Certes, pour se rendre, au diable Vauvert, en un autre espace tout minéral et dans la nuit, sur ce lointain volcan, depuis la capitale de La Réunion, c’est un tout autre détour que celui prévu le même week-end dans notre « grand jardin » vert des hauts de Saint-Denis… Cependant, le bout de la route – finissant par la fameuse RF aux nids de dinosaures – promet une belle et singulière aventure hors du monde, et que nous n’allons pas regretter…

Nous avons déjà couru des versions différentes du nom de cette course ; la dernière nous mena au « Cassé de la Rivière de l’Est » – dont un pan s’est récemment écroulé… -, mais cette version du 16 avril 2022 comprendra un AR jusqu’au nouveau belvédère sommital du volcan, tout au sud du cratère Dolomieu. Rien de mieux ! Un vide est comblé : la « Boucle de la Roche Écrite », ancienne version, nous menait au sommet de la « Roche Écrite » ; le « Cross du Piton », 1ère course de montagne réunionnaise, en 1988, allait faire du plus haut sommet de l’île, le « Piton des Neiges » (3070 m), un spot de course qui n’en finit pas de séduire puisque « l’Ultra-Tour des Cirques » dans les cartons, vient de le choisir aussi ; « l’Arc en Ciel » passe par le sommet du Grand Bénare… Jacky Murat, – et on ne s’étonne pas que l’initiative vienne de lui… – comblera donc un grand manquement : défier l’improbable, et mener le « trail péi » au sommet de l’actif « Piton de La Fournaise » (2635 m). Une course restant plutôt confidentielle de par sa rudesse, et qui a lieu sur le volcan quasiment le plus connu au monde : un comble !
C’était, certes, un sacré dilemme de délaisser ponctuellement le « Dtour » ; j’aurais volontiers couru le 45 km au lendemain de la « Griffe du Diable », mais ma chef d’État-major m’a raisonné ; déjà, avec un trail chaque week-end, point trop n’en faut… J’ai fait le « Dtour » à de nombreuses reprises, la toute dernière fois, le 60 km en un temps correct de 9h07, et sur un parcours plus exigeant passant par les hauts de la Bretagne via le plateau fangeux de la « Roche Écrite », car il avait aussi beaucoup plu, comme de saison… Léonce Honorine de Rando-Camélias a tout mon respect pour organiser ces épreuves sur la planèze de Saint-Denis depuis tant d’années. Jacky Murat aussi, de l’AAJM (Association d’Athlétisme à ses initiales)… Difficile de choisir… Le fait de devoir faire le « Dtour 60 km » de nuit, cette année, aura orienté notre décision en faveur des paysages volcaniques, de jour (relatif dans une atmosphère très sombre)…
Si nous avons esquivé la boue des « Dtour », en revanche, côté volcan, pas de chance pour le temps : une épaisse purée de pois, un vent tempétueux, des hallebardes de pluies, et un froid de canard… Mais perso, en vieux breton trapu à couenne dure, j’aime à me hisser au-dessus de moi-même, et particulièrement grâce au volcan dont c’est le principe fondateur ; avec « le désir d’être un volcan » (titre de M. Onfray), j’adore y affronter les déchaînements des éléments, tels les hivers d’Ouessant… Là où pas mal gambergent en perdant leurs guiboles, ça a plutôt tendance à me stimuler et m’amuser… (cf. photo de ce diable de Serge Pothin qui affectionne les terrains difficiles en bravant les conditions rudes…) Mireille s’est habillée en rouge et noir pour ne pas froisser le Diable, perso j’ai préféré m’en tenir au bleu azuréen pour en affronter les affres… Et pour citer Spinoza : « J’appelle joie tout ce qui augmente ma puissance et tristesse tout ce qui la diminue »… Alors, tenter de déjouer la griffe du diable, c’est stimulant… Comment cette pente née d’un « point chaud » dans l’écorce terrestre, peut-elle générer tant de froid et d’effroi à nos corps senestres dans de fervents efforts à contre-courant des coulées !
Le trail dans ces conditions extrêmes – sans aucunement céder aux circonstances dangereuses comme au dernier « Trail des Anglais » qui a subi le déchaînement des cieux – est diaboliquement divin. Faut reconnaître que courir la « Griffe du Diable » le week-end de Pâques, ce n’est pas trop catholique ; en revanche, cette épreuve était vraiment faite pour les traileurs ayant des « zèfs » … Mais bon, les cloches n’allant guère fréquenter cette infernale cathédrale basaltique, – en ce jour comme encore ruisselante de son élévation du fond de l’océan indien -, pas la peine de perdre son temps à y chercher des œufs en chocolat, même si l’on garde bien le nez sur les pièges du satané sol torturé de laves cordées, envahi d’acérées scories ; de quoi casser les œufs comme les coureurs …
Le parcours mène d’abord à bon rythme au col perché vers les 2500 m d’alti, « l’Oratoire Sainte-Thérèse » ; en cet altier site aux nombreux autels, peut-être les dieux sauraient-ils ponctuellement nous protéger… Passé le « Pas des Sables », ça roule encore plus fort jusqu’à la croisée dite « La Griffe du Diable », avant qu’on ne se rende au gîte via une sente plus piégeuse, ravinée ; vite grimpée la petite côte qui mène à l’enclos, on y plonge pour rejoindre la « Chapelle Josémont » avant d’attaquer la sévère montée dans un terrain très technique, voire chaotique entre bosses cordées et grattons, qui mène au sommet ; ne pas descendre en flèche la cathédrale sans autel, en se prenant pour un Dieu : gare à la diablesse de loi physique qui blesse vite en ces lieux : P=mg ! Tout le volcan est un défi à l’apesanteur, depuis son édification passant du fluide à la dureté statufiée, jusque ses plis et puits, fissures et cassures, bombes et blocs… Par ses explorations passées, j’y ai mieux compris, sur ses blocs basaltiques, – à toutes heures et dans toutes conditions au bord des éruptions – cette passion de l’illustre pionnier John Gill à atteindre les limites de la pesanteur… Après la courte remontée sur le rebord de la caldeira, le « Pas de Bellecombe » est vite atteint où est jugée l’arrivée après ces 27 km, globalement très exigeants et constamment en altitude (comprise entre 2150 et 2635 m). Le mauvais temps de mèche avec la nature du terrain, quelques chutes sont à déplorer – j’en ai même vu un tel un pauvre diable retourné qui pédalait dans le vide -, des hypothermies assez marquées – un de nos amis en a été sérieusement victime -, mais globalement, pas de gros problèmes. Bravo à tous ceux qui sont allés vraiment au sommet…
Au classement catégoriel, je fais 1er, Mireille aussi. Mais la plus grande satisfaction reste d’avoir bien géré cet authentique trail rustique proposé par l’illustre ultra traileur Jacky Murat – forgé lui-même comme l’île intense – sur un parcours d’exception à La Réunion… Même si les scories en ont griffés plus d’un, la « Griffe du Diable » fut l’occasion d’une sortie minérale mémorable, et diaboliquement jouissive dans une ambiance à la fois Hard-Rock et High Rocks… La plus grande récompense procède du privilège à expérimenter en plus haut lieu le « Mariage du ciel et de l’enfer » (ouvrage majeur de William Blake)… Auront eu le diable au corps, Justine LEMAITRE, 1ère femme, et Jonathan HOARAU, 1er homme.
A l’instar du roman de Boris Gamaleya « Le volcan à l’envers ou Mme Desbassyns, le Diable et le Bondieu » (1983), ce trail participe d’un renversement des valeurs post-coloniales ; en bousculant les légendes populaires de défiance à l’endroit des Dolomieu et Bory ; en s’émancipant d’autres carcans de craintes locales… Courir sur les contreforts du colosse jusqu’à sa gueule monstrueuse, invite à s’inscrire plus avant sur des épreuves en contre-pied des conformismes, au bénéfice d’un supplément d’âme et de sens, en prise avec l’authentique nature de l’île qui réveille tous les sens et tonifie la vie, guérit nos griffures profondes…
De retour au bercail, les chats qu’on sait sonder les âmes depuis la nuit des temps, – sans doute jaloux de notre aventure en nous voyant ramener des têtes de démons en trophées – ont sorti leurs griffes, nous faisant des yeux diaboliques… Grrrrrr, après les griffures d’un infernal froid au bord du chaudron gelé de Grand-mère Kalle, – devenu son repaire de sorcière en cheville avec Mme Desbassyns – de « Flic, Flac ! », en « Ffue, Ffue ! »…, la fielleuse férule des fauves nous file des frissons… Mais cette sortie (sur les 2 formats proposés), n’était « pas faite pour les chiens » (ou les chats) mais pour les 350 dieux du pur trail, que diable ! “C’était d’enfer!” Bravo à eux et à Jacky Murat.

Texte et photos : Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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