Il s’est avéré flamboyant, cet annif du Grand Raid Breton, à un moment où le généreux soleil d’équinoxe joue avec les feux de la Saint-Jean ; une grandiose réussite ! Et pourtant… Ça avait déjà chauffé sérieusement pour maintenir le village de la manifestation sportive, cette année encore, sur le port de Vannes. Tous les parisiens ayant migré dans cette charmante ville balnéaire avec la crise Covid, ne voulant pas plus du son des cloches ou du chant du coq, que des 4 jours de fête du trail BZH, la pression qu’ils exercent semble en passe d’être satisfaite par les autorités… Puis les milliers de tentatives d’inscriptions sur la file d’attente numérique du site Klikego ont fait surchauffer les ordinateurs et attisé des mécontentements incendiant injustement les organisateurs… Et si une ambiance de folie a fini par embraser toute la ville au départ du 175 km – retardé à 19 h 20 pour direct au journal télé du vendredi 27 juin -, les déjà chauds bouillants coureurs, équipés d’un obligatoire « kit de canicule », ont eu à subir un rare effet cocotte minute pour la région, et beaucoup ont vite fini cuits… Mais quelle exaltante édition à souffler les 20 bougies !
Tout le monde le répète à l’envi, ça part toujours bien trop vite, ici ! Mais on a beau vouloir se convaincre d’une tempérance salvatrice, difficile de ne pas être influencé par l’euphorie de l’ébranlement, de ne pas se retrouver emporté par la dynamique et l’énergie folle libérée au coup de canon sur le port, quitte à le payer plus avant… À l’Ultra-Marin, on atteint désormais l’ambiance de la Diagonale des Fous. Le public est énorme et endiablé, les élans d’encouragements phénoménaux ! Mais l’ardeur des coureurs finit immanquablement par s’estomper avant même la mi-course où l’hécatombe commence. Se lâcher plus que jamais à l’apéro de cet annif, c’était risquer d’avoir la gueule de bois avant le dessert… Après la jonction en zodiac entre Port Navalo et Locmariaquer – temps de traversée décompté où il est judicieux de souffler au mieux -, c’est en effet une toute autre course ; néanmoins, la conscience d’avoir passé le point d’inflexion de la boucle autour du grand golfe, chaque pas portant alors vers le retour, pousse à ne pas lâcher. Les exceptionnelles beautés des paysages boostent ; les soutiens variés d’un public conquis et inventif, portent ; les passages techniques dont une section dans l’eau à marée haute, réveillent… Néanmoins, sur 2 000 partants, on ne compte que 1 250 finishers, ce qui ferait un taux d’abandons de 37,5 %…
« Cramé ? Relève-toi et cours ! »
Combien de fois n’ai-je pas vu des coureurs littéralement rôtis au bord du sentier, beaucoup réussir à se relever, mais certains finir dans l’ambulance qui a eu fort à faire, comme à la célèbre corrida internationale de Langueux une semaine avant… Ce genre de chemin de croix, alias « Jésus » que j’ai retrouvé au retrait des dossards la veille du départ, n’entend pas le connaître, et il me compte parmi ses disciples, penchant plus pour l’Éros que le Thanatos, concevant la course comme une fête, une parenthèse de plaisirs particuliers, un bienfait pour la santé… Aussi, « dépassements des limites, mental domptant les souffrances » et tout le tintouin entendu : pas question ! Patrick Montel aura contribué à faire rentrer dans la légende ce déjà bien connu Gilbert Dantzer, l’infatigable coureur ovillois (Yvelines) aux 300 marathons, un gars vraiment adorable venu faire ici le serre file de l’Arvor 56 km ; son épouse Jacqueline est intarissable sur leurs 2 Diagonales des Fous, en 2003 et 2006. L’ancien chaudronnier de chez Dassault s’est forgé une sacrée réputation… Aujourd’hui jeune Master 7, il fait le même bilan que moi : dans le monde de la course à pied, beaucoup de jeunes coureurs se grillent pour paraître, le pognon flambe avec les jeux des marques et des partenaires – pas de « Tonton Outdoor », cette année -, et même les grandes marées du golfe n’éteindront pas le feu localement… Il convient de garder la tête froide, mais le cœur chaud pour continuer de courir allègrement, l’esprit libre et ouvert, avec les primautés de l’épanouissement sur la performance, de la sobriété sur la surenchère, de l’humain sur l’héroïsme… Le cadre de l’Ultra-Marin peut y aider.
De l’accordéon avec Céline au bandonéon avec Jean-Baptiste…
On connaît la musique de l’ultra ; pas toujours facile d’y suivre un bon tempo… Partageant une grande régularité à rester dans le 1er tiers du peloton, on n’arrêtera pas de se croiser et recroiser avec Céline. Les traileuses locales sont globalement bien plus raisonnables que les hommes, patientes et tempérantes comme les femmes de marins… Sachant gérer l’endurance, leur passion pour le trail relève d’un subtil pattern, ainsi qu’elles savent écrire des musiques d’amour adaptatif, quand les hommes chantent leurs prétentions (Cf. « White Flag » par Dido… https://www.youtube.com/watch?v=RnDDQ9CY-1I ) J’avais mis le régulateur de vitesse sur 10 km/h au départ. Le suivi live me place à 9,6 de moyenne ; et sur la fin, 10,3 km/h de moyenne. Passé la mi-course, compte tenu des conditions caniculaires – cf. les consignes claires du corps médical, c’est déjà culotté de faire du sport par pareil temps -, j’ai levé sérieusement le pied au plus étouffant entre 13 h et 19 h, trouvant un compromis entre éviter tout risque de surchauffe, et terminer en moins de 30 heures. 29 h, – même si je suis d’ordinaire sur du 26/27, ça m’ira très bien en intégrant au mieux des paramètres météo exceptionnels ; et j’en termine finalement comme d’habitude dans la fourchette du SAS 2, alors que je portais un dossard du SAS 3, ce qui m’a valu au départ un bon bouchon, et de me mettre d’emblée à l’accordéon entre attentes obligées aux goulets, ralentissements aux single tracks, et relances de dépassements sur les larges pistes… L’entame fut donc un peu compliquée avec une saturation des sentiers, cependant que les nombreux relais cette année – dans une dynamique supérieure pour des segments de 30 km -, étaient lancés au même moment.
À l’avant dernier ravito, l’ami Jean-Baptiste Henri, bandonéiste pro, avec qui j’étais sur le trail de l’Ic l’an passé, me rejoint ; fatigué (comme plus ou moins tout le monde…), il n’en est pas moins hyper déterminé ; il a du souffle comme son instrument qui respire des 2 mains contrairement à l’accordéon, et il est solide sur ses 2 pieds pour finir en fanfare le plus long trail de sa jeune existence… Le mariage d’une sensibilité artistique avec le trail, donne à ce dernier un appréciable supplément d’âme.
L’ami Yvan Le Guyader, vaillant coureur du club « Bretagne Ultra Trail » adepte de la Diagonale des Fous, avec qui j’ai eu le plaisir de partager un bout de chemin, aura un peu marqué le pas sur la fin, mais sera un digne finisher.
Ce 20ème anniversaire aura été particulièrement animé ; l’Ultra-Marin a montré avec brio sa maturité. Ce n’est plus un « bleu », il a juste gardé la couleur pour les décors… Il est rentré dans le cercle des trails les plus en vue et fréquentés, – adapté aux enjeux écologiques -, de notre planète bleue. Il devient très difficile de s’y inscrire, ce qui engendre une grosse frustration. Comme à l’UTMB, les bourgeois riverains râlent grave au point que le village risque d’être déplacé au parking Chorus (celui que bon nombre de coureurs, comme moi, utilisent pour y laisser leur voiture à 2 km du départ), bien moins enchanteur que le beau centre ville en bout de port… Mais cet évènement devient assurément un phare monumental. Bravo à l’orga qui a dû faire face à quelques difficultés cette dernière année, aux nombreuses municipalités impliquées ; merci à tous ces bénévoles impeccables en marinières ; gratitude pour ces ravitos de qualité avec protocoles d’hygiène, pour des services et dévouements irréprochables… Félicitations aux coureurs pour avoir affronté ce magnifique périple très piégeur sous une exceptionnelle canicule ! Bonne récup’ à tous. Et que l’Ultra-Marin trouve le meilleur ancrage pour 2026 !
Les vainqueurs
Scratch :
1 – Gwénael HELLEUX
2 – Romain LOUIS
3 – Emmanuel BONNIER
Podium féminin :
1 – Stéphanie GICQUEL
2 – Marine CHEROUVRIER
3 – Valentine SEVEAN