Baptisé le « Hibou », il fait passer la 13ème manifestation sportive « Trail de Rodrigues » – qui comprend déjà les formats « Tortue, Gecko, Solitaire, Perroquet » – à un niveau supérieur et ouvert au monde, formalisé par l’ITRA (International Trail Association). Pionnier de l’ultra sur La Réunion, je me sens appelé par cette nouvelle aventure, 33 ans après, sur une île sœur, l’aînée des Mascareignes, qui a beaucoup à nous apprendre…

Fraîchement débarqué sur celle qui était pour moi une véritable « Terra Incognita », j’en aurai assez vite fait le tour au plan topographique, 73 km pour 1000 D+, mais loin d’avoir encore exploré toutes les merveilles insoupçonnées que la belle recèle, l’inépuisable génie des lieux, tout ce qui me portera au fil d’une boucle enchantée. Avec une évocation de La Réunion Lontan, il m’a semblé aussi courir pour remonter temps dans une vie commune à mes propres ancêtres paysans bretons et ce peuple rodriguais de marcheurs – pêcheurs/éleveurs – jusqu’aux années 80… Ils arpentent encore les bords de routes pour des besoins ordinaires, mais nous sommes pour eux des extra-terrestres d’en faire le tour en courant. Île aux vents, pierres, petites falaises, criques magiques, belles lumières, broussailles, herbes sèches où paissent paisiblement les bêtes, hommes humbles et aimables, j’y ai vu d’emblée une tropicale Ouessant, celle, aussi hors du monde, dont j’aime à faire le tour en mode trail… (cf. « Breizh’îles Tour » présidé par Steve Poivet et promu par « Séquence Trail »…)

Découvrir un territoire en le circonscrivant par un trail, c’est vraiment le pied ! J’aurai néanmoins plusieurs handicaps à gérer : un gros manque de sommeil dû à une arrivée tardive sur l’île et une 1ère nuit très courte avant d’aller retirer les dossards à « Port Mathurin », la capitale ; une 2ème amputée avec le R.V. prévu à 1h30 du matin sur le site de départ au Nord-Ouest ; une méconnaissance totale du terrain ; un sac à dos très lourd, prévu pour l’autonomie et toutes éventualités ; quelques séquelles d’une rhinopharyngite carabinée ; la « Diagonale des Fous » dans les pattes 15 jours avant, malgré la « Course de l’Ail » en guise de récup’active le week-end passé… Rien de rédhibitoire pour autant, face au plaisir de l’engagement dans cette odyssée…

La petite délégation réunionnaise – dont je suis le seul à courir l’Ultra -, ayant pris ses quartiers à l’autre bout de l’île, au Sud-Est, je serai chaleureusement accueilli la veille de la course chez les Edouard de « Petite Butte » non loin du spot de départ près de l’Anse Quitor ; je me retrouve donc au Lodge « Le Solitaire », nom (d’abord donné à un des 80 bus artistiques de l’île, et portant d’humoristiques sentences telle « Die another day » !) qui me va doublement bien :  je me sens à la fois une espèce disparue – parmi ceux qui inaugurèrent avec le même bonheur le 1er Ultra européen en1989… -, et un drôle d’oiseau solitaire dès qu’il est en mouvement, même si je piaille aux regroupements pour pointages et ravitos… Ces derniers, distants de près de 15 km, s’avèreront salutaires (pas d’eau potable autrement, une sécheresse sévissant depuis 5 ans).

Toute mon affectueuse gratitude à cette formidable famille Edouard pour son assistance. Dolorès et sa fille Aude Cécile, aussi attentionnées qu’enjouées, m’ont préparé un savoureux carry poisson, ainsi qu’une chambre très confortable et paisible pour quelques heures de repos du guerrier. Je revis ! (J’aurai, les jours suivants, l’occasion de savourer l’ourite à la cannelle, des petits déjeuners pantagruéliques avec crêpes au coco et chocolat, bacon&eggs aux plantes aromatiques, jus de fruits maison, etc. « Ti extra bon ! » Une source d’énergie pour mes 160 kms en 4 jours sur l’île…) Son, le solide chef de famille de 71 ans, me conduira sur site, au cœur de la nuit, après avoir prévu un petit-déj. approprié avec bon café, œufs, bananes… « Mo pé senti moi bien » !

Ce tout nouveau « Trail du Hibou » demandant plus d’endurance, toute animale, que le préexistant « Trail des Perroquets » (50 km), porte aussi le nom d’une espèce disparue dans les 3 îles Mascareignes (La Réunion, Maurice, Rodrigues). Nous-mêmes à l’occasion, volatiles nocturnes – plutôt rares au regard des plus gros effectifs inversement proportionnels à la taille des plus courts formats proposés… –  nous sommes rassemblés chaleureusement par la voix mondiale du trail, Ludovic Collet, et l’ultime briefing du directeur de course, Arnaud Meunier. Après une petite fête se finissant par un grand rond tel celui de rugbymen qui crient, huent, hululent, bouboulent solidairement leur désir de vaincre l’épreuve, nous décollerons comme par un rêve éveillé à 2h30 du matin, pour ce tour anti-horaire complet de la « Cendrillon métissée des Mascareignes », tissée de sentes, les souliers bien ajustés, depuis la réserve des tortues.

Loin du rythme de ces dernières, un moment en tête, je verrai Mathieu Blanchard, avec qui j’ai bien sympathisé, prendre la poudre d’escampette, comme c’était prévisible en dépit de la présence de coureurs élites tel Gilbert Baudoin qui finira 3ème derrière le local Silain Flore ; sur la poudreuse piste aux étoiles jalonnée de minis menhirs en basalte acéré, les frontales s’espacent dans un silence à peine ponctué de chants des vrais oiseaux résistants ; un soft alizé de face se fait rafraîchissant, qui diffuse de fines fragrances éveillant les sens. Du trail à l’état pur dans une Nature qui l’est tout autant, très choyée par les habitants… Je me retrouve avec Margeot Speville, à la jovialité communicative, un local bien connu pour être « ponctuel dans son retard » au départ des courses qu’il finit tranquillement (ce sera 2 h après moi). Là, il démarre vite comme presque tous, pensant qu’on en a laissés partir peut-être un peu trop devant ; avec mon expérience de centbornard, il me semble au contraire que faire les 10 premiers  kilomètres à plus de 11 de moyenne, c’est bien suffisant ; prudemment, je m’y tiens…

D’ailleurs, je rattrape un petit groupe vers le 15ème ; je m’en extrais alors avec le vaillant local, Jean-Clerino Edouard, qui me facilitera la trace, un bon bout de nuit. Nous formons un duo pondéré, mais efficace ; la discussion détend. Il fut bénévole du 1er au 6ème « Trail de Rodrigues » ; en 2016, il est venu à La Réunion pour le Sakifo cependant que ses amis y couraient le « Trail du Colorado » et c’est là que tout a commencé pour lui… « J’ai acheté les équipements et, de retour à Rodrigues, je me suis mis au trail… 2 ans après, je suis reparti à La Réunion courir à mon tour le « Trail du Colorado » 2018… Puis, j’ai fait 2 fois le « Dodo Trail » à l’île Maurice et je prévois l’UTRB 100km en prépa de la « Diagonale des Fous » 2023… » Un beau parcours, une belle histoire de trail qui fait le lien avec nos îles soeurs, une passion avec peu de moyens, un ami de grande valeur… Lui, plus dynamique sur les parties techniques où je reste très prudent derrière, et moi plus rapide sur le roulant où il ne suit pas mes relances, il sera finisher 2 heures après moi, en bon état, 2ème M3 ; et c’est sa compagne qui franchira la belle arche, à peine 1/4 d’heure après moi, Marie-Roselina Thérèse, 3ème F au scratch, 2ème M1, derrière l’amie finistérienne Alexandra Hénin. Marie-Merlanedy Castel Gentil, 2ème sur le « Trail des Perroquets » 2020, remporte ce 1er « Trail du Hibou ». Le sympathique couple d’authentiques champions, M-Roselina (qui connaît aussi La Réunion pour y avoir fait le « Trail du Volcan » 2019) et J-Clerino, compte courir ensemble La Diagonale 2023. Mais faute de course qualificative sur Rodrigues – le « Hibou » n’étant pas suffisant à 2 seuls petits points près, quel dommage ! – il leur faudra aller les chercher hors de l’île… « Bienvéni » à eux chez les « réyonés » !

Le jour venu à l’autre bout de l’île, vers « Pointe Coton » (PK23), au fil d’alternances des sections techniques et de relances, j’évoluerai en mode Pack Man ; j’essaie de remettre en route un solide champion que je rattrape, Jean-Baptiste Collet, mais il s’est blessé dans la section très piégeuse pour atteindre Baladirou sur la côte Nord-Est, se bananant à… « Rivière Banane »… et abandonnera ; dans notre échange chaleureux, c’est lui qui m’encourage ; quel esprit de solidarité comme celui qui régnait sur la 1ère « Diagonale des Fous » ! (L’entraide est la base de la société rodriguaise…) Perso, tous les paramètres ont viré au vert, tout devient facile si ce n’est le pb de suivre la bonne trace en solo ; après plusieurs retours en arrière pour retrouver les points de peinture bleue marine – ce qui devient une véritable obsession rendant peu disponible au reste… -, je n’éviterai finalement pas, à 20 km de l’arrivée, une sérieuse erreur d’aiguillage qui me coûtera 25 minutes et plusieurs places. « Mone perdi ! » ; mais c’est l’occasion de dire bonjour aux chèvres sur un cap sans issue… Et gare aux câlins des opportunistes épineux… « Baie du Nord » passée (PK46), avec ses vases et rochers glissants, nous aurons à pénétrer difficilement une forêt dense et pentue avec un sol très rocailleux et instable se dérobant sous d’épais tapis de feuilles mortes, puis à franchir une nouvelle zone très exigeante sur de rudes rochers basaltiques, avant d’en finir via une plus calme sente toute corallienne (« Plaine Corail »), chauffée à blanc… « Li trop so » ! Ardeur du temps et chaleur humaine vont se retrouver en symbiose. Malgré les AR faits pour retrouver le chemin (pertes de temps, cassure de dynamique, stress, kilomètres en plus, relances…), restant dans le créneau envisagé de moins de 10 h, j’en termine 9ème au scratch – 1er des catégories 4 et plus… – avec le sentiment d’avoir vécu une aventure vraiment extraordinaire, comme lors de la toute 1ère de mes 27 arrivées aux « Diagonales des Fous ».

Très chaude ambiance à la réserve François Leguat ; tout le monde y bout malgré la voltige des sorbets, en attendant les podiums du « Hibou » qui clôtureront la fête. Poursuivant sa bienveillante assistance à mon égard, la famille Edouard viendra me chercher – ainsi qu’Aude Cécile ayant couru le trail court – après la remise des récompenses animée avec un brio sans pareil par Ludovic Collet qui évoque mon petit pedigree. Avec Son, je ferai un A/R en 4/4 « bœuf » (il en élève un vrai) pour prendre mes affaires à l’autre bout de l’île et je finirai très agréablement mon séjour au « Solitaire », avant qu’il ne me conduise à l’aéroport Sir Gaëtan Duval. Entre temps, je ferai 35 km le lendemain de la course, lundi 7, explorant notamment les terres natales de la famille, « La Ferme » ; puis, descendant sur « Baie du Nord » et ses magnifiques mangroves sur fond d’émeraude, en direction de « Port Mathurin » où Son allait à l’école à pied et en bateau (30 km A/R)… Il m’a appris énormément sur l’île ! Le Mardi 8, je ferai 50 km en parcourant de jour tout ce que nous avions couru de nuit de la « Pointe Corail » à « Saint-François », littoral et lagons sublimes, avec un retour par l’arête centrale des crêtes montagneuses… Levé à 4 heures le mercredi 8, ce sera 15 km de footing et une heure de nage loin dans le lagon – jour de l’ouverture de la pêche à l’Ourite, « Tu manques une sacrée fête ! » me répète Son… – avant de m’envoler avec nostalgie…

Déjà sincèrement très enchantés par cette 1ère, avec Mathieu Blanchard retrouvé après l’épreuve, nous avons convenu qu’il serait peut-être judicieux d’inverser le sens de la course de sorte d’avoir la partie la plus facile à la fin, et surtout les plus beaux paysages de jour… Pour ma part, adepte du long et tombé sous le charme de cette île, j’imagine déjà une nouvelle gradation qui associerait dans un parcours en forme de 8, littoraux et montagnes, un nec plus ultra autour de 120 km pour près de 3000 D+…  Revoir quelque peu le balisage pourrait permettre de sortir clairement d’une option « course d’orientation » à la faveur d’un Trail mieux sécurisé pour les extérieurs. La création d’un site Internet serait bienvenue, dûment renseigné, avec une inscription pouvant se finaliser ; revoir la communication, point faible actuel, c’est ce que m’a promis le dynamique Daryl Albert, reporter et membre très actif du comité organisateur sous la présidence de Damien Allas. Enfin, pour que les ultra-traileurs réunionnais viennent courir ce « Trail du Hibou », il serait opportun qu’il ait lieu au moins 3 semaines après la « Diagonale des Fous ». (Mathieu ayant participé au « Zembrocal » au sein de la Team Koh Lanta, il n’a pas couru une longue distance à La Réunion.) Mais surtout, les rodriguais ne pouvant valider des courses de 85 points qu’à Maurice pour espérer courir la Diagonale, le « Hibou » en octroyant 83 (73 km + 10X100 m D+) c’est une belle occasion manquée à 2 seuls petits points près ; un rajout de 2 km à « Baie du Nord » (il en avait été question) où à « Plaine Corail » était si facile…

Grand Bravo à la RTA (Rod. Trail Association) ainsi qu’à tous les coureurs, pour avoir écrit une toute nouvelle page sportive en cet « Eden du trail », tant par ses paysages que par ses valeurs humaines… Bravo à la délégation réunionnaise présente sur les plus courts formats, avec mention spéciale à Coralie Ducheman, étudiante en STAPS, pour sa bonne humeur… (3ème F sur le 6 km en junior, sa sœur Loane faisant 1ère F en minimes ! Du potentiel chez les filles de notre élite Frédéric, juste accompagnateur pour être blessé…) Merci à tous les rodriguais, bénévoles et spectateurs, pour leur empathie, leurs systématiques souriantes salutations, nous témoignant qu’un monde paisible est possible… « Korek » ! Merci à l’élite d’Ultra RUN/BZH, Arnaud Moisan pour ses AR à l’aéroport Roland Garros, lui qui passa sa lune de miel à Rodrigues avec Natacha… ; au warrior alsacien de l’Ultra, Pascal Wachenheim, pour ses pains d’épices de Gertwiller embarqués dans mon sac… Rodrigues m’est devenue l’étoile du berger du trail, au rayonnement universel. « Mo extra content ! »

Tous les finishers de cette belle aventure semblent s’être fédérés sur la blague facile : « Le Hibou, c’est Chouette ! » Il est un proverbe allemand qui dit : « Mieux vaut s’asseoir avec le hibou que de voler avec le faucon. » Puisse ce « Hibou » consolider l’assise que nous avons construite ensemble loin des « Faut qu’on… » (changer ceci, trop de roulant, changer cela, trop de technique, etc.) Je connais la tentation de supprimer d’emblée ce sublime tour de l’île au profit d’un rallongement du « Perroquet » (50 km). Tant les amateurs de ce dernier que les amoureux des tours d’îles – qui sont nombreux au monde, je pense au Trail « Menorca Camí de Cavalls » à Minorque où récidive Antoine Guillon comme à La Réunion – seront déçus… De mon point de vue, rallonger de 2 km le « Hibou » et créer la 3ème option que j’ai évoquée, serait la voie idéale, octroyant 2 courses qualificatives sur l’île. S’inspirer de l’histoire de la Diagonale et des formats pour tous qui en résultent (du 20 au 170 km: Somin Grand Raid, Masca, TDB, Zembrocal, Diag’)… Cap sur l’édition 2023 du « Hibou » où pourraient s’envoler plus de réunionnais passionnés de trail et de Nature, (en améliorant la communication), afin de partager cet Ultra d’Exception avec nos amis rodriguais, mauriciens, et du monde entier ; consolider un lien fraternel et sportif entre nos deux îles qui ont fondamentalement une culture commune…

Texte et photos Daniel Guyot

 

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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