En 2000, Sophie Girard a impulsé un mouvement de fond pour reconnaître l’égalité hommes-femmes en boxe française et plus généralement dans le sport.

Que s’est-il passé dans la tête de Sophie Saint-Alme, née Girard, le 1er avril 2000, sur le ring du gymnase Pierre-de-Coubertin, alors que son compagnon de l’époque, le Réunionnais Yannis Racine, s’apprêtait à affronter, devant 3 000 spectateurs chauds-bouillants, le représentant de l’Ile-de-France en finale du championnat de France de boxe française ? Rétrospectivement, l’intéressée, désormais chef de projet « pilotage transversal » au conseil départemental de La Réunion, est contrite d’avoir asséné une droite au speaker du meeting, suite au « forfait médical » décrété par les responsables fédéraux.

« Evidemment, je regrette le coup de poing, reconnaît la championne de France 1997, d’Europe 1996 et du monde 1999. Mais on est des êtres humains et cette décision qui me paraissait hautement injuste portait atteinte à quelque chose qui tient de la justice sportive. » En tout cas, ces « faits douloureux », pour reprendre les termes de Sophie Gérard, ont été « vecteurs de transformations radicales ».

D’abord, la justice tout court a été implacable. La plainte de la fédération de boxe française a entraîné amende et radiation à vie, ramenée à deux ans de suspension en appel. Educatrice pour la ligue de boxe française des Bouches du Rhône, là où elle avait rencontré Yannis Racine, Sophie Girard se retrouve sans emploi. De quoi précipiter sa venue dans l’île avec son compagnon de l’époque en juillet 2001.

26 500 francs de primes non acquittées

Ensuite, et c’est sans doute le plus noble combat qu’elle ait eu à livrer – narré par son avocat de l’époque, Serge Pautot, et son fils Michel, dans « Nos Combats », éditions du Sékoya (lire ci-après) –, Sophie Girard s’est attaquée aux inégalités hommes-femmes qui régissaient le niveau de la savate de l’époque. Notre héraut ganté estimait à quelque 26 500 francs de l’époque le total des primes non acquittées par sa fédération durant sa décennie de performances et de titres.

Adoubée une première fois par la ministre de l’époque Marie-George Buffet, Sophie Girard pense gagner la partie lorsque le tribunal administratif puis le Conseil d’Etat reconnaissent son statut d’athlète de haut niveau. Las, une argutie technique – un « espoir » ne peut se prévaloir de la qualité de sportif de haut niveau – la prive d’une victoire totale en 2004. Mais son long parcours judiciaire est en quelque sorte validé, une première fois en 2003 lorsque le statut d’athlète de haut niveau est reconnu aux boxeuses, une seconde en 2014 avec la loi instaurant l’égalité réelle entre hommes et femmes.

La vie obéit cependant à des impératifs matériels auxquels il est difficile de déroger. L’installation de Yannis Racine et Sophie Girard à La Réunion n’a guère ressemblé à un long fleuve tranquille. Promesse d’embauche pour le premier, non suivie d’effet ; période de chômage pour la seconde avant un concours réussi de cadre A dans la fonction publique. L’ex-championne du monde devient conseillère en insertion, elle accompagne les demandeurs d’emploi, notamment à Saint-Gilles les Hauts – où Yannis co-anime la Maison de la Réunion des sports de combat –, à Saint-Leu et Plateau Caillou avant de rejoindre la mairie de La Possession, pour terminer DGA puis DGS. Et depuis le 1er février dernier, elle officie au conseil départemental en tant que chef de projet « pilotage transversal » au travers du pacte de solidarité territorial avec un domaine de compétences très étendu, notamment à toutes les missions de soutien aux communes.

Elle préparait Johnny Catherine

C’est très certainement grâce à sa carrière sportive que Sophie Girard a pu s’épanouir en tant que femme, mère et formatrice. « J’ai un parcours varié, je me suis ouverte au monde qui m’entoure, j’ai réalisé des voyages extraordinaires, en Russie, à Cuba, grâce à la boxe, et qui vous font relativiser bien des choses. Je suis allée au Liban, où les femmes cadres sont rarissimes, pour une formation qui m’a incroyablement enrichie. » C’est toute cette richesse que la boxeuse a cru bon de « redistribuer » en quelque sorte. « J’ai voulu rendre aux autres tout ce qu’on m’a donné. Etre au service des gamins m’a paru tout naturel. »

Car le monde associatif n’est pas bien loin. Membre encadrant les Jeux des Iles et les Jeux des Jeunes de 2007 à 2015 – chef de délégation CJSOI 2010, responsable dames 2007 à Mada et 2011 aux Seychelles, chef de mission 2015 –, Sophie Girard é été marraine de la 9e édition Sport-Santé, un des piliers du Comité régional olympique et sportif aux côtés de Françoise Huot-Jeanmaire ou Jean-François Beaulieu, membre fondatrice de l’OMS de Saint-Paul avec le regretté François Nativel ou Catherine Paoli.

Divorcée en 2009 de Yannis Racine, la mère de trois enfants a toujours tissé des liens étroits avec l’île, même lorsqu’elle exerçait en métropole. Elle livre quelques anecdotes, concernant ainsi la préparation physique qu’elle faisait endurer à un certain Johny Catherine – « une personne que j’ai appréciée sous son côté positif » – et qui l’avait traitée affectueusement en retour de « sauvage » au sens créole de stricte et sévère.

Son engagement associatif et sportif depuis l’âge de 15 ans n’est pas prêt de faiblir chez la « quadra », qui a ajouté une corde à son arc, celle de coach professionnel. « Je réalise des coachings individuels et collectifs. Pour l’instant, depuis l’obtention de mon diplôme en 2018, je le fais de manière bénévole par le bouche à oreille. » Celle qui a débuté il y a trente ans en tant qu’équipière au MacDo de Champagne-au-Mont-d’Or (Rhône) peut s’enorgueillir d’un superbe parcours… En attendant la suite !

Jean Baptiste Cadet
Photo : Pierre Marchal

Les « Combats » de Michel et Serge Pautot

« Ubi societas, ibi jus » (là où est le remède, là est le droit). Le droit ne peut naître que si une société existe… Serge Pautot et son fils Michel ont fait de cette maxime romaine un viatique les guidant, par delà leurs pérégrinations juridiques, dans les méandres du droit du sport. Les avocats marseillais interviennent depuis plus de trente ans au service de sportifs – et quelquefois de non sportifs – bousculés par le système. Ils ont contribué à créer de la jurisprudence par l’arrêt Malaja, « arrêt Bosman puissance dix », défendu les droits à l’égalité des femmes avec Sophie Girard, confrontée à la misogynie des dirigeants fédéraux. Ils ont placé le curseur au cœur de la personne humaine, en défendant le droit au travail de Mister Skyman, le Nain volant, celui des footballeurs africains, comme Joseph Antoine Bell dans ses déboires avec la ligue nationale de football et l’Olympique de Marseille.
Au travers d’anecdotes savoureuses – affaire Lolo Ferra ri contre la Scuderia –, le duo établit un magnifique tableau des à-côtés du sport, kaléidoscope intimiste de coulisses pas toujours reluisantes. Une plongée salvatrice dans des domaines de plus en plus dérégulés… Auteurs de nombreux ouvrages, ils publient également le bulletin d’infos juridiques sportives « Légisport ».
« Nos Combats pour le sport et la justice, quelques grands procès », Michel et Serge Pautot, éditions du Sékoya, 24 € (prix métropole)

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