Xavier Thévenard avait initié une prise de conscience pour le trail, du Jura aux Alpes, investie par d’autres sportifs des milieux naturels tels Gaëtan Gaudissard (skieur élite des pentes raides et réalisateur talentueux), Ainhoa Leiceaga (la célèbre surfeuse basque, ambassadrice de l’ONG « Pure Océan »)… Kilian Jornet et Zach Miller ont embrayé à l’échelle de la planète pour l’avenir du trail. Le massif des Pyrénées, bien plus discret que les autres, n’était pas encore sous les feux de l’actualité ; et pourtant, il semble que ceux du ciel l’aient atteint plus que nulle part ailleurs. Cela tient à sa situation géographique entre les remontées de chaleurs ibériques et la France, mais également à une soudaine sur-fréquentation humaine inconsidérée du fait de la crise économique qui rend cette charmante région, bien plus abordable aux moins fortunés …

Le changement climatique, connu pour accentuer des phénomènes brutaux, s’est particulièrement manifesté depuis 1 an dans le département des Hautes-Pyrénées. En septembre 2024, de cataclysmiques torrents ont dévasté la belle vallée d’Héas – en aval de celles de l’Aguilou, de Troumouse… -, emportant les voies, 3 ponts, plus d’1 km de route, nombreuses voitures ; détériorant les constructions, éventrant le paysage par une large cicatrice en vaste fatras de gros galets… Suite au choc, à la sidération, la résilience fut grande, mais 1 an après, les titanesques travaux, malgré tous les moyens déployés, sont toujours en cours. Il en reste un traumatisme pour les habitants sinistrés, ancestralement attachés à une montagne plus calme… La nature semblerait se venger des comportements d’une humanité massivement citadine, pénalisant injustement, en premier lieu, ceux qui vivent respectueusement au pied des montagnes… Il conviendrait de se mettre à la hauteur de leur dignité afin d’adopter résolument des démarches qui contribuent à contrer, ne fusse que par le simple « effet colibri » – en apportant sa petite part, selon la reprise d’une légende amérindienne par Pierre Rahbi -, le délétère dérèglement climatique.

Canicule en haute montagne
34,2° à l’altitude 1 450 m, Gavarnie, cet été. Un record, de très loin, depuis l’enregistrement des températures. Il fallait aller chercher l’isotherme à plus de 5 000 m ! Les jadis étincelants glaciers, moirés d’émeraude, du Vignemale, du Mont Perdu, s’effritent et s’effondrent à vue d’oeil, ne laissant qu’un dédale de dalles grises ; plus bas, les cirques craquellent sous la fournaise ; les lacs de Troumouse sont totalement asséchés, devenant un espace désertique où les vaches ne peuvent plus boire, qui ont créé une trace traversante sur la poudre des vases cuites en chips cendrées sous cet ardent soleil ayant par ailleurs réduit les verts pâturages d’antan en ocres savanes d’herbes rases. Le pastoralisme en est donc mis à mal ; la faune et la flore sauvages sont en souffrance. Les paysages sont bouleversés ; leurs altières beautés sont irrémédiablement atteintes comme le romantisme des vallées à leurs pieds… La pratique des montagnes connaît une rupture radicale, engendrant, sans névé à franchir, une fausse idée de facilité. Il y a 15 ans, l’ami Matthieu Noguère de La Cordée, louait des crampons tout juillet ; maintenant c’est début juin. Il restera peut-être quelques névés de printemps, mais le moment de la fin des derniers restes de glaciers qui étaient dits « éternels », paraît très proche…

Des nuages de particules
Mi-août, les spectres des montagnes trônant habituellement dans l’azur, s’effacent en de pâles estompes japonaises. Dans une ambiance de cocotte-minute, le soleil semble pourtant avoir perdu toute intensité, comme si un filtre créait littéralement une ombre sur la terre, comme une éclipse… J’ai cru initialement aux rituelles nuées de poussières d’attitude, en provenance du Sahara ; mais elles ne font habituellement qu’un simple voile rosé de très haute altitude. Le phénomène devait en réalité s’avérer être les fumées des mégas feux ibériques… Portugal et Espagne ont bien souffert de ces vastes et destructeurs brasiers indomptables. Les plaines arides brûlent d’ardents incendies, et les immaculées montagnes en sont toutes boucanées… Quid de la respiration de cet air pollué, des dépôts sur les légumes, les pâturages ?… Quel désastre de subir ça dans un espace de grande pureté originelle que sont les Hautes-Pyrénées ! On mesure là, combien le problème du dérèglement est global, avec imbrications, réciprocités, depuis la perte des névés et glaciers qui n’alimentent plus autant les cours d’eau des plaines, jusqu’à l’inverse : ainsi asséchées, les plaines flambent d’où s’élèvent de sombres nuées voyageuses, qui viennent butter sur les montagnes en y déposant des cendres…

Une sur-fréquentation aggravante
L’afflux soudain des hordes de touristes, qui embouteillent les routes sous-dimensionnées, matin et soir de juillet, puis surtout d’août, – par exemple, juste pour un AR Gavarnie ou autres beaux spots des environs vus sur le Net, en mode « un selfie et on s’en va » -, augmente considérablement la pollution dans les vallées : l’effet de serre ainsi produit, contribue au dérèglement climatique. Cependant que la nature se craquelle, les villages craquent sous le poids de ce sur-tourisme ; stationnements anarchiques, altercations pour une place ; déchets sauvages partout ; négligences diverses dont feux de camps provoquant de gros risques ; piétinements destructeurs hors sentiers ; des fourmilières humaines débarquent sur certains sites réputés attractifs tel Troumouse, en train-tracteur… Quand ils se risquent dans les sentes, pour avoir vu sur les réseaux sociaux de séduisants hauts lieux atteints par des initiés, les excités novices créent des traces n’importe où, autant de voies d’érosion, tout en détériorant la qualité des sentiers initiaux, les rendant même parfois casse-gueule ; c’est par exemple le cas sur la section en dévers gazeux entre la Brèche de Roland et le Marboré, via le Pas des Isards ; en outre, certains laissent leurs détritus et sollicitent à outrance, – du fait de leur inexpérience affligeante -, les secours, dont le PGHM… Les multiplications des sorties en hélicoptères, tout en dérangeant la faune, ne produisent pas qu’une pollution sonore, et elles coûtent très cher ; surtout quand on imagine tout ce que cet argent permettrait de faire pour la protection de l’environnement… Sous l’effet Instagram face à un décor, « une conséquente partie du nouveau public ne dispose pas des codes, des usages et de la culture commune de la montagne », observent les agents du parc national des Pyrénées.

Dans ce contexte, les traileurs doivent réagir de concert
Au 5 sept, alors que la saison estivale ne finit que fin octobre, pour le seul département des Hautes-Pyrénées, on recense 402 interventions depuis le mois de mai, dont une part importante des dits « trailers » ; soit une augmentation de 10% par rapport à 2024, année déjà en hausse au regard des précédentes. “Nous avons eu un pic la semaine du 15 août avec 60 interventions, jusqu’à 14 dans la même journée”, souligne le Major Sébastien Abbadie, de la CRS des Hautes-Pyrénées. Je l’ai constaté in situ. Les interventions estivales représentent plus des 3/4 du total sur l’année pour le PGHM et la CRS qui interviennent en alternance une semaine sur l’autre. Autre chiffre terrible : au 1er sept, le nombre de décès est déjà de 18, alors qu’il était de 14 sur l’ensemble de l’année 2024… Beaucoup de rando-traileurs sont mal préparés, qui provoquent plus de 2/3 des interventions. “Un public nouveau, ni habitué, ni préparé à l’environnement montagnard, ni conscient des risques », analyse le capitaine Thibaut Ducquet. « Parfois, il fait beau en vallée, mais en altitude le temps est hivernal. J’ai vu beaucoup de gens partir avec des chaînettes – option traileurs – au lieu de crampons, mais face à de la neige verglacée ça peut devenir très dangereux.” Une mauvaise cartographie est utilisée. “Certains utilisent des captures d’écran Strava sans signal GPS précis et se retrouvent bloqués”, déplore-t-il.
Si les bergers, les vrais montagnards, ont globalement une expérience avisée de la montagne qu’ils savent encore préserver, en revanche, il appartient aux traileurs, de plus en plus hétérogènes eux aussi – outre les simples visiteurs moins aventuriers – dans leurs rapports à l’environnement, de bien se démarquer des touristes inconséquents… Personnellement, je pars le plus souvent à pied de mon logement pyrénéen, (avec les équipements requis, paré au long comme au technique et à l’aérien, avec une très bonne connaissance du terrain, embarquant une balise Capturs quand le signal GPS ne parvient pas là où je vais)… Je ne descends plus en véhicule dans les petites villes saturées l’été telle Luz Saint-Sauveur (c’est la 1ère année qu’y sont déplorés autant d’embouteillages) ; il existe un micro marché de proximité dans mon hameau – haut et authentique – de Gèdre, chaque jeudi après-midi ; ça me suffit : pas de pollution de déplacement, et ça aide les petites productions locales de qualité, de quoi – un secret – faire tourner mon « soup maker » chaque soir. Sur tout mon séjour, mon empreinte carbone est donc quasi nulle. C’est bien beau de bêler comme des moutons sur les réseaux sociaux « on aime la nature » le plus souvent de façon autocentrée, mais beaucoup de traileurs feraient mieux de le prouver, de manière réfléchie et tournée vers l’extérieur (et non vers eux-mêmes liés au virtuel), sur le terrain…

Une autre voie est possible…
Comme touchant le ciel de leurs cimes, nos montagnes constituent un indicateur majeur du dérèglement climatique. Leurs atteintes nous montrent de manières fortes, les meilleurs chemins à prendre partout dans l’intérêt des humains comme de la Nature matricielle en général, s’agissant de toute vie et de l’équilibre écologique sur lequel elle repose… Que l’engouement pour le trail ne cède pas à l’irresponsabilité grandissante du tourisme de la nature, mais que les traileurs, toujours plus nombreux, s’inspirent des meilleures fréquentations de la montagne, protégeant ses aiguilles en réduisant leur ego ! Il est dangereux d’avoir fait de Kilian Jornet une figure identificatoire, car là où il est né montagnard et pratique l’alpinisme, les traileurs ne sont majoritairement que des citadins, et simples coureurs… Tant que le performatif de masse (version UTMB) sera l’unique critère, il sera impossible de s’abandonner au respect du beau dans cette option dure du sport ; ce sont l’esthétisme et l’exploratoire sensible et sensé des sorties – comme aux origines du trail – qui amènent vers une vraie écologie en montagne, dans une option soft. Ayant été prof d’art, j’ai toujours considéré au fond que la plus belle œuvre au monde était celle des hautes montagnes plâtrées, pages blanches sur lesquelles on a envie de créer les plus belles traces éphémères – d’où ma première façon d’avoir éprouvé les pentes par la glisse – telles que les conçoit l’humble guide de grand talent que j’admire, Paul Bonhomme. Le trail devrait garder cet équilibre plus porté par les rêves respectueux que par les records corrosifs… Car le traileur ne saurait lutter longtemps contre les records de pluies, de vents forts, de chaleurs, de nouveaux phénomènes brutaux, causés par une consommation de la montagne, au lieu de la vivre artistiquement par la douce et autonome exploration de ses beauté et pureté originelles invitant à l’écologie authentique qui marie l’hédonisme et la responsabilité…

Texte et photos Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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