Pour ceux qui connaissent bien l’air, chantons : « Ils font face aux virions, vive les Bretons ! A koz nou lé kapon, à La Réunion ? ». Daniel Guyot revient sur ce qui unit l’Ile de La Réunion et la Bretagne, toutes deux terres de trail.
Comparons ces deux régions en rouge, qui sont aussi celles proposant le plus de courses habituellement, à l’échelle de la France entière : calendrier septembre de La Réunion : strictement aucune couse. Calendrier septembre de Bretagne : 10 km de l’hexagone, course Intersport de Pacé, Trail Arthur, Trail Escalibur, Trail le Graal, Trail Merlin, Chrono Trophée Brin d’Avoine, Chrono Ouest Conseils, Chrono Baume du Tigre, Tour du lac de Guerlédan, Trail des Chauves-Souris, Challenge Lorient Aglo…
Pourtant ces deux régions étaient sportivement très liées. Une vieille histoire en réalité, des fondations communes : à La Réunion, nous avons notre quartier de La Bretagne, son chemin des menhirs, les villes aux noms de saints, les pardons, notre coteau Kerveguen redouté des raideurs, les broderies de Cilaos, les palangriers Enez Du de l’ami briochin Philippe qui a couru plusieurs diagonales, des pratiques agraires et de charpenteries – des métiers durs – les Hoareau, Kbidi, Le Breton… Sur les 8500 1ers habitants de l’île, 55% étaient bretons ; on a beaucoup parlé de Mafate pour annuler le GRR, mais se rappelle-t-on que les « petits blancs des hauts » sont originaires de Saint-Malo ? Justement, nous avons, réunis en légendes de la Diagonale, nos Cléo Libelle le Mafatais, Jacky Murat, Philippe Marie-Louise, Patrick Maffre, Eddy Myrtal, des figures universelles qui incarnent un rayonnement passé, gravé dans le granit et le basalte, du trail réunionnais sur la planète, aujourd’hui éteint. David Hauss, exemple de courage et de pugnacité, plusieurs fois vainqueur des TDB et Masca, 6ème de la Diag’19 malgré le mauvais aiguillage, vient d’être sacré ce jour 1er du trail militaire à Chambéry. Ceux qui faisaient honneur au trail réunionnais sont cette année priés d’aller voir ailleurs. La Réunion, en matière de trail, fut le « centre du monde habité », comme le proclamait Alan Stivell pour la culture bretonne… Au moment même où le GRR 20 était annulé, les bretons Jean-Marc Laving et Jérôme Lucas qui se sont déjà bien illustrés sur la Diag ‘, arrivaient dans le Top 10 de la SwissPeaks, main dans la main. Les bretons, rompus de manière ancestrale au sens de l’effort, aimant lutter contre les éléments, savent se redresser face aux gros temps, là où nous semblons plier…
Les « Gwen ha Du » flottaient autrement plus que le drapeau réunionnais au front de mer de Saint Pierre sur une Diag’ qui a été, bien avant l’UTMB, un modèle pour toute la France. Souvent éclaireuse et audacieuse, La Réunion peut vite se replier dans le Fénoir, son vieux démon (discours du Pape en mai 89, alors que se préparait au même moment, la toute 1ère Diag’ d’octobre de la même année )… Tous les « petits bons dieux » au bord des sentiers (Expédit local comme Saints de diverses origines) n’y pourront rien. Il n’est certes pas si étrange qu’un monde pétri de multiples croyances où rôdent des âmes errantes mortifères, s’écarte de la raison en cédant à la panique… Cf. la nouvelle « Ayesha » de Jean François Reversy : forme de Grand Raid d’un personnage poussé par des voix intérieures et qui traverse l’île pour aller finalement se jeter dans le chaudron volcanique (écho des contes de Grand Mère Kal, mais aussi perdition au milieu de « Grand Mer », océan négrier…) Ces rapports sociaux inscrivent dans les croyances religieuses diverses, aussi bien la figure de l’esclavagiste qui craint la révolte d’esclaves, que celle de ces derniers qui craignent le maître. (N’y sont sans pas étrangères en profondeur, les hostilités et défiances tant envers des figures organisatrices du GRR que celles de coureurs souhaitant ne pas céder aux croyances irrationnelles…) Dans « Ile à peur – La peur redoutée ou récupérée à La Réunion des origines à nos jours », Océan Indien, 1992, Prosper Eve, par une étude très informée, explique combien les réunionnais, exposés dans l’histoire à de nombreuses peurs, ont fini par avoir parfois « peur de la vie ». (P.123) La Diag’ qui était un symbole de vitalité, l’illustre parfaitement en 2020. Le fait que cette réaction n’ait rien de rationnel est corroboré par le professeur Jean-François Toussaint, https://sport.francetvinfo.fr/…/coronavirus-il-faudrait…, et d’autres médecins. Aussi est-il curieux que les sportifs souvent passionnés d’arguments scientifiques pour leurs entraînements, s’en remettent soudainement aux croyances…
La Bretagne du trail, encore plus rouge que nous, donne une leçon de vie qui fédère tout le monde. Belle occasion manquée de faire ici de la Diag’ un exercice grandeur nature de prévention et de résilience au bénéfice de tous sur l’île. Ni héros quand tout va bien, ni dangereux hurluberlus quand ça va mal, les traileurs devraient être respectés pour ce qu’ils sont depuis 30 ans : des éclaireurs pour bonifier la vie en restaurant les facultés originelles de l’homme (les forces qui lui seraient salutaires en ce moment), celles encore de la société paysanne d’il y a un demi-siècle, bouger, manger sain, être lié à la nature en étant solidaire de toutes altérités… La Réunion pourrait être dans la situation d’un traileur ayant rendu son dossard trop vite au cœur d’un ultra, et qui, quelques temps après, regrette amèrement d’avoir abandonné… Par les commentaires de Zinfos 974 qui reprend mon post FB du 11 sept au soir, mais sans son entrée en matière pour moi essentielle (et avec une coquille de syntaxe qui égare : lire « Sont mises à mal les plus nobles valeurs »), j’en prends pour mon grade en ayant dit quelques mots sur l’annulation de la Diag’ 20… (Ce qui démontre finalement les excès que je qualifiais…)
https://www.zinfos974.com/Grand-Raid-La-Diagonale-victime…
Or, ma réaction face à l’argument choc du préfet – concernant bien le public -, était basée sur l’introduction coupée : la 1ère Diag’ allait se heurter déjà à une opposition de l’opinion publique au motif que l’égoïsme inconséquent des raideurs aurait nui à l’intérêt général. La même peur, au fond, que des hommes forts de l’époque ont pu contrer. Les membres initiateurs issus du GHM autour du Lieutenant-colonel Jean-Jacques Mollaret, commandant du PGHM Chamonix, les partenaires institutionnels (Intérieur, Armées, Justice), Gilles Trousselier, Gendarme de Haute Montagne qui gagna cette 1ère Diag’ (ex æquo avec Fred Marie-Françoise), n’avaient vraiment rien d’enfants rois ! (Cf. les commentaires qui retournent mon point de vue sur les minorités agitant l’opinion publique aujourd’hui…) Le président, Robert Chicaud, de la trempe de ces hommes, a été lui-même sur le terrain, Finisher les Diagonales 94, 95, 97 – et des Passe-Montagne 96 et 97, ce qui montre son esprit d’ouverture -, mais c’est aussi un homme d’expérience par ses grandes capacités d’analyse et de synthèse (celle de l’avocat) qui surplombent de très loin ses détracteurs ; Rémi Mamias a incontestablement une expertise scientifique et médicale qui a largement fait ses preuves, de quoi rassurer… On pouvait donc leur faire confiance. Tous les bretons y étaient prêts…
Avec l’esprit qui animait les pionniers de 89 dont je faisais partie, transposer, à rebours des craintes, l’habituelle trêve festive du GRR, en exercice BIEN ENCADRE de prévention, de civisme, de positivité, de résilience, face aux effets du Covid, à l’échelle de l’île, aurait été à l’évidence la meilleure voie pour 2020. C’est ce qui se fait dans l’autre grande région du trail, cette Bretagne bien plus atteinte que nous par la Covid, et d’où vont venir sur l’île en octobre bon nombre de traileurs des courses qui se déroulent actuellement. Les retours d’expériences sont très positifs pour les traileurs comme pour la population entière. Ce dernier Week-end encore, les 4 courses du trail des Légendes de Brocéliande, le Tour du lac de Guerlédan, le Trail des Chauves-souris, etc., l’ont largement démontré. (Ouest-France, Le Télégramme…)
Sur notre belle île au nom approprié, je ne doute pas que les grincheux médisants du GRR 2020, au discernement sans doute altéré par les ancestrales peurs insulaires, soient pour la plupart les intéressés voire excités laudateurs de l’édition 2021… Kenartrouv’ !
Texte Daniel Guyot
Photo Pierre Marchal