Le « Poon Tour » 2024, course d’orientation organisée par « Carton Raid », association spécialisée dans les épreuves multisports, s’est déroulée du 3 au 9 juin 2024, avec un départ à la Plaine des Palmistes et une arrivée à Bois de Nèfles St-Paul, via 7 balises placées dans les montagnes de La Réunion. Autour de 113 km, 6 000 m D + et 7 000 m D -… Sur 45 équipes constituées, une trentaine sur le terrain, seules 3 ont réussi à boucler tout le parcours…

« Quelque chose de Tennessee »…
En écho à la fameuse « Barkley » dans l’état du Tennessee aux USA, il nous fallait déclarer notre candidature pour cette aventure en binôme, à partir de minuit le 31/12/23. 45 équipes devaient être retenues. La course commençait là. Nous fûmes admis N° 5, la BZH-RUN, Daniel Guyot et Arnaud Moisan. Les noms des équipes ont rivalisé d’expressions déjantées : « Les déboussolés, Les décalés, Qu’est-ce qu’on fout là ?, Est-ce que c’est toi Jésus ?, Le binôme de l’extrême, Les cramoisis », etc. Le ton était donné… Annoncé seulement 48 heures à l’avance, le lieu de départ s’est avéré être le cimetière, à minuit encore… Juste un quart d’heure avant le lancement de l’épreuve, – pas par un allumage de clope à la Lazarus Lake, même si Arnaud portait son bonnet rouge…, mais avec une charmante hôtesse -, un jeu de cartes (IGN 1/25 000) nous a été donné. 5 zones topographiques de l’île positionnaient les 7 balises, où il fallait obligatoirement passer en choisissant son chemin, et en autonomie…
– 1 Pied de sentier Piton Cabris
– 2 Entre Piton de l’eau et Textor
– 3 Bourg Murat
– 4 Croisée Bras Chanson/Duvernay
– 5 Hell Bourg
– 6 Ilet à Malheur
– 7 La Brèche
Arrivée prévue au gymnase de Bois de Nèfles St-Paul.

« Cette volonté de prolonger la nuit… »
Après les conciliabules aux portes du cimetière (de 23 h 45 à minuit) pour découvrir les cartes, et élaborer les stratégies d’orientation, nous ne sommes sortis de cette fin de première nuit, débarrassés des âmes errantes, qu’à Bourg Murat. Le « Poon Tour » annoncé plus court qu’il ne le fut, nous estimions parvenir au bout de l’aventure au cœur de la nuit suivante… Mais c’était sous-estimer toutes les indications mystifiantes que pouvaient contenir les sobres présentations de l’épreuve qui nous attendait… Un véritable Ultra-Trail très exigeant ! Si la première nuit, nous avons ferraillé – coopérer ponctuellement, croiser, doubler, se faire doubler… – avec d’autres équipes qui prenaient graduellement des options différentes et se disséminaient dans les hauts de l’île, en revanche, la 2ème nuit qui nous mena de Grand Sable à La Brèche, avec entame de descente sur Ilet aux orangers, nous ne vîmes plus âme qui vive… On pourra dire qu’une pause de 5 minutes dans la chapelle d’Ilet à Malheur (écho au cimetière du départ) n’aura guère été rédemptrice ; il nous a fallu du courage pour garder le cap, cependant que la plupart avaient déjà jeté l’éponge ; « Le cœur en fièvre et le corps démoli » …

Une 2ème édition soumise à des contraintes
Initialement prévue le week-end du 9 au 11 février, suite au cyclone Bélal, l’épreuve a été décalée dans un premier temps de 2 semaines, donc du 23 au 25. Mais face au bilan sur l’état des sentiers fermés et les travaux nécessaires, il a été décidé de la reporter en juin. En effet, les choix d’orientations qui fondent la course, auraient été trop limités. Néanmoins, les cartes avaient déjà été imprimées, et même si des sentiers ont été rouverts, l’orga a dû placer des croix rouges sur la plupart de ceux qui restaient exclus. Par ailleurs, la mise à disposition des trackers que devait embarquer chaque équipe, n’était plus possible. Chaque duo devait donc prendre une photo au passage des balises – selfie avec éléments de paysages et/ou poteau de signalisation ONF – et l’envoyer sur un groupe Whatsapp. Mais je portais mon tracker Capturs – qui rime bien avec Nature (French Tech. utilisée sur La SaintéLyon, GRR…) -, via la couverture satellite Sigfox/Eutelsat, pour un Direct Live de notre progression. Ma montre GPS Coros Vertix allait enregistrer également tout le parcours. On a bien joué le jeu C.O. !

Dispositions réglementaires et matérielles
Le matériel est conseillé, – rien d’obligatoire -, mais loin de l’allègement maximum recherché en trail, on a vu de gros et lourds sacs. L’orga préconise en effet : « Boussole – Nourriture pour plusieurs jours. (Pensez à prendre de l’argent liquide pour pouvoir vous ravitailler dès que vous en aurez l’occasion.) Réchaud et gamelle – Réserve eau et pastilles de purification ou filtres. (Attention, certaines zones du parcours peuvent être pauvres en eau.) – Couverture de survie par personne – Frontale chacun et accus (batteries) pour passer une ou deux nuits dans la nature – Protection solaire (lunettes, crème, chapeau…) – Vêtements chauds, de pluie – Tente et duvet – Trousse de secours…» Dans ces conditions, l’accompagnement par un mérens porteur de charge, aurait été utile… Ne pas râler : nous sommes sensés nous embarquer dans une « RAL (Randonnée en Allure Libre), en orientation et autonomie ». On découvrira vite qu’il valait mieux avoir une grosse expérience d’Ultra-Traileur pour s’en sortir… Et autant dire que ceux qui avaient des sacs de rando – avec les réchaud, tente et duvet préconisés, ce qui prêtait à sourire -, ne pouvaient finir le trip… C’était 70 euros pour deux : 0,35 € le km. Offerts : 2 tours de cou, 5 cartes Antius A3, drinks d’arrivée. Enfin, une épreuve intelligente où l’on attend autre chose que médailles et tee-shirts…

« Le trail autrement », titre JIR du 15/02/23 pour la 1ère édition
Le concept est très intéressant ; il procède d’une proposition originale sur l’île, modulable à l’infini, pour un cheminement plus curieux dans nos montagnes, mariant le trail et le trek, associant la tête et les jambes, invitant aux partages et coopérations. Son coté « artisanal » induit un bon esprit, une ouverture libérée à toutes les altérités ; mais il mériterait d’être un peu plus travaillé, structuré, voire cadré par un règlement sur les fondamentaux. Sans rien perdre de sa « philosophie », l’épreuve pourrait ainsi permettre plus d’arrivées au bout, et en bonnes et dues formes, (dans toute les acceptions de ce dernier mot)… Le « Poon Tour » s’avère une très prometteuse pépite qu’on aimerait voir rayonner plus fort et plus loin, et s’inscrire pleinement dans le calendrier du Outdoor, au moins celui du site RunRaid tenu par Michel Jourdan, La Référence… Ne pas trop communiquer pour conserver l’esprit de l’épreuve, mais informer. Pour moi qui suis, à la base, un passionné de trek, et qui fais une course outdoor presque chaque week-end, il aura fallu qu’Arnaud m’invite sur ce « Poon Tour », suite à un contact avec ses amis, pour que j’y sois sur la 2ème édition alors que j’aime tant les pionnières…

La vraie nature des choix en C.O.
Trop souvent, le critère de distance semble d’emblée s’imposer. Quand on ne connaît pas le terrain, il est alors bon de bien regarder les courbes de niveaux des cartes IGN. Car le dénivelé est un critère en réalité plus déterminant ; il en va également de la technicité (nature des sols), mais là, il faut déjà connaître le sentier. Certains éléments sur les cartes, comme le type de végétation, la présence de ravines, cours d’eau…, donnent déjà une idée. Il ne nous aura pas échappé que plusieurs balises étaient positionnées en des endroits piégeurs, orientant – à défaut de réflexion sur de gros dénivelés et/ou technicités – sur de tentantes erreurs : balise 1 au pied du Piton Cabris, balise 7 au pied de la Brèche… Monter au Maïdo pour descendre à Bois de Nèfles St-Paul ? Non, le long demi-tour contre intuitif s’imposait ! De Grand Sable, il convenait de ne pas monter au Col de Fourche, mais de faire l’épingle plus confortable via Le Bélier. Il est évident que les conséquences de Bélal ont limité les choix ; par exemple, si le sentier Bélouve/Hell Bourg n’était pas coupé, il était préférable de descendre le technique Duvernay, puis via le col de Bébour, aller tranquillement sur Bélouve… Il est aussi important d’inscrire les choix en termes de séquence : plus on fait des portions de gros dénivelé au début, plus on risque d’être cuits à la fin ; c’est ainsi que nous pensions courir sur la canalisation des orangers, mais il faut croire que nous n’avons pas tout géré au mieux, à deux…

Orientation et autonomie exigent des options responsables multifactorielles
Une liberté de mouvement convoque la raison. Il ne s’agit pas simplement de respecter les indications des cartes qui mentionnaient de grosses croix rouges sur des sentiers à ne pas emprunter, mais d’être aussi attentif à tous les interdits et recommandations de sécurité par-delà l’orga. Nous sommes des citoyens avant d’être des coureurs ! À cet effet, j’avais pris connaissance des interdits administratifs et des cartes actualisées ONF. La 1ère balise se situait au pied du sentier Piton Cabris menant au Piton de l’eau. Comme il n’était pas affecté d’une croix rouge sur la carte donnée par l’orga, les 2 premières équipes ont pris cette voie, – déjà très technique et éprouvante quand elle est officiellement ouverte -, défiant la grande pancarte d’interdiction, et alors qu’elle était en rouge sur le site ONF. Arrêtant un « effet moutons » qui pouvait s’avérer délétère, nous avons joué la coopération en orientant ceux qui nous suivaient sur la montée classique ouverte, via Piton Doré. Un peu plus de distance, mais de l’aisance et de la sécurité. Autre exemple : à partir de Bourg Murat, 2 voies s’offrent, sensiblement de même distance ; l’une emprunte le nouveau GR2, passant par Piton Bleu ; l’autre, plus roulante, consiste à faire des kilomètres de nationale pour rejoindre l’ancien GR2 qui débute à Chalet des Pâtres. La dangerosité pour les marcheurs au fil de cette RN3 sans accotement, avait induit la déviation du GR ; il était donc plus responsable d’emprunter ce dernier. Dans ce 2ème cas, on peut admettre une tolérance malgré la prise de risque et l’orientation des autorités, mais dans le 1er, à mon sens, cela mériterait la disqualification (imaginons un recours au PGHM…) ; auquel cas, il ne resterait plus qu’un seule équipe classée : la nôtre !

La course des BZH-RUN
Sur le papier, nous n’avions pas les meilleurs atouts pour ce jeu de cartes : une jeune élite M1 et un vieil amateur M6, un fougueux félin et un vieux renard… Mais 2 bons copains d’origine costarmoricaine. (Les 22 et 974 partagent le record du nombre de courses programmées…) Avec, dans les abattis, l’Ultra Trail des Géants 175 km, suivi du 10 km St Denis, puis du tonique Trophée Océan Indien juste 6 jours avant, autant dire que je ne suis pas parti avec un influx optimal. Idem pour Arnaud qui avait fait un bon Dtour 8 jours avant, en prévision de son GTO (et perso, l’Ultra Marin 178 km, le 28 juin )… Mais, la date du « Poon Tour » ayant été par 2 fois reportée, on ne pouvait indéfiniment changer nos autres inscriptions hebdos aux compétitions sportives… Et nous pensions cette C.O. plus facile puisqu’il était bien indiqué entre 80 et « 100 km MAX »… Jusqu’à La Plaine des Cafres, nous étions en mode trail modéré. Au lever du jour, nous attendaient Mireille Vélia et Aymeric Moreels, pour un chaud ravito, par un froid intense. Bras Chanson, Gîte du Piton des Neiges (toujours assez fastidieux à la Diag’), ont été négociés avec pondération ; pour descendre sur Hell Bourg, flaques et boues, roches glissantes, n’étaient pas à mon avantage… En bas, nous retrouvons nos ravitailleurs sous un abri qui nous a protégé d’une bonne averse pendant que nous nous restaurions. Une belle opportunité, car la pluie à cessé en allant vers îlet à Vidot, croisant les clubs Déniv et TPC en stage d’entraînement. La nouvelle nuit est tombée aux abords de Grand Sable. Bélier, Bord Martin, sentier Scout – si bien refait ! – la Plaque, Ilet à Malheur ont défilé dans le calme. « Un peu émoussés » qu’on s’est dit, faisant 5 minutes de pause dans la chapelle. Grosse descente en 2 temps sur la rivière des Galets via la passerelle Bras d’Oussy et la belle bosse intermédiaire qu’elle annonce. Ca fait plaisir, passée la rude côte vers Lataniers, de rejoindre la canalisation des Orangers, sauf qu’il faille aller valider, au prix d’un conséquent AR, la dernière balise à La Brèche ; au retour, pour sortir de Mafate, on devait cavaler ; on marche… On descend par les traverses terreuses parfois spaces ; puis via la passerelle Sans Souci (en déshérence), on remonte sur le gymnase de BDN St Paul où nous attendent 3 hôtesses dont Tiphane tenant le P.C. Course ; Natacha, Léane et Brieg, la petite famille d’Arnaud, ainsi que Mireille me concernant… Fatigués par 2 nuits sans sommeil, mais aucun bobo physique. Il est évident qu’Arnaud aurait pu aller beaucoup plus vite, mais ayant quasiment l’âge de son père, n’ai-je pas été un élément pondérateur garantissant une arrivée certaine ; rompant avec l’esprit de compétition trail, en faveur d’un mode C.O. ?

Les équipes survivantes ayant bouclé le parcours en validant toutes les balises :
1 – « Le retour des Chartreux », Matthieu ROL et Romain BALME
2 – « Les Sambos Gratinés », Jérôme DAMOUR et Alexis GOMET
3 – « BZH-RUN », Daniel GUYOT et Arnaud MOISAN
Ce sont 4 élites aux fortes cotes ITRA et Index UTMB qui nous précédaient. A noter que notre ami Pierre-Louis GAMBLIN, jeune élite prometteuse ayant perdu son coéquipier à Hell Bourg, a décidé de finir seul ; sortant du cadre de l’épreuve, il convient néanmoins de souligner sa ténacité. 2 autres équipes ont choisi d’aller au bout mais sans valider la balise 7, donc avec pas mal de km et du dénivelé en moins… Toutes les autres auront abandonné en chemin… Si l’orga entendait ne pas trop donner d’importance aux classements, pour favoriser les rythmes libres et prioriser l’aventure d’orientation en autonomie totale, ses communications et tableaux chiffrés sur le Whatsapp partagé, n’évoquaient guère que cela, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus grand monde sur le terrain ; c’est pourquoi elle aura eu la largesse d’ajouter 3 autres équipes incomplètes (une arrivée solo, et 2 avec balises 7 non validées…)

Que l’aventure continue ! Avec nos remerciements et compliments…
En ce monde du guidage GPS et du maternage en trail, reprendre la maîtrise de son orientation et recouvrer la responsabilité et l’autonomie, procèdent d’un excellent exercice. Explorer son environnement étant une fonction animale essentielle que nous avons perdue par une déconnection de la nature (et le regroupement citadin exponentiel), le « Poon Tour » invite à une connaissance plus fine, avisée, de notre relief insulaire si complexe. Chercher, comparer, analyser, faire la synthèse de nombreux paramètres, contempler, éveiller ses sens, trouver du sens… Après avoir longtemps cherché le sens de « Poon », pour ce « Tour » qui est en réalité une traversée, j’ai fini par apprendre qu’il s’agissait du nom gâté du Directeur de course – lui-même en course derrière nous – que lui a donné sa petite fille… J’aurai finalement moins découvert des sentiers qu’une communauté de cœur ayant conservé l’âme aventureuse de l’enfance. Jamais 2 sans 3 : vive l’édition 2025 ! Le meilleur à Poon et son équipe ! Merci au Président de « Carton Raid », Camille Lecuras, prof d’EPS au collège Emile Hugot de La Bretagne où il encadre la filière multisports. Merci au géographe/cartographe, Bruno Marchegay, qui fait les traces… Merci à Gilles le Bras, photographe hyper sympa, aux improbables apparitions partout, aux accueils et encouragements chaleureux, la seule personne de l’orga – hors départ et arrivée – sur le terrain ! Bravo à tous les participants et félicitations aux finishers !

Texte et photos Daniel Guyot et Gilles Le Bras

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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