« Putain, 30 ans ! », j’suis quand même un fidèle guignol de ce foot trip, moi… Manu Guermeur du Quotidien, Michel Jourdan de Runraid.re – avec la seule base de données pour vérifier les mythologies persos -, quelques-uns le savaient bien. Mais quand la télé en parle, et que Ludo Collet et Michel Bénard t’appellent sur le podium de La Redoute, plus de doute…

Parti de Cap Méchant via Puys Ramond, ou de Saint-Pierre via Textor, arrivé à La Grande Chaloupe ou à St Denis – et j’en passe d’autres fantaisies -, je les ai enfilées comme des perles… Avec ma bagnole ou en stop, en forme ou grippé, j’y suis allé sans défaut… Et là, ce fut une 30ème bien huilée. En 1989, sans aucun équipement spécifique, je portais un fardeau de 12 kilos ; en 2025, j’ai environ 30 balais de trop dans le dos. Cette Diag’ est ma 27ème course de l’année, et il m’en restera 12 jusqu’au 21 décembre. Pour ce festif anniversaire (2 jours après celui de mon âge canonique en Master 6), je souhaite d’emblée remercier tous ceux, et ils furent sacrément nombreux, qui m’ont chaleureusement salué au cours du périple, comme les participants au cœur de la course connaissant mes récidives ; j’ai bénéficié de grosses révérences, la plus appuyée, et la dernière à la fin du sentier des rampes, venant d’Eric Mahé de l’Entente du Nord, envers le vieux renard n’ayant jamais été dans un club ! Merci aux médias qui ont tenu à marquer le coup ; à l’organisation pour son geste de m’avoir récompensé par un trophée spécial ; au partenaire Corsair. C’est le moment d’un bilan :
Mes contrats moraux
– Ecarté par le tirage au sort, je portais un dossard solidaire, sous la forme d’un don de 1000 € en faveur des orphelins et mères en difficulté de Madagascar, via l’association Aïna. D’autant avec l’actualité sur l’île sœur, je me devais d’honorer pleinement ce dossard.
– Une 30ème Diag’ officielle tout rond, ça ne pouvait se rater !
– Ce nombre ayant été annoncé par certains médias relatant ma « philosophie » particulière concernant cet ultra, je me devais de ne pas les décevoir, ni de contredire à ma démarche. Et merci au journal Le Quotidien pour son sympa clin d’œil du Paille-en-queue au drôle d’oiseau, dans « Les Échos » du 20 oct : « La 30ème de Daniel Guyot ». Alors que j’étais déjà annoncé « arrivé à bon port » en 2024, cette année, extrait : « (…) formidable exploit du plus Réunionnais des Bretons (ou le contraire), (…) 30ème GR… sur 30 disputés. Cette incroyable régularité a été récompensée par les organisateurs lors de la remise des trophées »… Petite brèche dans une réduction journalistique de l’épreuve à une bataille pour la gagne par des champions bioniques, auxquels je suis si étranger…
– Et si on court pour rester vivant, on est porté par les amis disparus. Sur cette édition, je me sentais particulièrement proche du grand camarade de courses, Jean Pierre Hoareau, alias « Tête Chou », un illustre traileur parti ce début d’année ; sans jamais oublier l’ami Louis Ulentin, alias Loulou, Christian Albin Maillot, et hélas, d’autres encore…
Conditions naturelles
Le temps aura été de la partie, meilleur encore que les prévisions déjà très optimistes du copain météorologue, Etienne Kapikian – 76ème en 34.56 min, lui-même meilleur que sur la base de son propre temps prévu ! – en présence de qui je trinquais dans la chambre de départ. Rarement le terrain aura été aussi sec sur les laborieux abords du Bras Chanson. En revanche, sous un début de 2ème nuit étoilée, – et les pieds sur les mousses blanchies – il aura fallu s’adapter à des températures exceptionnellement froides Plaine des Tamarins ; une petite farine de pluie sur le chemin des anglais, déjà si ravagé par les mégas ravines faites par Garance, n’aura pas favorisé les appuis… La direction de course avait prévenu : « la Diag’ sera plus technique » avec la dégradation cyclonique des sentiers ; il est vrai que rejoindre La Possession allait demander plus de gymnastique après 150 km et 10 000 m D+… Non seulement il fallait franchir des obstacles dus aux titanesques crues qui ont charrié d’énormes blocs et créé d’impressionnantes tranchées, mais la rocaille est désormais partout, qui ralentit la progression. En fin de parcours, le magnifique sentier en balcon, puis celui des rampes, auront en revanche facilité l’atterrissage…
La Diagonale 2025, un cru d’exception sous la houlette de Franceline
Avec un taux d’abandon le plus bas de toute son histoire, peu de blessures graves, elle s’avère la plus harmonieuse jamais réalisée. La nouvelle Direction de course attribuée à Franceline Chapelin en remplacement de Thierry Chambry, semble relever d’un conte de Fée. En effet, celle qui, dans son enfance salazienne, regardait, émerveillée, passer les traileurs via Ilet à Vidot et la route de Mare à Martin pour aller grimper la fameuse Paroi de la Roche Écrite, prend les rênes de la course mythique au plan mondial, après avoir fait ses preuves sur la Mascareignes. J’en avais eu l’intuition ; pour moi qui l’ai connue de longue date en tant que sympathique traileuse de très bon niveau, « Miss Masca » devenait « Lady Diag’ » ! A l’instar du comportement global des féminines en Diag’, elle sait gérer avec sérieux ! Et comme par son coup de baguette magique, tous les paramètres de la Diagonale virent au vert !
Une affaire de temps long
Pour le monde de la course à pied, les stats évaluent à entre 5 et 6 ans la carrière d’un pro. Je sais la ponctuelle fulgurance primer sur la longue endurance ; les médias jouant clairement une focalisation exclusive sur les gagnants, la masse est reléguée en figurants – avant, Le Quotidien évoquait les plus jeunes et vieux, des atypiques comme Odyle Monteils, Jacky Murat, et j’en fis partie, contextualisant en deçà et au-delà du temps T- ; mais j’ai perso vécu la Diag’ dans un temps long, (sur un tempo cool) où chaque mois d’octobre n’aurait été qu’un pointage, et qui ne sera que la perpétuation de l’édition pionnière, la meilleure à tout jamais, à mes 30 ans… « L’amour des commencements », J.B. Pontalis. Et là où d’aucuns, désormais, veulent atteindre une Diag’ tel Le Graal, j’ai vécu l’histoire intégrale de la Diag’, préférant en finir 10, 20, 30, toujours d’une seule traite, donc sans aucun abandon. Ce 0% d’abandon sur 30 engagements est mon petit mérite, puisque qu’il a oscillé pour la troupe entre 50% (2012, 2014) et 24,5 en 2025, progrès qui s’expliquent par le niveau des extérieurs constituant désormais presque les 2/3 de l’effectif ; le taux d’abandon des locaux reste plus élevé. Dans ma catégorie Master, le taux d’abandons est de 75% (l’exact inverse des stats globales) ! L’ex Directeur des courses du GRR sur de nombreuses années, Denis Boullé, en a fait hélas partie. J’ai eu le plaisir de le retrouver sur la course, mais il a dû mettre le clignotant à Marla. Ses parcours 100% montagne, qui passaient au Sud par les bords de l’enclos du volcan, et au Nord par la crête de Dos d’âne, n’auront plus jamais d’équivalent. On ne saurait en effet faire monter près de 3 000 traileurs par Basse-Vallée/Puys Ramond, et le spot de Cap Méchant ne permet pas l’évènementiel de St Pierre… Ce 0% me concernant est la seule donnée qui mériterait d’être interrogée ; c’est très gentil d’accorder un intérêt à mon parcours, de voir apparaître des analyses telle la courbe « index UTMB » de « Distances + » – radio extra qui m’a déjà donné la parole parmi les grands, salut Nicolas Fréret -, mais elle ne signifie rien. En 2007, par exemple, une baisse apparaît ne traduisant aucun problème, et il est certain que j’étais autrement plus « fort » qu’aujourd’hui. Si, depuis que la Diag’ se corsa en 2010, j’avais toujours exclu d’y passer une 3ème nuit, disant arriver au moins pour l’apéro du samedi soir, calé avec régularité sur 46 heures avant 2020, cela fait 2 années que j’arrive au-delà de la soupe à l’oignon, non seulement en raison de rajouts significatifs telle la montée au gîte du Piton des Neiges au lieu de descendre par Kervéguen, mais aussi par choix de vivre la course autrement à mon âge, en prenant le temps « du social », de donner suite à des ITWS en Live. Les 1ers, comme le dernier tiers des arrivants, sont intéressants à fréquenter, plus que le ventre mou parfois moins drôle… Pour l’anecdote, on se disait avec de joyeux acolytes : « Faut surtout pas qu’on arrive à La Redoute avant 7 h, car le bar ne sera pas encore ouvert pour trinquer à la mousse ! » Je considère le GRR en marge de ma quarantaine de courses annuelles, plus dynamiques, parfois sportives. Si l’Ultra-Marin, de même distance, m’est une vraie course de juin, en revanche, la Diagonale est une Traversée Grande, certes assortie de BH, mais qui m’est plus un pèlerinage, sans les critères sportifs ordinaires.
Déroulement
On ne change pas un dispositif qui gagne : Mireille embarque dans la berline officielle – pour un nouvel aller St Denis/St Pierre après celui des retraits des dossards hier, pas très écolo… – 2 copains élites du vieux sénateur des sentes que je suis devenu. Emmanuel Faucon, la valeur sûre qui vole dans les 100 1ers, comme je le faisais à mes débuts, et Nawid Sarem, aux confins du gentil jeune homme et du demi-Dieu ; il va la jouer de St Pierre à La Possession parmi les meilleurs, pour finir par se griller les ailes tout juste avant d’atterrir. Mais quel panache ! Après s’être pris une prune la veille comme beaucoup aux abords de Ravine Blanche – du préventif de terrain pour la fourmilière autour des 7 000 coureurs m’aurait semblé plus judicieux -, c’est un luxe de déguster les premières bananes de l’année, une fois rentré dans le parc grillagé de départ, mais une galère pour juste aller pisser… Ça envoie des watts autour des boudinés sous le boudin de départ ; derrière, les jobards en stress ne voient pas les stratèges en strass. Un étal rangé par qualités de muscles fuselés, aspire à se muer en fusées ; moi, dans mon SAS 3 – bon, y’en a dans le 1 qui ont un ITRA inférieur au mien et qui feront des bouchons aux 1ers raidillons -, je serai pris dans l’essaim bourdonnant, piétinant dans les embouteillages, où désormais tel rasta se distingue pour griller la politesse aux cools crânes rasés qui le sifflent soft. Danyel Waro, reviens donc remettre un peu de fraternité musicale là-dedans ! Très intéressant de discuter jusqu’au domaine Vidot avec le senior Joris Picca qui s’y connaît en fous par son boulot ; je n’aurais pas pensé qu’il puisse abandonner au pied du Taïbit ; pas plus que je n’aurais imaginé que la championne Roselyne Vignal, rejointe au-dessus d’une rare belle vue sur le cirque de Grand Bassin, puisse s’arrêter à Savannah, -ainsi qu’en 2024 Amélie Huchet, Cédric Chavet à Ratinaud encore 9ème, et d’autres – si près du but… En Diag’, tout est possible et rien n’est acquis avant La Redoute ; tant qu’il n’y pas de blessure, l’espoir demeure… (Mais j’en aurai encore vu en situations étranges sur cette Nième : des coureurs dans le gaz grave ; des régressions qui complèteraient utilement l’« Histoire de la merde » de Dominique Laporte ; à Savannah, je crois être moi-même doublement à l’ouest en ramassant mon téléphone sous ma table de repas : mais non, juste un même modèle pourtant spécial que je remets aux responsables du poste… Ouf. Un parigot, obsédé de déguster une glace depuis la chaleur de Mafate, finit par s’en faire offrir 2 dans les hauts de Halte-là, où les habitants ont installé de mégas ravitos animés. Les sympathiques tigresses bretonnes représentent avec brio le blindé bastion ! Un possédé est scotché à engueuler les pierres à La Possession ; dans l’école du ravito de cette commune où je fus 1 an instit avant d’aller au secondaire, je rencontre un M4 sous-officier, Lionel Le Gall, qui fit son école primaire à Trémuson comme moi… Déjà à Z’Orange : « C’est toi le pote de Guirec Le Chevanton, Président du Trail des Mines de Trémuson ? », voici le voisin Christophe Moizan de Ploufragan, même CP. La Diag’ est étendue mais le monde y est petit !…) En attendant, on fait l’accordéon encore frais, alternant longs arrêts et redémarrages en canon : pas l’idéal pour entamer un ultra de 185 km et 11 000 m D+… Curieux, de doubler le solide M4, Olivier Ehresmann, qui m’avait vite déposé dans un dernier entraînement sur les rampes de La Montagne ; il abandonnera à Cilaos. On s’est dit dans ces 1ers km de poussiéreuses sentes cannières, avec Carla Toquet, la jeune universitaire de haut niveau que je retrouverai sur la fin : la Diag’, c’est une histoire de subtils séquençages (comme dans l’enseignement). Les tronçons ont défilé harmonieusement pour nous mener au but, en prenant son temps et son pied. De Cilaos – il est bon d’y arriver frais et souple, sans s’être cassé des fibres dans la longue descente du Bloc… -, je repartirai pour les 105 km et 6 000 m D+ restant, avec l’ami Philippe Cuvelier, arborant son dossard N° 1, qui n’est plus attribué au favori mais au 1er inscrit ; il le fera signer à La Redoute par Baptiste Chassagne et moi… La vraie course commence, contre l’usure… L’ocre poudreuse volera de partout dans Mafate ; là où l’on glissait l’an passé dans les boues, beaucoup mordront la poussière en ses épais tapis volant sous les pas… Un jeu de patience, tipa, tipa. Mes Lives RER, ça me rappelle mes trains sociologiques de nuit à Paris, mais ici en si bonne compagnie. On ne compte pas le temps pour causer dans le poste avec Yashine Ghanty, adorable et talentueux reporter qui sait faire le lien entre le cœur de l’épreuve et toute l’île à l’unisson. Je suis parvenu au stade en forme ; on a trinqué avec Mireille (la compétitrice déplorant ma nonchalance), Jean Claude Milcent (37 h…, qui, dans ses hallus ordinaires, ne voit que des filles en fleurs), Vincent Gréau (qui arriva devant Kilian Jornet !), Eddy Paquiry (commissaire de course implacable entre 2 pizzas) ; un bon repas, puis la rituelle fête clôturée par le feu d’artifice, sur fond d’hymne…
Paraître ou renaître ?
S’il conserve des mérites à souligner, le héros contemporain du GRR – véritable machine pilotée par une équipe pointue de F1, avec pit-stops multitâches millimétrées – ne court plus « nu », il a ses assistants, son sac/string allégé, sa nutrition biberonnée, ses kiné, podo, chiro, sophro, sa pharmacie, ses sponsors, et sa banque… Autant dire qu’il n’est plus ce forçat réussissant par ses seules forces, comme encore Pascal Parny, le dernier vainqueur réunionnais en 2008. Il ne porte pas plus cette quête aventureuse d’un acte de vivre, tel qu’à La « Marche des Cimes » pionnière… Non, le néo-traileur/compétiteur a besoin de ravitos précis, d’assistants hors orga aux petits soins, de réseaux ; il peut vite lâcher son but pour un manque anodin… Et à l’inverse, il peut se bousiller par inconséquences… Si j’en crois les itws de Patrick Montel, derrière les acteurs de la performance rivée sur chrono et place, le traileur ordinaire viendrait en Diag’ régler des comptes avec son vécu, à la recherche de lui-même, ou/et en faveur de quelqu’un dans la difficulté… Pour « se retrouver » il faudrait « en chier » au-delà de ce qui « nous emmerde » habituellement… Donner une raison valide pour influenceurs, de se faire limace qui grimace sur de tortueuses traces, ce serait le ressort du trail ? Mais n’est-ce pas d’abord un besoin de reconnaissance, pour un supplément d’existence, soupape aux conditionnements ? Une accointance entre du média, du Réseau Social, et un désir de paraître ? Perso, j’aime simplement traverser cette île comme je l’ai fait si souvent hors course, anonyme, et parfois en AR par des sentiers différents. Ça reste évidemment un exercice spirituel, un « catalyseur d’émotions » – mon expression reprise au JT d’Antenne Réunion dans mon portrait sans grand intérêt – qui stimulent toutes sortes d’improbables pensées, faisant sans doute approcher d’une jubilation animale. Loin de procéder d’un TOC comme je m’amuse à le dire, ma série relève plutôt du genre artistique, s’agissant notamment du traitement des paysages par les impressionnistes, que je transpose dans mon trail… Selon les lumières, selon la perception du moment, l’intérêt pour tels aspects voire détails, les rencontres faites, le degré de forme, etc., les paysages traversés ne sont jamais les mêmes sans être jamais vraiment autres… Ce sont eux qui finissent par se révéler, ce génie des lieux pétris d’histoire, moins que l’humain authentique. Et pour reprendre un autre courant artistique, l’expressionnisme, il m’apparaît que les émotions traduites, les peurs (cf. l’affiche 2024), les souffrances, les délivrances extatiques, etc. – ce Drama en vogue sur les RS – traduisent des émotions pour une large part peu joyeuses au regard du vécu des premières Diagonales, dans une chaude ambiance des années 80…
Le « dépassement de soi »…
A l’instar du coaching, il n’est qu’un vague substrat de la philo grecque et de la tragédie classique… La performance ne devrait plus compter, mais la force de rebond pour atteindre un but ; Ithaque pour Ulysse, comme Smara pour Michel Vieuchange en 1930… Sens initial du « j’ai survécu » sur le tee-shirt jaune du Finisher. L’aventure pour l’aventure quitte à y mettre le temps dans les limites imparties en repoussant le mortifère Chronos. Ce vrai dépassement doit conduire au contrôle de soi, à l’adaptation, à la tempérance, à l’humilité… Pourtant, il est réduit dans le monde de l’ultra-trail à surtout « dépasser ses limites » physiques, dompter la machine par le mental ; d’après moi, il n’y a juste qu’à les apprendre et à les assumer au mieux ; le dépassement m’est de retrouver du rêve hors des carcans de conditionnements, dont le performatif délétère… Autant que l’envie a cédé à la dramatisation d’un besoin de connaissance, le rêve s’est effacé derrière l’ambition qui rend nombre d’idoles saisonnières, voire éphémères, en ne dépassant rien d’autre que les bornes, surtout au sens figuré… « Clemquicourt » en sa vidéo « Ultra Normal » dans le cadre de l’U.T. : « J’suis blessé de partout… Pendant la nuit j’me suis fait la guerre… J’ai même plus mal aux genoux tellement j’ai mal aux releveurs… J’avais tellement à cœur d’offrir un podium aux gens… » Néo Jésus ? Désolante « création de contenu » par un bon traileur – même s’il n’a alors que 17 courses à son actif – qui avait la caisse d’être un digne Finisher en bon état… Modèle de dépassement très inapproprié, instrumentalisation grossière de l’altérité pour un culte de l’ego.
Reprendre pied sur les réalités
Préalables à une bonne Diag : recouvrer le réel, se relier au véritable monde. Et à commencer par les chiffres : il est dommage d’y entretenir des confusions ; déjà sur le nombre d’éditions – à ne pas confondre avec un anniversaire de support juridique tel l’asso GRR -, en réalité 36 (de 89 à 2025 moins 2020) pour s’approprier son histoire en s’y inscrivant ; puis sur les vraies données de la Diag’ à aborder : 185 km et 11 000 m D+, ce qui dépasse significativement le 100 miles classique, d’autant en terrains très techniques. Après plusieurs étapes de gradations, la difficulté de la Diag’ s’est sérieusement accrue en 2022 quand au lieu de descendre par le Kervéguen, il a fallu monter au gîte du Piton des Neiges. Ceux qui étaient justes dans les BH – restées inchangées – du parcours précédent, ne peuvent plus passer… Une juste représentation du chemin est essentielle pour l’appréhender au mieux et en atteindre le bout !
L’aurore à Aurère
Il est de rares moments de plénitude qui scandent une Diag’, atteignant au sublime, telle cette symphonie crescendo des oiseaux en descendant sur Bras d’Oussy, où d’innombrables piaillements s’amplifiaient à mesure que le jour se levait sur de fous reliefs ; toute cette vie qui s’éveille à l’aube d’un sérieux rapprochement de l’arrivée, m’a enchanté pour poursuivre en symbiose avec la nature traversée, et l’âme de leurs habitants… En moi le « Chant de Maldoror » de Lautréamont, interroge toujours ici les vertiges conjoints de la vie et des reliefs, leurs vestiges. Et j’ai revécu ces discussions d’il y a 35 ans avec Ariste Boyer, le 1er transporteur de Mafate, grâce à ses “bœufs panneaux” chargés de 100 kg en sacs de riz, montant via des passages étroits depuis la rivière des Galets jusqu’à Aurère en un AR sur 2 jours… Avec mes origines de paysannerie moyenâgeuse, j’avais de bonnes relations, et mes habitudes à Mafate où je passais de cordiales nuitées sans passer par des réservations à la maison de la montagne. Comment ne pas penser, plus loin en montant sur l’îlet Z’Orange, aux feu Arthur et Marie Andréa Attache. Leur pentu champ de maïs, abandonné après avoir été tant travaillé, est sec depuis un moment ; mais leur vie coule encore dans mes veines, et la nostalgie se mêle au bonheur de les avoir bien connus… Autant dire que je traverse Mafate avec mémoire et respect, aux antipodes de ce néo-influenceur « Clemquicourt » s’y exhibant nu – devant son équipe à un altier col planté de croix, embrassant le cœur de Mafate – avec des gestes peu amènes et seulement sur le cul le petit dossard aux bords d’avis nécrologique d’une orga pas moins scrupuleuse ; démarche bien plus grave que l’humour évident (qu’on tolère ou pas) d’un traileur parodiant le nom « îlet à bourses »… Mafate est un sanctuaire de l’histoire insulaire pétri – dont les sentes empruntées par le trail – par un âpre peuplement à l’authentique courage bien supérieur à celui des traileurs, qui devraient en être dignes. Et ça commence à déraper… Je poursuis « La promesse de l’aube », Romain Gary…
La place de la Diag’ dans ses activités
« Ce n’est qu’une course », a toujours relativisé l’illustre champion Jeannot Jacquement ayant importé la Diag’ dans l’hexagone via la Bretagne. Sans parler de la « vie privée », la littérature, l’art, et la musique, priment pour moi largement sur le trail qui ne demeure qu’une occupation mineure ; la Diag’ permet de revivifier les essentielles ; cf. Nietzsche : « Seules les pensées qui vous viennent en marchant valent quelque chose ». Explorer les crêtes et sommets des hautes montagnes est de loin une activité déjà supérieure qui préexiste chaque été hexagonal, à la Diag’… Le trail, c’est transposer dans la vie sociale une part de goût pour l’aventure dans la nature. Participation à des trails officiels ou pas, j’aurais vécu tout pareil avec les mêmes sorties dans la nature, voire meilleures sans “compétitions”… Le trail réunionnais a inauguré l’ultra européen, en même temps qu’il s’inscrit dans l’histoire locale dont le marronnage. C’est ce qui m’importe le plus.
Les modalités de progression
« J’ai rien dormi ! », ça bat de l’ « L »… Les volatiles sur leur perchoir, dorment en maintenant une certaine activité cérébrale et motrice pour ne pas tomber. J’ai cette capacité, la 2ème nuit, à me mettre sur un mode « pilotage automatique » en continuant d’avancer tout en préservant un équilibre alors que j’ai une part d’ensommeillement de récup’. Une petite sieste matinale quand même, bien à l’écart du sentier avant la passerelle Oussy, coin idéal, silencieux, bas et à bonne température. Cela nécessite d’évoluer seul et non dans ces trains alternant des « Up & Down » à grands fracas… Souvent, je simule à leur approche un état dégradé en leur faisant juste un signe pour qu’ils passent franchement leur chemin. Comme c’est tendance avec les autos sur les routes, les traileurs évoluent désormais par longs trains, même en dehors des bouchons subis (longue montée initiale, Bras Chanson, et Maïdo…) Il semble qu’ils n’aiment plus se retrouver seuls dans la nature ; ils préfèrent opter pour un faux rythme, car dans de tels trains conséquents, chaque traileur va soit trop vite pour s’accrocher, soit trop lentement pour ses capacités, d’autant que chacun a des coups de mou à des moments différents. (En couple s’épaulant, OK). Je me suis souvent rangé pour laisser passer ces trains, d’autant – et longuement – quand le trail de Bourbon s’en est mêlé en raccrochant les wagons…
Conflit de course entre TDB et Diag’ ?
Lorsque les traileurs du Bourbon viennent percuter, pleine balle, le ventre mou de la Diag’, la situation devient complexe dans les sentes monotraces et techniques. Les 2 rythmes sont si différents que les jaunes et les bleus sont mutuellement gênés, parfois dangereusement à mon avis. Les tous 1ers m’ont rattrapé à la bascule du Col de Fourche dans les grosses marches où Thierry Delaprez avait mortellement chuté en 2012 ; là où d’autres piocheront péniblement derrière, leur experte agilité facilite le dépassement – ce sont pour la plupart de jeunes copains avec qui on échange un vif encouragement mutuel – mais lorsque la masse arrive, c’est moins marrant… et perso, je me suis très longuement rangé,- effacé, même – pour les laisser passer, avant de reprendre convenablement place dans des progressions de même rythme. Peut-être serait-il opportun qu’un « Directeur général des courses » se penche sur une articulation optimale des différentes épreuves ?
Et l’après Diag’ ?
Même si les accidents furent moins nombreux, en revanche la « bobologie » est impressionnante ; au plan locomoteur, boitements, pieds fusillés, corps courbé, penché, cassé en deux ; esprit égaré à divers degrés. Les problèmes digestifs font légion. Au plan métabolique, c’est plus sournois, mais plus dangereux. On m’a toujours dit de longue date : « tu fais une Diag’, tu hypothèques 5 ans de vie ». Pas pour un renard, car force est de constater que ça ne s’est pas vérifié puisque 30 X 5 faisant 150 ans, il y a longtemps que je serais mort ! Autant la Diag’ peut détruire si on la fait inconsidérément, autant elle peut renforcer la santé si on l’aborde raisonnablement. Des prises de sang post course ont démontré que faite à haut niveau, cette Diag’ peut s’avérer dangereuse pour la santé. Il convient que le rythme en course ne s’élève pas trop au-delà de l’entraînement préalable qui lui, est très bon pour la santé. Question de mesure. Chaque année, je fais la course de l’ail le week-end suivant le GRR – 1 300 m D+ sur 21 km – avec une reprise de rythme soutenu. Ce 26 octobre, je l’ai encore finie avec aisance, 1er de ma catégorie autour des 100 sur 500. La semaine suivant la Diag’, outre la nage dans les bassins naturels, je ne fais jamais moins de 50 km pour 2 500 m D+ en récup active. (J’aborde la Diag’ avec environ 4 500 km et 130 000 m D+). Pour faire une Diag’ sans aucun souci, il faut être raisonnable dans sa gestion, mais s’y présenter bien « endurci »…
Quelques mises au point
On entend souvent dire : s’inscrire à la Diag’ c’est cher, 230 €. L’inscription actuelle à l’UTMB est de 439 € et doit passer à 480 : 2 fois plus cher que la Diag’… Les ravitos ne seraient pas satisfaisants. Perso, il me semble que sur la Diag’, ils procèdent plutôt d’un maternage au regard de ce qui se fait ailleurs. À l’UTBeaufortain, par exemple, ils sont espacés de près de 20 km… Ne voulant aucune assistance perso, j’ai même fait mes premières Diag’ avec des barquettes de riz/tomates dans mon sac, en totale autonomie. J’ai toujours une réserve alimentaire conséquente, et connaissant les points d’eau naturels, je pourrais faire la traversée comme aux débuts. Je peux comprendre que les plus jeunes aient besoin du confort social en vogue. Tout au plus serait-il judicieux d’avoir un protocole d’harmonisation sur tous les ravitos en solide. Sur l’Ultra-Marin, par exemple, on sait pourvoir se ravitailler en soupes de légumes, jambon, purée, pâtes, compotes, sans aucun défaut sur tous les ravitos, et du 1er au dernier. Il est vrai que sur la Diag’, les disponibilités sont plus aléatoires faute d’anticipation sur certains postes à assurer les mêmes prestations pour tous les coureurs à toute heure. Comme l’an passé, Savannah se distingue par un ravito gastronomique ! Et à la Grande Chaloupe, une gentille dame médecin servait de la soupe maison vraiment délicieuse (ce qui faisait défaut à La Possession)… Le Président Pierre Maunier l’a souligné, en marge d’une festive trêve insulaire bon enfant pour ces 4 jours en GRR : quelques désolantes incivilités sont à déplorer (débalisages, vols de sacs, etc.) ; mais on a pu observer aussi des zèles et des PV injustifiés… Contrat social en question… S’agissant de règles, il serait opportun de s’assurer que tous plongent bien à droite de la rampe béton Ratinaud vers la Kalla, de mettre un bipage à la fin de la descente pavée vers La Chaloupe, etc. Je voudrais bien rester idéaliste, mais je suis aussi observateur du fait de mon expérience…
Le bilan Breton
Ludo Collet s’en est ému à la cérémonie des récompenses : pas de bretons aux 1ères places par équipe cette année… Mais le plus gros bastion extérieur sur la Diag’ n’a pas démérité pour autant, et Rémi Gillie finit 7ème en 26 h 42 ! L’ergothérapeute de Plouër-sur-Rance – dans mon département d’origine où je fais encore des séquences trail au cœur d’une région qui en est passionnée – est sorti du bois avec brio ! L’ami Thierry Gallou renforce son statut du plus grand Finisher extérieur, dépassant Antoine Guillon avec 17 Diagonales terminées à un bon niveau ! Romain Baron, assisté par son cousin, l’expert Arnaud Moisan, réussit à finir sa Diag’ en 52 h 27 malgré des pieds cramés et un gros coup de mou à Bord Martin ; il apprend.
Les amis des îles voisines
Leur présence se renforce ; pas moins de 25 mauriciens ! Ce fut un plaisir de faire la montée initiale avec le sympathique Guillaume Kiecken ; il a super bien géré en douceur, terminant sa Diag’ dimanche à 14 h, en bonne forme. J’ai aussi fait un bout de chemin avec Yannick Larose dans la descente sur Ilet Alcide, évoquant « The Walking Dead » qui a de nouveau explosé sur un rythme trop rapide. Yannick a, lui, fini sagement. S’agissant des 2 représentants des Comores, si Ben Ali Ahmed a eu moins de chance, en revanche Halbou Madi Bacar, avec qui je me suis retrouvé à Cilaos, a réalisé une belle Diag’. 50% de réussite pour les 4 représentants de Madagascar : Steve Kwan Chung, M2H, et Hanitriniala Razafimbelo, M3F sont finishers, respectivement en 62 h 36 et 63 h 40. Des temps qui montrent que les BH sont assez bien étudiées pour ouvrir une chance de réussite à tous les déterminés. Observons que l’île Rodrigues s’est distinguée sur le Métis Trail, Madagascar sur La Mascareignes, et que l’île Maurice a bien figuré sur TDB et Diag’… Prometteur pour les coureurs des îles sœurs sur la mythique Diag’ ; un tremplin international…
Des figures de proue au Top
Baptiste Chassagne me semble un alien « dynamiteur archangélique » avec un doux langage d’IA ; très impressionnant ; quant à Blandine L’Hirondel, on pouvait encore courir avec elle localement il y a quelques années, mais elle s’est littéralement envolée ! Un coup de cœur pour Ludo Pommeret – Tranche Papaye, qui la joue intelligemment à la Antoine Guillon, – respectivement le « Président » et le « Professeur » ! – en prudente chasse, 21ème au Domaine Vidot et 4ème à l’arrivée ; et pour le pyrénéen Guillaume Beauxis, passant de 17ème à 11ème entre Z ‘Orange et Tête Dure… Grand Bravo à notre 1ère réunionnaise, Amélie Huchet, qui faisait encore son footing l’avant-veille de la course dans la capitale ; ainsi qu’à Fabrice Payet qui s’affirme, avec une constance dans l’excellence, en valeur sûre et prometteuse du trail péi ! Les médias dont étonnamment notre Quodidien, disent que les réunionnais n’ont pas été bons cette année ; pourtant, encore un beau Top 10 local ! Et un jour peut-être, on réalisera que notre trail authentique, méritait bien meilleure appréciation… Quant à moi, toujours pas d’abandon, et en très bonne forme à l’arrivée : la question de continuer la série reste donc en suspens…
Texte Daniel Guyot
Photos DR




















































