Ceux qui auront eu le privilège de courir l’édition 2024 de la « Boucle du Cœur de l’Est » – dont le sigle résonne dans le monde du trail : « The BCE » -, 2ème édition, pourront se targuer d’avoir passionnément embrassé toute l’île en ce samedi 7 décembre 2024. Se hisser sur ses altiers reliefs lunaires, pénétrer ses denses forêts tropicales, surfer sur les crêtes de ses cirques (Cilaos, Grand Bassin, Salazie), ramper sur ses rudes remparts verticaux, admirer tous ses sommets, plus ou moins proches… Passer du minéral au végétal, de points de vues panoramiques aux profondes luxuriances, de la nuit étoilée à l’azur ; en voir de toutes les couleurs… Selon un plan B qui devrait rester unique, près de 60 km pour 3500 m D+ de mémorable cavalcade…

Un trail qui faisait peur…
Il faudrait toujours croire au matin, « l’aurore au doigt de rose » comme dit l’Odyssée, mais beaucoup d’inscrits sur la BCE n’auront guère trouvé le sommeil la veille de ce sacré Eastern à la conquête d’un graal du trail, par lequel le rapport technicité/kilométrage n’a jamais atteint un tel niveau à La Réunion. Partis peu avant minuit de Saint-Denis en compagnie de l’élite Surfa Sanion, nous arrivons au stade d’Hell-Bourg parmi de nombreux amis qui ont le trouillomètre à zéro… Beaucoup ont bien conscience que l’aventure s’annonce très corsée. Il y aura en effet près de 10 % d’abandons ; comparés aux 2% sur la très physique Cimasarun (qui a, elle, la palme du rapport kilométrage/dénivelé), on mesure toute la difficulté de l‘épreuve BCE. En dépit d’un encadrement sérieux, apte à éviter les accidents – comme les poses de cordes à nœuds pour les passages délicats – on observera au final une simple bobologie assez récurrente avec prévalence d’entorses sur des sols piégeurs, et de cognements de têtes dans les fatras de branches et troncs d’une forêt primaire gardant les stigmates de la dernière saison cyclonique… Rien de méchant.
L’an passé, on avait qualifié la 1ère édition de cette course « d’Enfer de l’Est » du fait d’un sol particulièrement boueux, l’ordinaire en ces hauts lieux sauvages et exposés aux nuées. Cette année, l’ONF n’ayant pas rouvert le sentier Bélouve/Hell-Bourg dans les temps prévus, il a fallu modifier les parcours, qui sont devenus encore plus difficiles…Mais nous aurons eu la compassion des cieux, avec une météo particulièrement favorable, des sols secs vers Bras Chanson comme je ne les ai jamais vus en 40 ans de passages dans ces espaces qui épuisent habituellement les grands raideurs…

Les plans B
Quelques jours avant l’épreuve, il a donc fallu activer les parcours alternatifs, rendus obligatoires. Pourtant, avec pragmatisme, on se demande si les sentiers officiellement ouverts du plateau de Bélouve n’étaient pas en réalité dans un état limite pour un trail, cependant que la sente encore officiellement fermée pour descendre directement à Hell-Bourg ne semblait pas présenter de difficulté notable… Etonnant paradoxe. La BCE n’est donc pas allée tout à l’Est jusque Textor qui devait être son point d’inflexion, faisant demi-tour à la Plaine des Cafres ; cette suppression permettait l’important rajout d’une remontée via le rempart de Salazie sur le Cap Anglais pour redescendre la titanesque paroi grimpée de nuit… L’édition 2024, c’est environ 5 km de moins, mais 600 m D+ supplémentaires ! La version 45 km allait subir la plus forte gradation de difficulté en passant par le Duvernay depuis Bras Chanson, avant de rejoindre le parcours BCE. Quant au trail du Cap Anglais – ex « Boucle des Salazes » des années 90 dans sa prévision -, version 22 km, il perdait la justification de son nom en étant déporté dans le cirque, via Grand Sable, mais restait une sacrée belle course. Ces 3 plans B procédaient des meilleures solutions possibles, afin de sauver la manifestation sportive.

Un beau rendez-vous
Tous ces chamboulements de parcours n’allaient en rien entamer les déterminations de l’organisation comme celles des coureurs. Faire face aux aléas qui adviennent : la base de l’esprit trail ! A Hell-Bourg, l’accueil s’avère très chaleureux autour d’une heure du mat ; on se croirait entrer dans une salle de grande réception avec dress code de guerriers autour d’un fourni buffet gastronomique. Tout le monde le sait désormais : l’UTOI se distingue par son intendance ! A l’animation, le célèbre Matthias Ramsamy de radio Freedom, ce joyeux géant qui joue du micro plus vite que son ombre, tient en haleine tout le cirque. On le retrouvera en fin de journée, bien plus épuisé encore que les traileurs qu’il sait accueillir, selon le protocole particulier du Président Hassen Patel, ce dernier étant là au départ comme à l’arrivée de chaque coureur pour le saluer ! Encore une sacrée distinction UTOI… Le plateau des coureurs présents lui fait honneur, qui est très impressionnant ; chez les dames, Charlotte Biotti – l’élite qui vient de gagner l’Ultra Mafate Trail Tour le week-end dernier ! – ; Victoria Devouge qu’on ne présente plus, comme Amélie Huchet ; la jeune et prometteuse Louise Eypert que nous avions rencontrée sur la récente Mac’Zheimer ; Géraldine Lachapelle avec ses 13 Diagonales au top entre autres exploits remarquables… Chez les hommes, inutile de présenter Fabrice Payet, gagnant du 1er Ultra Trail des Géants ; Paolo Velle, et le jeune Matthis Leau ; ces 3 extraterrestres vont la jouer une heure devant la concurrence pourtant capée…

Déroulement
A 2 heures du mat, la troupe s’ébranle dans une chaude ambiance ; après une boucle de décantation dans les voies descendantes du beau village – méfiance pour ne pas déjà casser les fibres des abattis… -, on se dirige vers Terre-Plate, le plateau de cryptomerias dont les grosses racines proéminentes en nids de pythons obligent à trottiner comme sur des œufs ; et nous voici vite au pied d’une sévère ascension en 2 temps : Cap Anglais puis gîte du Piton des Neiges, 1650 m de D+ depuis le départ ; le terrain est sec comme rarement, les appuis facilités ; mais ça pique ! Il fait encore nuit quand je quitte le ravito sommital où officie l’ami Eric Mahé, à près de 2500 m d’alti. A cette heure sur le toit de l’île : magique sensation d’atteindre à la pureté, à une rare intensité d’être… On traverse des poches d’air chaud ; on apprécie aussi les plus fraîches caresses des brises, toujours en simple maillot, la veste imperméable et la seconde peau, feront tout le voyage dans le sac… Je me doutais que mon lourd chargement ne servirait à rien – analysant les données météo au préalable – mais je respecte le règlement, embarquant sans défaut le matériel obligatoire ; et plus, car j’ai toujours 2 lampes, etc. Je reste ceinturé de réserves alimentaires que je ne touche guère, l’UTOI en proposant d’encore meilleures trop tentantes… L’envoûtante affiche BCE 24, aux couleurs très chaudes à dominante d’orange, – évoquant les romantiques couchers de soleil, plus intenses que les levers -, pouvait paraître quelque peu surfaite ; hé bien non, avec un ciel totalement dégagé, on est en plein dedans ! Ayant quitté la croisée de descente vers le Bloc-Cilaos, et allant plein Est sur la Plaine des Cafres, je suis enchanté de voir les spectres noirs, majestueux, des montagnes – au loin en face, le volcan – se dessiner avec un fort contraste dans un ciel rouge vif. Notre sang agité semble se répandre sur les montagnes… J’en ai pourtant fait, des bivouacs au sommet du Piton des Neiges, mais cette fois, la configuration est littéralement sublime ! Un merveilleux décor qui porte plus avant : sans pression d’une meute – par soucis sécuritaires et écologiques, l’UTOI ne gonfle pas les effectifs -, mais avec l’éparpillement des seuls 200 coureurs privilégiés du long format avant de rejoindre bien plus loin ceux du moyen, s’abandonner à tous ses sens, entendre les chants des oiseaux qui accompagnent finalement un extraordinaire matin, malgré les craintes au départ… Une grande grâce que de passer là-haut avant l’aube, tel un fauve en quête de félicité. Au fil de mon cheminement à la fois prudent et contemplatif – ne surtout pas faire un mauvais appui, gérer pour aller loin et finir bien… -, pas moins de 36 coureurs montés sur ressorts me doubleront ; mais j’en reprendrai 24 de Plaine des Cafres à Bélouve, (Cf. données intermédiaires du chronométreur Sport-Pro). Bonne dynamique globale. A Mare à Boue – sans boue ce jour -, j’apprécie encore la bonne soupe chinoise et la sympathie des bénévoles. Je relance sur chacune des opportunités roulantes, qui se font rares… La descente sur le col de Bébour est toujours aussi acrobatique… Le seront également les 3 serpentins de forêt primaire pour aller à Bélouve. (Au Grand Raid 2011, nous les avions défoncés…) Un autre super ravito nous y attend avec des bénévoles toujours aux petits soins dont Pascal Parassouramin-Latchimy. Soupe, gazon de riz-poulet, fruits frais, divers breuvages, l’avitaillement est au top pour un ultime décollage, et pas des moindres, celui-là ! L’élévation via le bord du rempart de Salazie pour revenir sur le Cap Anglais m’est un vrai plaisir ; long mais bon, comme on dit ; des poutres grillagées permettent désormais d’éviter les marécages, tel un neuf escalator encore inactivé ; (l’ONF est très calé pour trouver des solutions techniques modernes, mais manque cruellement de personnel pour l’ordinaire ; le magnifique parcours emprunte des sentes peu fréquentées qui nécessiteraient une maintenance ; à défaut, il serait opportun que l’organisation balise les obstacles) ; les sphaignes ont visiblement soif, ce sera un peu mon cas en fin de course ; les séries d’escaliers piquants aisément grimpées, je prends bien le temps de resserrer mes chaussures au col – j’ai le syndrome d’Anton Krupicka…-, perché à 2030 m d’alti, profitant de la somptueuse vue sur le Cimendef et la Roche Ecrite. Après avoir négocié très prudemment le dangereux mur rocheux initial, je déroule gentiment sur le reste, retrouvant au stade animé, la chaude ambiance du matin, avec un super accueil. What else ?

Une épreuve qui incarne parfaitement le label UTOI
L’UTOI propose des parcours d’exception, mais d’une inédite arduité. La BCE ? Tellement exigeante qu’on y verrait presque d’emblée une fiction d’aventure, telle « Dossard 127 » – extraordinaire roman de Thibaut Bertrand, édition Gypaète, 06/2022 – qui nous embarque dans une course pyrénéenne passant par le fameux col de Turquerouye à très haute technicité, entre autres paysages à couper le souffle. Commencer ainsi par l’âpre assaut du Cap Anglais et finir par sa vertigineuse descente, après être passé par le massif minéral du Piton des Neiges qui sollicite sévèrement l’organisme ; poursuivre par le laborieux Bras Chanson en chaos de cailloux, la descente casse-gueule sur Bébour ; les serpentins d’une jungle truffée d’obstacles sur le plateau de Bélouve où l’on risque gros de la tête aux pieds – sans parler d’un égarement qui a eu lieu, en dépit d’un bon balisage, la fatigue sans doute…, l’UTOI qui équipe d’ailleurs les coureurs de balises sur les plus grands formats, a bien réagi ; à noter qu’avec des pointages réguliers en live Sport-Pro, le suivi est optimal – ; la succession de rudes raidillons qui semblent monter au ciel pour retrouver le Cap Anglais… Quelle improbable épopée ! Un gros engagement, des efforts récompensés par l’accès à des lieux époustouflants, des variations tropicales très contrastées, des émotions fortes, mais aussi ce sentiment d’une liberté partagée de vivre la plus grande symbiose avec le cœur de l’île à l’unisson du nôtre, et de mettre intensément en jeu la plus belle des libertés qu’est celle de tenter de s’améliorer : telle est l’aventure qui réunit profondément l’UTOI et les traileurs de bonne volonté.

Retours de quelques aventuriers survivants
L’élite Arnaud Moisan, – qui fait un podium M1, franchissant l’arche avec une légende de la Diagonale, Wilfried Ouledi… – me fait d’emblée la remarque à l’arrivée : « Les coureurs de la BCE ayant déjà fait la Cimasarun, mettent moins de temps sur cette dernière… »
Eddy Paquiry, 16h55 de courage sur des sentiers qu’il ne connaissait pas : « Pour moi, c’était mission impossible. Mais nous, (moi, mon corps, mes douleurs), sommes arrivés jusqu’au bout du parcours… »
Mireille Vélia, 1ère M3, arrivée un peu pâlotte, une petite entorse de cheville, et un genou cogné : « Ah, ces escaliers pour se hisser la 2ème fois au cap Anglais depuis Bélouve ! ». Il est vrai que j’en ai vus s’y asseoir, éreintés, là où la guerrière zoréole, adaptée à toutes situations, sait faire la différence…
Perso, 1er M6, j’ai alterné des montées assez toniques, et des phases plus calmes, me mettant sur un mode rando/trail en descentes techniques, – une vieille routine qui me va bien -, n’hésitant pas à faire du social, taillant des bavettes aux buvettes… Je suis donc arrivé en forme, apte à une relance sur le piquant « Trail des Masters » de Randorun.OI dimanche prochain.

Remerciements et compliments
La BCE a inauguré et fini, de la plus belle manière, une 1ère année de trail made by UTOI. Après cette seule 2ème édition à son actif, et le lancement au fil de la saison qui s’achève, de nouvelles courses dans le paysage réunionnais, on mesure de très intéressants apports au monde des traileurs. Arnaud Moisan, qui a trouvé là un défi pour tester au mieux sur cette difficile épreuve, son récent retour à la compétition après une longue pause obligée, me précise : « Ce parcours BCE me faisait vraiment très envie, original, exigeant, beau, tout simplement ; l’horaire du départ permet d’assister au lever du soleil sur le toit de l’océan indien »… A la faveur de moult autres échanges avec des participants, cet avis me semble largement partagé. L’UTOI s’avère un catalyseur de convivialité, d’envies de trails différents qui revisitent au mieux le génie des lieux de notre île intense ; il inspire une dimension exploratoire avec des parcours originaux, mais aussi originels en empruntant des sentes où aucun trail ne s’était aventuré, tel le Duvernay. L’aspect festif est également bien assuré, avec des animations et spectacles variés, privilégiant la qualité à la débauche de watts… Les ravitaillements copieux et diversifiés constituent un point fort, particulièrement apprécié ! Jolis polos – pas un simple tee-shirt – et médailles pour tous les finishers, sont de très bonnes factures ; les récompenses s’avèrent particulièrement généreuses, prize money comme trophées. Un grand respect est accordé aux coureurs, du 1er au dernier ! Bravo à tous pour ce périple qui se mérite ! Merci au Président Hassen Patel et à toute son équipe, aux bénévoles particulièrement impliqués et attentionnés ; rendez-vous à la BCE 25, une course qui a toute sa place dans le calendrier du trail, en s’y distinguant à plus d’un titre… Mais avant, d’autres extraordinaires courses by UTOI nous attendent en 2025, dont la titanesque « Ultra Terrestre » !

Résultats
60 km solo
H 1 Fabrice Payet – 2 Paolo Velle – 3 Matthis Leau
F 1 Charlotte Biotti – 2 Amélie Huchet – 3 Victoria Devouge

45 km solo
H 1 Jean Jérôme Mussard – 2 John Mondia – 3 Timothée Lecroart
F 1 Leila Chauveau – 2 Clarine Morel – 3 Juliette Delefortrie

Spéciales félicitations à l’ami Jean Jérôme Mussard, à qui Salazie sourit ; il y avait remporté la Méga-Salazienne en mai ; il s’y impose de nouveau avec panache ; après une greffe rénale, le champion fait preuve d’une belle résilience ! Le meilleur d’entre nous.

22 km solo
H 1 Théo Robert – 2 Didier Baret – 3 Ludovic Jasmin
F 1 Coline Faure – 2 Joana Roma Val – 3 Elise Levrat

Texte et Photos Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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