Bronzer sous la pluie, c’est possible. Le Club R en a fait la démonstration, la semaine dernière à l’Île Maurice, dont les athlètes ont irradié la 10e édition des Jeux des Îles de l’Océan Indien d’un arc-en-ciel quadricolore.
La Réunion est revenue bronzée de l’Île Maurice pour la première fois de son histoire aux JIOI. Et pourtant, on ne peut pas dire que le soleil était très généreux durant cette grosse dizaine de compétitions arrosées au pays du dholl puri. Dans ce climat d’humidité, les nageurs ont bien ouvert les hostilités, comme à leur habitude depuis quarante ans. Mais dans un complexe de Côte d’Or ouvert aux quatre vents, leur relative frilosité était déjà annonciatrice d’un dérèglement métallique.
Avec 46 médailles d’or au compteur, 178 en tout, le clan 974, qui n’était encore jamais descendu voir sous la deuxième marche, glisse d’un étage sur le podium pour la première fois en dix éditions, après en avoir remporté sept par le passé. Juste devant lui, Madagascar (49) peut remercier ses puissants haltérophiles pour en avoir arraché la moitié. Ses pointes fantastiques. Ses paniers en or. Mais aussi le haka maki, qui a donné la force à la tribu « gasy » de reléguer le comptoir de Bourbon au troisième rang dans l’océan. L’île Rouge reste cependant à bonne distance du record absolu des Jeux, établi en 2007, lorsque les Malgaches s’étaient forgé cent breloques en or dans leur jardin tananarivien.
Mais LE tour de force, c’est l’île Maurice qui le réussit. D’abord pour avoir organisé des Jeux « cinq étoiles », comme l’avait maintes fois promis le ministre des sports mauricien, Stephan Toussaint. Allez donc questionner les athlètes réunionnais, seychellois, malgaches, mahorais, comoriens ou encore maldiviens… Pas un d’entre eux ne trouvera motif à se plaindre. À Balaclava, dans leur palace « bordmer », les sportifs péi ont vite oublié l’étroitesse de la chambre d’étudiant dans laquelle ils avaient dormi à deux, il y a quatre ans de cela.
L’île Soeur mate ses frères
Peut-être un peu trop même. Car à l’arrivée, Maurice a marché sur « ses » Jeux. Et nos Bourbonnais ont compté leurs plaies. Pour la première fois depuis la création de l’épreuve, il y a quarante ans de cela, le « Four Stripes » from Mauritius flotte haut dans le ciel à l’issue de la compétition. Avec 92 pièces jaunes, les cousins ont fait sauter la banque. Que le personnel s’amuse. Douze ans après le casse du siècle à Madagascar, les Mauriciens, bien aidés par leurs chercheurs de trésors rodriguais, s’affirment comme les deuxièmes plus grands pillards de la zone. À l’instar du javelot de Jessika Rosun, traversant le ciel d’une pelouse de Bambou, Maurice est allé planter son drapeau bien plus loin que tout le monde. L’île Soeur vient de dépasser ses frères. Et avec la manière.
Ce succès total, la nation le doit aussi et surtout au « pép morisien », d’une ferveur et d’un soutien admirables. Du palais de Côte d’Or à la boue de Curepipe, des bouchons gratinés de Rose-Hill, aux plages enchanteresses de Grand-Baie, d’Anse-la-Raie ou de Mont-Choisy, des gymnases surbondés de Vacoas-Phoenix, jusqu’au gazon béni de Flacq… les « Alé Moris » ont résonné avec force aux quatre coins de l’île. D’une voix unie, l’ex-Isle de France a joué une autre Marseillaise. Un Motherland qui a résonné près d’une centaine de fois en l’espace de dix jours aux oreilles de patriotes conquis.
Hormis ce formidable concert populaire, cette dixième partition, parfaitement exécutée, a également atteint des sommets sur moult terrains de Jeux. Et même si les ségatiers réunionnais devront encore patienter pour la standing ovation, certains virtuoses du 974 auraient mérité un rappel.
Rendez-vous aux Maldives
On pense entre autres à la sirène, Alizée Morel, qui a encore éclaboussé de sa classe les bassins de Côte d’Or, en se couvrant d’or à sept reprises pour ses « plus beaux Jeux ». A l’éclair de génie du petit roi, Sébastien Elma, vainqueur du contre-la-montre individuel en vélo, qui a privé l’armada mauricienne d’un carton plein annoncé. À la maîtrise de nos beach-volleyeurs sur le sable de la côte nord, qui, en guise de baptême, ont douché la Beach Arena aux quatre couleurs, offrant ainsi à des sports collectifs moribonds une pluie d’or vivifiante.
Tout comme le gardien de but du Club R, qui s’est posé en pompier de service pour éteindre l’incendie de Flacq, où, malmenés durant 120 minutes devant 8000 spectateurs en délire, les « Bade Boys » ont triomphé à l’issue d’une séance de tirs au but complètement folle. En stoppant cinq tentatives sur cinq, Mathieu Pélops a privé l’île Maurice d’une dernière première marche dans son ascension vers les cimes. On pourrait aussi citer en vrac le sacre inédit de nos pongistes dans l’épreuve par équipes, le very good trip de Génin en bad, le one shot de Jami Abdallah en boxe ou encore les fulgurances de nos fondeuses en athlétisme…
Parmi les images fortes, on retiendra aussi le panier à trois points du double-mètre, Mickaël Var, face aux Seychelles. Un shoot au buzzer, et un gros buzz sur la toile, malheureusement insuffisant pour faire oublier les briques mahoraises en demie. Et puis, enfin, que dire de la photographie du judoka en titane, Matthieu Dafreville, face contre terre, quittant les tatamis internationaux sur un K.O dans les règles au gymnase Malabar de Rodrigues ? À l’image de la Réunion, le porte-drapeau des JIOI 2015 termine sur une queue de poisson.
Mais LA plus grosse sensation de cette dixième édition, c’est une jeune fille de onze ans qui l’a signée. Plus jeune athlète de cet opus 2019, le piment maldivien, Ali Fathimath Dheema, a donné la leçon à ses aînées en s’octroyant trois médailles d’or en tennis de table. Soit les trois quarts de la récolte de son pays à elle seule. Lors d’une ultime journée de compétition où elle a littéralement détruit ses adversaires mentalement, l’adolescente, mi-ange, mi-démon, a montré la voie aux Maldives, qui hébergera les Jeux pour la première fois en 2023. Rendez-vous est donc pris dans la République pas très démocratique aux mille îles, dans une olympiade. Inch Allah.
Texte : Ravanne LEGENTIL
Photos : Pierre MARCHAL