Vice-champion olympique avec 8726 points, derrière le Canadien Damian Warner (9016 pts), Kevin Mayer malgré un blessure au dos a toujours voulu y croire. Celui qui s’était qualifié pour les JO au meeting international de La Réunion n’a jamais cessé d’y croire. Rendez-vous en 2024 à Paris. Pour l’Or.

Florian Gaudin-Winer : Quelle saveur a cette médaille d’argent ?
Kevin Mayer : Celle du guerrier, du phénix qui renaît de ses cendres. C’est un sentiment d’accomplissement que j’ai rarement ressenti. Autant, quand tout se passe bien lors d’un décathlon, c’est entre guillemets facile. Mais là, quand tu donnes tout et que tu n’es qu’à 95 % de tes performances… Franchement, ça a été l’enfer de A à Z. En revanche, j’ai pris un énorme plaisir à la hauteur et au javelot. C’était fabuleux ! Le reste, ça n’était que douleur, attente et stress. J’ai attendu pendant six heures avant le javelot, en me disant que si je ne mettais pas dix mètres à (Pierce) Lepage et (Ashley) Moloney, ça allait être très dur sur 1500 m avec les jambes que j’avais. Sortir ce javelot avec les jambes, la fatigue, le dos et le mollet que j’avais, ça a été un des plus beaux moments de ma vie.

Vous vous êtes bloqué le dos en arrivant au japon. dans quel état physique étiez-vous pendant ces deux jours ?
J’ai fait zéro athlé pendant une semaine, zéro musculation. Forcément, quand le corps n’a rien fait et qu’il se retrouve face à un décathlon, ça tire partout à la fin. C’est normal ! Venez une seule fois dans la chambre de repos avec les décathloniens, et vous verrez qu’il n’y en a pas un seul qui n’a pas mal. Malgré ce lumbago, je crois que physiquement, cette année, j’ai remis les choses à leur place. Je n’ai plus aucune limite, et pendant tout ce décathlon, je n’ai pensé qu’à une chose : Munich (Europe 2022), Eugene (Mondiaux 2022), Paris (J.O. 2024). Toute l’expérience que j’ai acquise dans la douleur aujourd’hui va me servir par la suite. Ça ne se voit peut-être pas de l’extérieur, mais je suis en train d’évoluer en tant qu’athlète pour aller chercher des choses très grandes. Le jour où ça va sortir… Ça l’a été un peu à la hauteur et beaucoup au ‘’jav’’. Et je pense que ça n’est que le début.

Ressentez-vous une grande frustration ?
Non ! Le décathlon, ce sont les tripes qu’on sort le jour J, il y a toujours des choses qui ne se passent pas comme on veut, et il faut savoir s’adapter. Je suis tellement fier d’avoir décroché une médaille d’argent dans ces conditions-là. Avant-hier, je me disais encore que je n’allais peut-être même pas pouvoir débuter la compétition. J’étais tellement stressé que je n’ai eu que trois heures de sommeil en deux jours. Ça me semblait impossible de terminer, je n’en reviens toujours pas. C’est pour ça que c’est un bonheur énorme. L’ascenseur émotionnel de la fin, il est incroyable. Limite plus jouissif qu’à Rio, où j’avais tout optimisé. Là, j’étais face à un mur et je l’ai cassé avec ma tête tout du long, peu importe les os qui se pétaient dans mon crâne. Je suis super fier de moi.

A quel moment avez-vous compris que vous ne vous battiez plus pour l’or ?
Direct après le poids. Je savais que ça allait être la pire épreuve pour mon dos, à cause de la flexion totale de hanche. Les coaches me disaient que ça n’était pas fini. Mais même si Warner faisait jusque-là souvent des contre-performances en grands championnats, je l’avais vu à Götzis et je ne comptais pas sur ça. A partir de là, je n’ai plus pensé aux points. Je voulais juste me faire plaisir sur chaque épreuve.

Lors de votre deuxième essai au javelot, vous explosez votre record personnel…
Le concours de perche a duré trois heures, pendant lesquelles il faisait une chaleur terrible. Quand je suis rentré, ils (ndlr : ses entraîneurs Jérôme Simian et Alexandre Bonacorsi) m’ont dit ce qu’il fallait que je fasse au javelot pour réussir à remonter. Au premier essai, je n’ai pas de jambes. J’essaye de mettre une ‘’chiche’’ mais ça n’est pas du tout suffisant. Au deuxième, un peu comme à la hauteur sur mes sauts à 2,05 m et 2,08 m, je pense à tous mes proches qui me regardent. Il y a cette fameuse transe qui monte. Dans ces moments-là, je suis beaucoup plus lucide. Je pense à tout ce qu’on a travaillé techniquement au cours de l’année. C’est là que c’est sorti. Quand le javelot retombe, je pense qu’il y a 69 ou 70 m. Quand je vois 73 m, je vous assure que je perds mon cerveau.

A Paris en 2024, vous aurez 32 ans. Cela vous semble loin ?
Il faut vivre le moment présent et ne jamais regretter ce qui se passe. Tokyo était un grand objectif, Paris l’est encore plus, Munich et Eugene le sont aussi. Le point central pour lequel je fais de l’athlétisme, c’est que je kiffe ça. Tout ce que je veux, c’est me faire plaisir.

Propos recueillis par Florian Gaudin-Winer
Photos à La Réunion Pierre Marchal

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