en Diagonale, avec fidélité.

Le destin international d’une initiative locale…
C’est à La Réunion qu’est né le tout premier Ultra Trail européen, en 1989. L’appellation de cette traversée initiatique, « Marche des Cimes » s’appuie sur deux bases essentielles. D’abord « marcher » qui renvoyait à une progression coopérative plus que compétitive : arriver le plus grand nombre ensemble quitte à « perdre du temps » pour aider les moins vaillants, plutôt que de « gagner » à tout prix pour créer de dispersés perdants ; la réussite d’un trail était moins individuelle que franchement collective… Ensuite, les « Cimes », qui marquaient la primauté du franchissement des montagnes, la grandeur humaine étant associée aux élévations à la fois morale, culturelle, et physique, grâce aux sommets. Conçue par des membres du PGHM, modèles pour ces qualités visées, l’épreuve dérivait du trek/alpinisme, avant de se rapprocher graduellement de l’athlétisme, au regard duquel le trail fut une émancipation : partages de courses libres, hors stades, non codifiées, dans la nature… Il convient de remercier les acteurs clés pour la pérennité de l’aventure ; le Président Robert Chicaud (Finisher de 3 Diagonales et 2 Passe Montagnes entre 1994 et 1997) qui mena longtemps la barre du GRR vers le meilleur horizon ; le secrétaire général Michel Pousse (Finisher de 4 Diagonales de 1990 à Ttrop1998) ayant récemment coécrit avec Olivier Bessy (Finisher de la Diagonale 2000), chez Orphie, 10/23, « Le Grand Raid de La Réunion – Une folle Diagonale » ; le directeur de course sur la plus longue période, Denis Boullé ; et bien d’autres qui ajoutèrent au challenge physique, un défi pour l’intelligence à inscrire durablement le GRR dans l’histoire de l’île, conjuguant le populaire et l’élitisme, le local et l’universel…

Un fort ancrage dans l’Histoire, le génie des lieux, les pas des ancêtres
En surplombant écho aux anecdotes/souvenirs des invités, le discours de la Présidente de Région, Mme Huguette Bello, avec une même force d’engagement que celui des traileurs, a resitué l’histoire du GRR dans celle du marronnage, inscrivant ce dernier dans la grande Histoire universelle des résistances, via les montagnes. Elle a convoqué de grandes références, ouvertes à d’autres espaces, comme les passages des Pyrénées durant la guerre d’Espagne (1936-1939), devenus sentiers de transhumance, puis de trail… Il conviendrait en effet de ne pas oublier l’origine et les usages passés des sentes empruntées par la Diagonale, les hommes qui les ont créés par nécessités de travail, de passages, de partages, de survies aux temps coloniaux… Le « Chemin des chemins » est toute une histoire léguée par d’autres héros du passé. Leurs déterminations, leur courage, et leur endurance, doivent nous inspirer pour aller de l’avant en portant dignement le flambeau de leurs mémoires.

 

Témoignages des héros du GRR
Autour de la grande table ovale salle Pavageau, Patrick a rappelé qu’aux 1ers Grands Raids, c’était un autre monde et un autre esprit, conscient que des évolutions devaient se faire ; outre l’anecdote de l’allègement au fil du sentier, de son beaucoup trop lourd chargement, le petit sac rose d’école que porta Philippe au fil d’une Diag’, est revenu sur le tapis ; les lampes rudimentaires pour les nuits ; les installations de postes de pointage et ravitos sommaires (l’autonomie était de mise), parfois moins rapides que les têtes de courses ; les gestes de solidarités, comme la rivalité bon enfant… (On était loin de la professionnalisation actuelle avec les gros enjeux des marques multinationales ; les chaussures de trail et autres matériels dédiés, n’existaient pas…) Jacky se demande si, après avoir été récompensé dans toutes les précédentes catégories, ça pourrait être encore le cas, en M7. Richeville, outre ses deux victoires, explique qu’il mène actuellement une Diagonale symbolique… Marcelle se dit réjouie de retrouver ainsi la grande famille du trail ; Judicaël exprime sa reconnaissance de se retrouver à la même table de ceux qui l’ont inspiré : « Ce sont des générations différentes, mais ça reste quand même un gros pan de l’histoire du Grand Raid. Et quand je vois d’aussi grands noms à côté d’un petit gars comme moi, ça me fait vraiment plaisir ».

Remerciements
Ce fut en effet un grand plaisir pour tous de se retrouver entre vieux briscards du Grand Raid, en présence de la relève ; un privilège d’être chaleureusement accueillis d’un même élan humaniste par la Présidente de Région, et la Conseillère régionale en charge des sports, Patricia Profil ; de recevoir par un appel individualisé du distingué maître de cérémonie, Stéphane Singa, des cadeaux et un trophée nominatif en forme de frondaison endémique qui vaut mieux que le laurier. Outre qu’elle est depuis toujours un grand partenaire du Grand Raid, La Région, se montre très reconnaissante envers les coureurs. Merci. Le meilleur à tous, et que l’aventure de l’Ultra-Trail réunionnais continue, sans oublier les valeurs forgées par les anciens, avec forces et fraternité !

Perspectives
Après avoir privilégié au départ l’attrait géographique d’une traversée Nature de 120 à 140 km, puis le format 100 miles pour coller à l’UTMB, puis l’intégration de contraintes qui allaient amputer le début et la fin du parcours (plus de volcan au Sud ni de planèze Nord), désormais, il semble que les « toujours plus dur et toujours plus long », constituent un nouveau cap pour l’ultra-trail réunionnais ; en tous cas, pour de nouveaux ultras. Cette surenchère d’additions purement formelles (km et m D+) assortie d’une augmentation des vitesses imposées par les BH, ne risquent-elles pas – outre les impacts sur la santé, les conséquences écologiques… – de reléguer certaines dimensions fondamentales du trail ? Une réflexion est nécessaire pour conserver un trail populaire, inclusif envers toutes les catégories Masters… Contrairement au jeune et opportuniste UTMB by entreprise, le GRR reste une association qui implique un bénévol

at largement populaire. Il est indépendant des « Word Series », etc. Son actuel directeur de course, le normand d’origine Thierry Chambry, diplômé accompagnateur en montagne, vainqueur du GRR 2007, est un homme de terrain. Le GRR céderait-il un jour aux acteurs 2.0 qui prennent de l’influence sur d’autres ultras ? Saura-t-il garder le supplément d’âme propre à cette singulière dynamogénie par la Nature de l’île, ainsi que l’esprit d’une primauté des partages humains lors de la Marche des Cimes, et toutes les traversées suivantes depuis 36 ans ?

Extraits du discours d’Huguette Bello :
«Que notre île est éclatante quand elle offre au monde ce qu’elle a de plus majestueux ! Le Grand Raid est une aventure humaine comme il n’en n’existe plus beaucoup. Une aventure qui nivelle par le haut, fait fi des origines et des différences. Tout le monde y a sa place, tout le monde y a sa chance. (…) Car bien au-delà du défi sportif, le Grand Raid est une célébration de la ténacité et une plongée dans l’âme même de notre île. (…) L’ultra-Trail et les courses d’endurance sont une école de l’effort et de la résilience. C’est l’apprentissage d’un équilibre délicat entre audace et humilité face à l’immensité des éléments naturels. Courir sur les sentiers de La Réunion, c’est aussi s’inscrire dans une tradition vieille de plusieurs décennies marquées par nombre de défis et de victoires humaines qui sont restés dans nos mémoires. (…) Chères coureuses, chers coureurs, jeunes et moins jeunes, je dois bien avouer que je vous envie un peu. Vous êtes les témoins privilégiés de la majesté de nos montagnes, de nos forêts, de nos rivières, de ce patrimoine naturel exceptionnel qui fait la fierté de tous les Réunionnais. Écouter le chant des oiseaux, sentir le parfum des fleurs sauvages, ressentir la caresse du vent sur la peau… Ces moments simples, même au plus dur de l’effort, sont autant de trésors à chérir. Je formule le voeu que chaque pas vous rapproche toujours un peu plus de vous-mêmes, et surtout, que vous franchirez chaque ligne d’arrivée de chacune de vos futures courses, enrichis, revitalisés et remplis de souvenirs impérissables. Je vous souhaite le meilleur pour la suite de vos aventures sportives. Continuez encore longtemps à inspirer les Réunionnais, à les émouvoir et à les faire rêver. »

Texte Daniel Guyot
Photos DR

   Envoyer l'article en PDF   

LAISSER UNE RÉPONSE

S'il vous plaît entrer votre commentaire!
Veuillez entrez votre nom ici