Ordinairement, la fleur symbolise l’harmonie, l’amitié, la délicatesse. En 1848, date qui a un fort écho à La Réunion – restauration de valeurs humaines fondamentales avec l’abolition de l’esclavage -, Alexandre Dumas écrit « La Dame aux camélias », roman d’une passion qui finit mal… La 26ème édition du Camélias Raid, le 21 avril 24, ressemble à tel épilogue.
Fidèle aux courses de Rando-Camélias, j’aurais pu être à ma manière un « Monsieur aux Camélias », épris de ses courses depuis des lustres ; j’ai fait en série le format DTour 45 km (en 2012, 2013, 2014, 2015, 2016…) ; le dernier format DTour 60 km en 2018 : tous les Camélias Raid depuis plus d’une décennie (en 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019, 2022, 2023, 2024)… Un long roman dans les hauts de la capitale, au fil duquel l’hobereau finit par perdre le Nord, et les plus fervents serviteurs se sentent désormais malmenés…
La Camélia dell’arte…
Lundi matin en effet, les deux journaux locaux, – aussi accablés qu’ils soient devenus eux-mêmes et attendant en vain qu’on veuille bien leur communiquer les résultats des 3 épreuves « Dtour »… -, ne peuvent éviter, a minima, une restitution perplexe sur ces emblématiques courses du week-end by Rando-Camélias au long règne ayant rayonné sur toute la planèze Nord. « Des Surprises et des Couacs », titre le JIR, évoquant des « problèmes de balisage » qui ont « dérouté bon nombre de coureurs », « sans compter les classements de facto faussés »… Cash, mais tout à fait exact. Le Quotidien titre subtilement : « Tous les chemins mènent aux Camélias »… Humour dévastateur pour une course…
Et pour cause : des parcours à la carte – surtout à la débrouille faute de balisage et de jalonneurs sur le terrain… – ont résulté des classements à la carte, pas seulement chronométriques mais déclaratifs, négociés ou pas… Il fallait bien réinsérer tous les égarés pour limiter le fiasco. Certains qui sont descendus tout schuss depuis le chemin Macassis – il n’y avait aucun signaleur pour toute la tête de course à cet endroit très stratégique -, via Saint-François, ont néanmoins été insérés à la louche dans le classement – de bien sympathiques coureurs au demeurant, tels Safaoui Mohamed, Emerick Drôle, etc. – ; d’autres comme le vaillant Allan Sautron, qui ont fait exactement la même erreur induite, n’y figurent pas. Dans un DTour qui joue des tours, beaucoup ont été D-goûtés d’être D-routés…
S’agissant des formats 45 km et 65 km, il faudra attendre jusqu’au lundi soir pour que des semblants de « résultats » soient enfin donnés par Sport-Pro !
Soyons clairs, le retour direct par Macassis, puis par le raidillon de Saint-François, était légèrement plus long – pas en linéaire mais du fait des virages routiers -, toutefois autrement plus rapide ! Possible de mettre du 20 km/h dans cette régulière descente roulante, au lieu du 10 max par les sentiers techniques côté Brûlé… C’étaient là, de toute manière, 2 parcours complètement différents, et on comprend mal comment réintégrer ceux qui avaient déboulé par Saint-François, arrivant d’ailleurs du côté opposé sur l’allée finale des cocotiers… Un édifiant folklore ! En particulier, la traverse pour rejoindre les hauts du Brûlé depuis la bifurcation peu évidente, cachée à angle fermé, et sans signaleur sur Macassis, présente un profil irrégulier, raviné, donc avec des dénivelés ; elle est boueuse, rocheuse, glissante, encombrée de calumets morts…
Le croisement des têtes de courses, Camélias Raid en montant, et DTour 65 km en descendant, sur l’étroit et non entretenu sentier Laverdure, ne procédait pas de la meilleure idée…
Attention, sur ce tronçon, le parcours « officiel », qu’avait choisi implicitement Rando-Camélias sans en informer les coureurs avant la course – règlement et trace donnés n’orientaient aucunement par là – est encore non moins officiellement interdit par l’ONF ! Et il y a bel et bien eu des blessés sur cette section fermée… C’est dire le degré d’amateurisme inconséquent pour une 26ème édition !
Un règlement et des valeurs qui perdent le Nord
Ces évidents constats inquiétants invitent à s’en référer plus précisément au « règlement » : https://www.sportpro.re/courses/epreuves/06033-camelias-raid/
Article 3 : Conditions générales de participation – Catégories d’âge.
Elles s’arrêtent à M4. Les M5, M6, M7, M8 y étaient donc officiellement exclues ! (Mais présentes, dûment inscrites évidemment…)
Article 5 : Equipement obligatoire.
Lampe requise uniquement pour le « 71 km ». Or, sur le Camélias Raid ayant décollé à 6 heures, nous avons eu 25 minutes de nuit ; compliqué de monter le début technique du sentier Mercure ; certains, comme l’ami élite Nawid Sarem, avaient leur téléphone en mode torche, d’autres pestaient de trébucher ; nous avions proposé de décaler le départ d’un quart d’heure : aucune prise en considération du problème. Sur le respect de l’équipement obligatoire, encore une application à la carte : par exemple, le 2ème, Sanion Surfa, arrive loyalement avec son sac à dos rempli de tout ce qui est requis, cependant que le 1er, le jeune Théo Robert, – un extraordinaire coureur qui a eu le mérite de faire le bon parcours – déboule avec seulement son léger débardeur sur le dos, comme la plupart des élites… Rien de méchant, mais là encore, tout le monde n’est pas logé à même enseigne. Chacun fait comme il veut dans la confusion, alors qu’il suffirait d’adapter le règlement pour cette épreuve bien plus courte que les autres formats ; de simplement « conseiller » le sac, 1l d’eau, etc., à ceux qui vont passer plus de temps sur le terrain… Parlant de différence de traitement, le même Surfa, outre qu’il se pénalise par respect du règlement, ne reçoit dans un 1er temps pour sa 2ème place qu’un ridicule petit trophée au regard des autres… Après que nous ayons réagi, il lui en est accordé finalement un plus conforme à son rang…
Article 12 : Itinéraires.
On observe une grande légèreté ; après « les 70 », « les 45 », le Camélias Raid prend le nom de l’Asso avec un descriptif qui ne traduit aucunement le parcours découvert – plus ou moins… – par tous pendant la course : « Rando-Camélias : Allée Coco – Sentier Mercure – Chemin de la Roche Écrite – retour Allée Coco. » (J’ai juste corrigé l’orthographe.)
Article 14 : Classement.
« Il sera établi un classement général ainsi qu’un classement par catégories et par sexe. Un prix sera décerné aux 3 premiers de chaque catégorie. » Ce ne sera pas respecté : les M6, 7… sont totalement ignorés. Qu’un grand champion tel Henri Nourry, ne soit pas récompensé 1er M6 sur le 65 km, n’est pas tolérable. Et que dire pour Georges Zibel, 1er M8, légende dionysienne de l’Ultra-Trail péi, résident du Brûlé, assidu sur les sentes des DTours… (Vu l’article 3 qu’on pensait relever de la confusion globale, les anciens n’auraient le droit que de payer leur place, mais pas de l’occuper sur le terrain, encore moins sur les podiums… Oubli révélateur du règlement…) Qu’on ne donne rien aux anciens, pourquoi pas, mais respectez-les au moins ! Ceux qui les écartent connaissent-ils vraiment leurs pedigrees de vieux briscards ? (J’en ai fait, des podiums de cat. tant sur le Camélias Raid que sur les DTour 45 et 60, où l’on était alors mieux considérés…) Aujourd’hui, on n’a pas besoin qu’on nous jette des fleurs – de camélias – mais juste d’être traités comme les autres catégories, ni plus, ni moins… Nous appeler, comme les précédents, sur le podium pour se saluer, faire une petite photo souvenirs entre nous, assortie d’un rituel mot amical de notre vieil ami ambianceur Jérôme Désiré, n’aurait rien coûté… Est-on devenus trop vilains ? Edifiante discrimination par l’âge sachant que la mairie de Saint-Denis, partenaire et représentée par la sympathique championne Alexandra Clain – victorieuse de l’édition 98, aujourd’hui conseillère municipale et départementale -, qui m’a d’ailleurs félicité à mon arrivée, est connue pour son « Dispositif Seniors » offrant de nombreuses activités sportives aux plus de 55 ans. Mais Rando-Camélias les ignore ostensiblement, les anciens ; à croire qu’ils n’en ont pas parmi leurs proches, et qu’eux-mêmes resteraient toujours jeunes… Loin d’une simple négligence, on observe une stratégie graduelle de mise à l’écart des anciens qui, l’an passé, voyaient juste les 1ers de catégories récompensés, 1ère étape avant le plus rien de cette année… Malin ! Le savoir-vivre, le vivre ensemble, les valeurs sportives… Des mots creux aux Camélias ?
L’an passé, il y avait eu aussi un ballon d’essai sur un prix d’inscription exorbitant, puis revu à la baisse pour retrouver quelques clients, mais le mal était fait, raison pour laquelle le Camélias Raid en tant qu’épreuve isolée était mort, et qu’il a été associé aux 2 autres formats… Question d’argent encore, quitte à tout foutre en l’air du socle de Rando-Camélias, par des calculs peu humains : on me laisse entendre, « OK, tu cours encore vite, mais les vieux sont trop peu nombreux pour qu’on leur accorde de monter sur un podium ; ils n’apportent pas assez d’argent par leurs inscriptions, on ne veut pas avoir à leur donner quelque chose »… (Transposition sans âme d’un certain discours sociopolitique sur le coût des vieux)… Perso, je ne demande ni breloque ni casserole, – je sais que certains coureurs de ma catégorie y tiennent tel l’ami Axel Belon qui les dédie à ses petits enfants, désir louable -, j’en ai assez comme ça ; je m’attendrais juste à moins de rejet (pour ne pas dire mépris), tout en faisant remarquer qu’avec toutes mes inscriptions passées, ce n’est pas moins de 1000 euros que j’ai donnés à Rando-Camélias. Cerise sur le gâteau dans ce registre matériel, on me donne un tee-shirt S fille (et il y avait pourtant le choix car je suis arrivé bien avant la masse) ; même en étant un petit gabarit, je ne peux l’enfiler. Je veux bien le redonner à Rando-Camélias. (Comme je suis disposé à lui restituer tous mes trophées passés ; je les méritais moins quand j’étais plus jeune, que maintenant ; ils pourraient utilement s’en servir pour récompenser les anciens la prochaines fois, ce serait une bonne action.) Perso, les tee-shirts ne m’intéressent pas, et je déplore d’ailleurs que tel épicier ait pris le pouvoir sur le monde du trail avec ça, au détriment des dispositions sérieuses. On en voit les effets… Que cette sombre édition « Dtours/Camélias Raid » soit l’occasion de rappeler les fondamentaux : le trail c’est de la logistique toute militaire, du respect des coureurs, et non agiter des babioles par des ignorants de la discipline !
Comme pour beaucoup de dérives sur l’île, il se passe une forme de passivité face au pire du trail. On n’est pas mesquins comme se révèle l’être devenue l’organisation, sensés partager le sport entre amis, Mais jusqu’où peut-on supporter d’être des pantins malmenés ?… Car Rando-Camélias mériterait clairement d’être inquiétée pour :
– Mise en danger de la vie d’autrui : passage sur un tronçon fermé par l’ONF, mise en perdition des coureurs hors du parcours sensé être déclaré administrativement… (Sans parler de la plainte exprimée par de nombreux coureurs du 65 km, sur un manque de ravito qui les a dangereusement déshydratés.)
– Discrimination par l’âge…
(Hors métropole, je fais des courses où seuls les 3ers H et 3 1ères F sont récompensés, et parfois le 1er de chaque catégorie, mais il ne saurait être question d’en exclure certaines par rapport aux autres ! Ce serait inconcevable ; le cas échéant, il y aurait un mouvement de solidarité… Aux Camélias, l’ambianceur Jérôme invite à de fraternelles accolades entre tous les coureurs au départ, mais la leçon semble oubliée à l’arrivée…)
Le déclin après une histoire glorieuse
Il y a une dizaine d’années, le Camélias Raid était une véritable institution qui attirait des centaines de coureurs (400 en 2014), devenant alors l’épreuve phare du fameux challenge « Décathlon-Peugeot-Le Quotidien ». Il a façonné la célébrité d’élites hors normes qui ne faisaient pourtant pas d’ombre aux plus anciens… Jerry Perrault qui en a gagné 9, et tous les meilleurs coureurs de l’île venaient le titiller sur le terrain comme Arnaud Moël, avec des vainqueurs tels Michel Candasamy, Jean-Pierre Renanbatz, Thierry Techer, Eric Lacroix, Yoann Bègue, Juanito Lebon, Eddy Narayanin, Frédéric Duchemann, Jean Marie Cadet, Fabrice Mithridate, Surfa Sanion et compagnie ; chez les féminines, Marcelle Puy, Chantal Hodji, Alexandra Clain, Géraldine Picard, Maud Combarieu, Delphine Dérand, Corinne Emma, Anne-Cécile Delchini, Fatima Hibon, Franceline Chapelin…Ceux qui connaissent bien l’histoire de la course à pied à La Réunion, mesurent pleinement de qui on parle là ; les meilleurs de l’île se donnaient RV aux Camélias! Le parcours était stabilisé, avant les improvisations hasardeuses de chacune de ces dernières années, jusqu’à conduire au fiasco de ce week-end où les contraintes post cyclone Bélal invitaient tout au contraire à reprendre un tracé classique dont le champ était libre… (Aller Mamode par le Laverdure, et retour par la RF.)
L’ayant couru tous les ans au moins depuis 2013, j’ai été aux premières loges pour en constater le graduel déclin, d’où le grand désengagement des bénévoles (qui se traduit donc sur le terrain…) Pour ce crash, malgré ma connaissance des coulisses, je me garde de mettre en cause des personnes ; j’ai d’ailleurs, et je le dis sans « Dtours », beaucoup de respect pour Jacques Clorinde ; j’ai souvent loué les talents de Léonce Honorine, Président de Rando-Camélias, en tant que coureur…
Cette manifestation Dtour vaut-elle encore collectivement le détour ?
J’aurai terminé ce plus difficile Camélias Raid (24 km, 1300 m D + et 1300 D -), en ayant réussi à suivre le parcours dans la tête des organisateurs, soi-disant 48ème au scratch, dans tous les cas 1er M6 sans équivoque en compagnie de l’ami mauricien, le célèbre Cliff Sooben – que j’avais déposé dans la montée au Brûlé avant qu’il me revienne dessus en canon dans la descente finale -, 3ème M5, avec l’accueil chaleureux de Jérôme Désiré, qui ne devait pas m’appeler sur le podium comme d’habitude, m’adressant des signes d’en être désolé… Je connais les grandes valeurs humanistes de ce dernier, mais « conflit de loyauté » oblige quand on est prestataire de Rando-Camélias. Pourtant, comment ne pas engager une réflexion collective face à ce genre de situation, organisateur, animateur, chronométreur… S’agissant de ce dernier, bien sûr, les anomalies qui me précèdent ne m’auront aucunement échappé ; en faisant des copies d’écran du live à intervalles de temps après mon arrivée, j’ai vu le classement évoluer après coup ; j’en ai donc l’aussi intéressant qu’hallucinant historique… Même s’ils ont à subir l’organisation, les diverses réactions des coureurs, partenaires et prestataires devraient s’interroger. On trouvera toujours des clients en agitant des babioles et en proposant un format qualificatif pour le GRR, mais pourquoi d’authentiques coqs péi, comme Thierry Doquéro, l’élite du Brûlé qui a fait beaucoup de Camélias Raid à de bonnes places – encore 17ème en 2018 -, ont-ils décidé de ne plus y venir ?
La manifestation DTour n’aura jamais finalement porté aussi bien son nom, par défauts, tant les détours improvisés au gré de la confusion ambiante, auront créé un tas de variations marquées. Plutôt que de faire un simulacre de courses codifiées jusqu’au bout du n’importe quoi, n’aurait-il pas mieux valu finalement, aboutir à une sortie fraternelle sans classement, avec des parcours différenciés dans les hauts du nord, et finissant par un regroupement festif, intergénérationnel, aux Camélias… ? Mais à ce stade, est-ce que cette manifestation DTour vaut encore, pour les coureurs attachés aux vraies valeurs du trail, vraiment le détour ? Bravo aux coureurs ; il fallait du mérite pour se tirer d’affaire de cette édition galvaudée…
Texte et photos Daniel Guyot