Deux photographes m’auront marqué dans le monde du trail, qui furent les meilleurs copains de terrain, Éric Brugallé, alias Scot d’Armor – par ailleurs bon coureur, décédé le 1er octobre 2016, à 56 ans -, et Patrick Lauret, alias Bouba, qui vient de nous quitter ce 15 décembre, à 63 ans ; binôme de monstres sacrés dans la mise en mémoire de l’âge d’or du trail, les deux sont partis bien trop tôt à cause de cette même perfide maladie… Et, concernant Patrick, c’est cruellement par cet abattis ayant déclenché tant de beaux clichés dévoilant le réel, que le mal s’est caché, en donnant l’illusion initiale du bénin qui trompa même un chevronné médecin…

Le réel et le vrai n’avaient pourtant jamais échappé à Patrick ; il était au contraire un expert pour les capter par la photographie, doué d’une singulière sensibilité artistique qui a touché les traileurs, donnant un sublime supplément d’âme aux souvenirs des courses.

L’expérimenté chasseur d’images
Un brin espiègle et cultivant un humour épuré, doublé d’une puissante expression non verbale, il avait l’œil au-delà de celui du photographe ; il savait révéler l’invisible au regard commun, et capter des situations inédites. C’est ainsi qu’armé de son téléobjectif, il a su nous repérer, Mireille et moi, de nuit, en marge de l’étalé ravito de la Diagonale des Fous à La Possession, nous visant de très loin à notre insu, dans notre récent rapprochement encore secret en octobre 2016… Depuis, sans qu’on ait jamais pu le repérer nous-mêmes, tel le patient chasseur à l’affût, il nous a fait de sacrés portraits, comme pour tant d’autres qui les postent au grand jour en ce moment, à foison, sur les réseaux sociaux, témoignant d’un grand émoi à la disparition de celui qui les faisait réapparaître de la plus belle manière après leurs courses…

Le portraitiste du trail populaire
À vrai dire, Patrick était avant tout un portraitiste avisé qui trouvait le contexte du trail riche en opportunités pour saisir de beaux sujets, plutôt qu’un classique photographe sportif épris d’une restitution des mouvements, et qui se focalise en priorité sur les prouesses élitistes. Outre des cadrages appropriés au genre, le choix du Noir & Blanc relevait d’une prise de distance artistique, au regard de l’importance d’une vivacité des couleurs dans le sport de nature (vêtements et paysages). Mais, résolument, Patrick choisissait la poésie nuancée des valeurs de gris – les contrastes en clairs-obscurs, les ombres et lumières, la primauté des formes sur les teintes -, en délaissant le plus souvent les couleurs. C’était lui-même un homme de valeurs qui les transposait tant sur le fond que sur la forme dans sa relation photographique aux altérités. À rebours de quelques récentes tendances à la foire aux vanités dans les photos de trail, Patrick gardait le cap de l’humilité altruiste.

L’altruiste passionné
Parfois mystérieux comme pour revendiquer une propre part d’ombre au regard de ses photos, et aussi par moments un peu effacé comme les couleurs, histoire de ne s’en tenir qu’au vrai, il faisait des photos par Amour de l’Art et du monde des traileurs – vivier de belles personnes hors des carcans sociaux -, mais plus généralement, par humanisme. C’était pour lui une passion dans la liberté créative – miroir d’une recherche de liberté marronne du trail dans la nature -, et totalement désintéressée ; ne pas être un snipper en série devant mettre tout le monde dans la boîte… Patrick passait un temps fou à trier ses photos avant de les poster, faisant primer la qualité sur la quantité. Son objectif personnel aidé de ses objectifs photos, visaient à capter de l’humain dans tous ses états et ses expressions ; ne pas en faire quelque business ; on lui donnait quelques billets en fin d’année, et si besoin, on l’aidait à renouveler son matériel. Il nous est aussi arrivé de l’emmener sur les spots de courses éloignées, comme à la Plaine des Cafres depuis Saint Denis ; c’était une autre façon de l’aider en même temps qu’un agréable partage.

Le daguerréotypeur des liens humains
J’ai longuement discuté avec lui quelques jours avant son retour en clinique, devant le domaine familial du Chemin Neuf à La Montagne, où il ne manquait jamais d’évoquer avec tendresse, ses parents, son enfance, sa scolarité. Créateur de souvenirs pour les autres, Patrick avait gardé une part de rêves d’enfance inhérents aux démarches artistiques, l’assumant dans sa propre image d’autoportrait en gros nounours rose – version édulcorée du béret rouge local, en adulte engagé pour l’avenir – qu’il avait mis en photo de profil FB. Bien que le vrai diagnostic médical ait été alors posé, Bouba conservait sa jovialité dans la relation au coureur remontant à l’origine de la grande famille du trail où il est devenu un patriarche respecté de tous ; mais je n’ignore pas qu’il a vécu ces derniers temps une certaine solitude ; il avait récemment sollicité des visites en communiquant sur les réseaux ses N° de chambres, avec photos au bras enveloppé et à la main, – évoquant l’autoportrait à l’oreille bandée de Van Gogh – qui en serra tant d’autres, pansée ; sans doute dans la pensée de ne plus jamais appuyer sur le déclencheur du boîtier à capter l’autre, à s’y lier artistiquement… Quand Éric Brugallé a quitté pour la toute dernière fois La Réunion, sachant qu’il allait mourir à brève échéance en France (Côtes d’Armor), c’est Patrick qui l’a accompagné à l’aéroport où ils ont fait de sacrés clichés enjoués, dans la plus grande dignité, avec le courage de faire face à la mort, comme des amis qui se disent simplement au revoir…

L’artiste d’une œuvre patrimoniale
En tant qu’ex prof d’art, il me semble que les instances locales ayant employé Patrick, pourraient utilement initier, a minima, un inventaire de ses meilleurs portraits afin que l’ensemble acquiert le statut mérité d’une véritable œuvre d’art susceptible de faire l’objet d’une exposition et d’un livre/album. C’est, à mon avis, la moindre reconnaissance que nous devrions à ce passeur de mémoires, d’autant au regard de l’intérêt croisé de l’art local et d’une restitution précise et avisée – de la nature, des hommes, de la société, insulaires – digne du mouvement réaliste de la fin du 19ème siècle en métropole. Les monochromes de Patrick permettent de revenir à l’essentiel, de conserver les émotions brutes, l’authenticité, l’âme réunionnaise du début 20ème.

Le béret rouge
À l’heure où La Réunion se pare de rouge, des fraîches frondaisons d’essences, du fleurissement des flamboyants, du mûrissement des letchis…, le béret rouge de Bouba va beaucoup nous manquer, couvre-chef fétiche d’un doux rebelle, comme nous le sommes à l’égard de sa disparition qui nous semble si injuste… Par-delà les convenances, qu’il n’aurait pas aimées, nous lui tirons notre chapeau pour tout ce qu’il a fait de beau et d’altruiste parmi nous, et nous ne manquerons pas de hisser son béret rouge au sommet du Piton des Neiges comme, – toujours dans le registre de l’originalité jusqu’au bout – il l’avait souhaité…

Texte et photos Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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