1er trail dans l’histoire de la course en montagnes mauriciennes, il demeure aussi le plus long parmi tous ceux qui y sont organisés. Solidaires des coureurs de l’île sœur durant la période du Covid, nous avions fait le Royal Raid en mode connecté, nous promettant de participer à sa relance effective in situ, dans son format normal en cette 15ème édition, deux ayant été tronquées par la crise sanitaire.

Samedi 20 mai, levés à 3 heures du mat dans notre confortable logement du calme village Case Noyale, nous prenons la route pour le nord de la plus importante zone montagneuse de l’île, qu’il faudra traverser jusqu’au sud, 65 km et 2300 D+. C’est sans doute cette phase d’approche la plus délicate de l’aventure du jour, car conduire à Maurice devient très sportif… (Et attention à ne pas suivre les GPS en venant du sud-ouest comme nous, mais à passer, plus avant, par la ville Tamarin…) Au fond d’une longue piste à peine carrossable, quelques improbables lumières annoncent le camp de chasse d’où sera donné le départ nocturne à 5h30. Un chanteur guitariste unplugged anime dans un cadre intimiste, le copieux petit déjeuner des coureurs, sur un répertoire d’hôtel de luxe, au cœur d’une immense forêt fantomatique.

Il a beaucoup plus les jours derniers, même si le temps promet de s’arranger pendant la course ; les nombreuses rivières sont en crues, mais on peut facilement en traverser la plupart ; néanmoins, le parcours a dû subir quelques modifications ; la veille, lors de repérages, nous nous sommes retrouvés avec l’élite mauricienne Vishal Ittoo qui effectuait le balisage à l’aide de larges rubalises aux couleurs du Royal Raid. C’est l’occasion de se mettre d’emblée dans le bain – aux sens propre et figuré à la fois – avec ce si sympathique champion local. Ayant déjà participé à des compétitions réunionnaises (Trail du Colorado, Bassin Vital…), l’expérimenté Vishal sera vainqueur de la version 30 km du Royal Raid, offrant également un 12 km. Le nombre d’inscrits sur les 3 formats est inversement proportionnel à leur longueur…

L’entame de la course est assez rapide, trop pour beaucoup que je ramasserai tranquillement par la suite ; l’expérience m’a pourvu d’un vieux régulateur de vitesse assez fiable ; même si c’est « roulant », il convient de se concentrer sur la lecture du terrain entre ornières de boues et proéminences rocheuses ; les quelques empreintes de pas qui créent des taches vertes sur les à-côtés herbeux blancs de rosée tel du givre, dispensent de tout effort d’orientation. La bouillasse collante alourdit considérablement les godasses indécrottables à en rêver des rivières à venir… Mais c’est une belle bosse piquante qui calmera la troupe après les premiers kilomètres de folle cavalcade ; cette prise de hauteur offre des paysages vraiment magiques sur la déjà lointaine combe du départ, sous les premières lueurs du jour. De gros arbres aux généreuses frondaisons d’un vert profond, dispersés sur une prairie émeraude, percent la vaste nappe de brume vaporeuse étalée dans calme la vallée de Yemen. Je trouve là ce que je suis avant tout venu chercher : renouer avec le cœur de la nature mauricienne que les évolutions sociales ont délaissée…

On peut y voir quelques animaux sauvages, crécerelles, roussettes, singes ; les cerfs, sangliers, lièvres, faisans… étant pour beaucoup livrés à une chasse touristique ; pas de vaches ou chèvres comme à Rodrigues, les quelques élevages se faisant en bâtiments, (la production de lait et ses sous-produits ne répondent qu’à moins de 4% des besoins du pays)… S’agissant de la flore, outre le césarina, le flamboyant, le camphrier, l’ébène…, au regard de La Réunion, on observe beaucoup plus de grands banians indiens, différentes espèces de palmiers, et énormément de ravenales, cet « arbre du voyageur » – l’eau de pluie s’accumulant dans les cavités à la base de ses feuilles, permettait aux voyageurs de se désaltérer -, est une plante envahissante majeure à l’île Maurice où elle constitue des fourrés très denses dans les montagnes du sud que nous traversons. Opportunistes comme les goyaviers, les ravenales n’en restent pas moins beaux, déployant leurs majestueuses feuilles en éventails, telles les robes des danseuses endiablées à l’arrivée…

Mais nos ravitos sont très bien pourvus pour les voyageurs-traileurs hyper chouchoutés que nous sommes. Ici, au creux d’une vallée, on est littéralement servi sur un plateau par de charmantes hôtesses qui nous proposent toutes sortes de réjouissances gustatives en fruits frais et secs, gâteaux ; là, au sommet d’une montagne, nous attend une équipe de scouts très attentionnés qui ont fait une soupe chaude pour nous ragaillardir… La qualité des ravitaillements est à la hauteur de celle des balisages ; vraiment rien à redire, tout est parfait. Même la police a été mobilisée pour assurer notre sécurité, notamment pour la traversée de la route menant sur Chamarel.

Vers le 20ème kilomètre, je me retrouve avec la 3ème féminine, Carole Perot, derrière la phénoménale Amélie Huchet – au métissage d’exception BZH-RUN… – que nous avons côtoyée la vieille, et Hortense Bègue, notre remarquable élite réunionnaise qu’on ne présente plus… En duo raisonnable, nous parvenons dans de bonnes dispositions aux portes du Parc National des Gorges de la Rivière Noire, puis au pied de la redoutable ascension du fameux Parakeet, le sommet culminant de la course. Plus avant, le jeune Théo Cambier, du même club que Carole, le TNT de la Possession – Team Nature Trail – qui a embarqué un bon groupe sur cette épreuve, nous rejoindra. Nous formerons un trio efficace jusqu’au 50ème kilomètre. La vitesse globale est correcte et les nombreuses relances qu’exige un relief bien bosselé, assurées. Carole qui n’y croyait guère, ayant enfin la ferme confirmation qu’elle était 3ème, met les gaz sur la fin pour assurer le podium ; je reste un moment avec Théo qui accuse le coup de ce changement de rythme, puis je le laisse à l’avant-dernier ravito pour partir seul à mon tour dans une alternance de bosses plus cassantes sous la chaleur survenue, au fil de méandres offrant de très beaux points de vues vers le sud de l’île, ses luxuriances sur fond d’émeraude du lagon. La traversée des champs de cannes via des pistes très boueuses à en ralentir l’élan en imposant des acrobaties, annonce la proche arrivée qui se fait au domaine du Cerf d’Or à Chamouny.

9h16 pour moi, 1er de cat., et 23ème au scratch ; 10h14 pour Mireille, 1ère de cat., 39ème au scratch… « Anplas ! » (Même si nous sommes moins venus pour la performance que pour apprécier pleinement cette belle balade dans l’île…) L’accueil est chaleureux, animé par Laurent Nativel – préposé aux pétillantes interviews et qui connaît aussi bien le sport que sa géographie contextualisant nos courses – et Willy Bigot qui sait accueillir avec empathie les arrivants vidés… Ces animateurs d’exception sont accompagnés de la présence attentionnée du patron de la course, Albert d’Unienville, qui a établi un partenariat avec le BNA (Bois de Nèfles athlétisme) de La Réunion, et un jumelage avec le « Festival des Templiers » en France, ainsi qu’avec notre renommée « Diagonale des Fous », rien que ça ! A noter que les gagnants sont invités tous frais payés, sur ces courses, avec renvois d’ascenseurs… Le podium féminin ayant donc été établi depuis les 1ers kilomètres, celui des hommes consacrera Simon Desvaux de Marigny devant Romain Bayol, puis Loic Gauvin, trois fusées.

Un bon cari reconstituant avalé, nos médailles au cou avec des rubans aux couleurs du drapeau mauricien, nous retournons en taxi sur le lieu de départ pour reprendre notre voiture, de bien beaux souvenirs plein la tête. Bravo et merci à tous les acteurs de cette remarquable manifestation sportive que nous recommandons vivement à tous nos amis – 124 réunionnais y participaient déjà… – du monde entier.

L’authentique trail doit garder avant tout le sens d’un voyage dans un état d’esprit de « Chant des pistes » (selon l’expression, appropriée aux chemins du RR65, initiée par les aborigènes dans les pas des ancêtres et rattachée aux racines au monde)… Le Royal Raid ré-enchante l’aventure humaine à l’île Maurice, que son tourisme tend à abolir par une lutte de compétitivité – dans une toute autre course, on le comprend, que les nôtres – avec ses concurrents directs, le Sri Lanka et les Seychelles (Cf. Art. journal « Le Défi » du 23 mai, conclusions de Swan Sécurities Ltd). Déverrouiller un tant soit peu les portes du bétonnage hôtelier littoral au profit d’une ouverture sur l’intérieur montagneux de l’île serait une autre voie dont le Royal Raid montre le chemin…

Outre les plages de rêves aux fins sables blancs, – outre un imaginaire d’exotisme surfait -, cet inaltérable cœur de l’île bat encore la chamade aux traileurs. « Mo kontan Royal Raid ! »

Texte et photos : Daniel Guyot

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