Je ne surprends personne quand je parle d’octobre en matière d’Ultra-Trail, mais le Grand Raid le 30 juin, 178 km, ce n’est pas une vanne : c’est à Vannes, autour de son magnifique Golfe du Morbihan. Une mer intérieure – en breton Mor bihan (petite mer) et qui a donc donné son nom au département 56  – 115 km² parsemés d’une multitude d’îles…

Les sublimes beautés des paysages sont variées en fonction des marnages découvrant de magiques estrans de sables granitiques, de vasières colorées, d’herbiers pastellisés, de criques intimistes, de pointes mordorées, de monuments mégalithiques… La plus grande course évidemment de Bretagne, terre de trail, pas moins de 16 communes traversées… Dans le Top 5 des plus gros trails français. La plus envoûtante aussi, avec le « Trail du Bout du Monde » (Finistère) que j’ai également courue avec bonheur en 2012 – elle aura lieu le week-end prochain – et la « Traversée de la Baie » (Côtes d’Armor), la même année. Je remercie le jeune Champion Elite typé RUN/BZH, Arnaud Moisan – ce vaillant costarmoricain d’origine qui s’est plusieurs fois illustré sur le GRR comme sur l’Ultra-Marin, y faisant 32ème en 2019 -, de m’avoir inspiré mon 1er Grand Raid en Bretagne, comme je lui avais inspiré le 1er Grand Raid « Marche des Cimes » de 1989 transposé en 2020 (à défaut de Diagonale), à La Réunion… Si un sacré bastion de bretons débarque chaque année sur la Diagonale des Fous, quelques réunionnais ont fait le chemin inverse, comme moi, pour tenter l’Ultra-Marin. Et nous n’en serons pas déçus, loin s’en faut !

De mon voyage juste avant la course, j’ai malencontreusement ramené une mauvaise crève – grippe, Covid ? – sans doute dans les confinements avion et TGV pour venir en Bretagne depuis La Réunion… Compliqué de partir pour un Ultra dans cet état, – et pas forcément recommandé… – mais c’est ainsi que je me suis lancé au GRR 2015, finalement terminé comme les autres ; alors je me dis que ça reste encore jouable, – en renforçant l’hydratation, en modérant le rythme -, et que le vivifiant air marin ne saurait que me faire du bien, galettes saucisses et bolées de cidre pouvant aussi y contribuer agréablement…

Il était prévu 6 SAS de départ, j’ai un dossard me mettant dans le 2ème – c’est-à-dire sur une prévision de moins de 30 h… -, mais finalement les presque 2000 coureurs partiront ensemble. Même si l’ambiance est surchauffée avant le coup de pétard, par une animation qui rappelle celle du GRR, ça ne pousse pas autant qu’aux départs en Diagonale. Je discute avec Yvan le Guyader qui l’a faite, et a toujours au poignet, comme moi, le bracelet jaune – certains arborent carrément le tee-shirt de course Diag’ – des Fous de 2022. Ça crée des liens solidaires…

Après un ébranlement assez rapide à 17h30, dans l’euphorie qui fend la foule sur le port, je reste, au fil de la première vingtaine de km assez roulants, sur une moyenne de 10 km/h. « Ne surtout pas s’enflammer », que je me répète en boucle, face à l’emballement de la masse qui me submerge telle une immense marée… J’en ramasserai une bonne partie, réduits en coquillages échoués, plus avant. Je garde l’âme du goéland qui gère ses élans : cool au moins durant les 80 premiers kilomètres, après on avisera. J’ai l’occasion de discuter longuement avec un jeune M5 aux performances remarquables pour notre catégorie (encore 38 min au 10 km, 1h24 au semi) et qui devrait logiquement finir 1er, Didier Souchard. Mais rien n’est jamais acquis sur une si longue épreuve, souvent scandée de phases bien différentes, de marées aux coefficients aléatoires…

J’ai déjà tranquillement parcouru 45 km quand, peu après 22h30, la nuit tombe ; mais je n’en sortirai qu’après les 45 suivants qui s’avèreront les plus difficiles, le temps devenant contre toute attente, tempétueux ; les rafales glaciales armées d’hallebardes à l’horizontale mêlées d’embruns, nous tabasseront sans discontinuer au fil de longues sections techniques entre roches, graviers, limon, dans des successions de bosses piquantes. Au plus bas, on s’enlise dans le sable ; en haut, on est bousculé par les bourrasques… La décantation étant largement faite, on se retrouve cette fois seul en milieu franchement hostile. Mes deux couches sous le Kway – heureusement, je venais d’en prendre un de qualité à « Run Aventure » de St Brieuc – s’avèreront limites ; mes batteries de frontale se vident plus vite ; je dois les changer dans des conditions pénibles ; heureusement encore, j’ai une 2ème lampe ; bien équipé, je suis blindé pour avancer, mais le balisage devient défaillant à plusieurs endroits… Ça se corse donc sérieusement. J’ai quasiment les mêmes sensations que lors de mes tours d’Ouessant en plein hiver. Il faut lutter contre les éléments, bien s’alimenter pour que le corps en ait les ressources supplémentaires… Se concentrer sans se crisper. Je coupe court aux mélodies devenues trop molles ici de Didier Squiban et de Dan Ar Braz qui me berçaient la cervelle, pour me mettre à chanter la militante « Délivrance » d’Alan Stivell – alter ego de notre Gilbert Pounia Réunionnais – (E Dulenn, 1975), sur les terres de ses ancêtres paternels ; fallait pas me chauffer le coco avec ce coup de froid : rien ne pourra m’arrêter.

Débarquant, déterminé, à Arzon déserté, au PK 90, impossible de savoir où aller ; avec ceux qui arrivent, très espacés, va se former un petit groupe, perplexe, jusqu’à ce que qu’un nouvel arrivant connaisse le coin… Nous finissons par atteindre la grosse base de vie, positionnée précisément à la mi-course, où la plupart avaient prévu de se faire emmener un sac assistance ; pas moi qui, malgré le sac à dos trop lourd pour mon gabarit – outre les poches bien remplies de mon maillot bleu Ultra-Marin pris hier chez « Tonton Outdoor », le Master-partenaire -, avais opté pour l’autonomie totale. Ça ne m’empêche pas d’avaler la soupe chaude aux légumes, et la purée jambon, proposées… Sérieux, le ravito ! Mais je ne vais pas trop y traîner vu l’ambiance plombée de coureurs déjà manifestement entamés.

Lorsque je repars, bien repu comme un gras oiseau migrateur – le golfe en est une sacrée réserve où les volatiles refont aussi le plein pour repartir loin -, je comprends vite que c’est pour une toute autre course, beaucoup venant d’abandonner après la rude nuit, les autres commençant à montrer de sérieux signes d’épuisement. Je me retrouve avec un jeune senior aux avantageux abattis d’échassier, Allan Huraux, qui semble encore gaillard pour la suite, c’est-à-dire le 2éme arc de cette boucle circonscrivant le golfe, de nouveau environ 90 km… La tournée continue, on remet ça ! De Port Navalo, nous devons prendre un zodiac pour franchir le petit bras de mer, à très fort courant, nous séparant de Locmariaquer ; le sympathique capitaine m’explique la difficulté de ces opérations cette année, à cause de l’imprévu coup de tabac, de l’état de la mer ; pour ne pas être rincés et pétris de froid, nous devons enfiler une grande cape sous un épais gilet de sauvetage… Bravo à l’organisation pour ces modalités d’encadrement, comme la mise à disposition de navettes à tous les postes, afin de prendre en charge les coureurs ayant abandonné…

De nouveau les pieds à terre, je rejoins le Crac’ch – Espace des chênes, en compagnie d’Allan, retrouvant une allure moyenne correcte de 8 km/h, puis je m’envolerai seul, dans une dynamique accrue me faisant à l’évidence remonter régulièrement au classement – que j’ignore – au vu de ce que j’observe ; les 22 kilomètres qui séparent les 2 derniers ravitos présenteront de sérieux obstacles, d’abord un sentier pentu, à forts dévers, de racines et dalles en tous sens, très glissantes ; puis un long passage en mode longe-côte, où, à marée haute, le reste du corps encore émergé est claqué par les vagues ; et d’autres perditions… Le dernier poste atteint, Arradon Penboc’h, je prends le temps d’enlever les tonnes de sable de mes chaussures, et expédie les 16 derniers kilos sur le rythme du début, 10km/h. Sous une belle éclaircie radieuse, il y a foule sur le port et surtout de part et d’autre des barrières protégeant le long tapis bleu, lorsque je franchis l’arche d’arrivée en refermant mes ailes ; en forme. Après une soirée festive à l’animé « village trail » du port de Vannes, encore bien lucide et pas trop fatigué, je reprendrai ma voiture pour traverser de nuit la Bretagne, afin de rejoindre mon camp de base : Trémuson, là où toutes mes aventures de trail commencèrent, dans ces belles vallées d’enfance où je ferai dès le lendemain, des balades de récup’active.

J’en ai donc terminé 2ème de cat. en 26 h 46, derrière un autre Daniel, de son nom Chevillon qui avait fait 30 h 47 en 2018. Impressionnant de progresser ainsi en 5 ans à cet âge… Didier Souchard aura finalement abandonné après 124 km de course, à Bono port. Le sympathique ami Yvan Le Guyader, Team Breizh/ Réunion au beau maillot qui associe les 2 régions, alors qu’il avait terminé la Diagonale 2022, laissera tomber l’Ultra-Marin au 58ème km à Sarzeau. Le jeune senior Allan Huraux, marquera le pas après notre bon bout de chemin ensemble depuis Arzon, 90ème km, pour finir juste après 30 heures ; l’impressionnante réunionnaise, Claudette Legrigeois, confirmera ses performances sur la Diagonale, terminant 1ère M6 en 28 h 50… Elle m’évoque des figures marquantes de la course à un certain âge, comme Odyle Monteils. Vivien Laporte et Stéphanie Gicquel confirmeront les prévisions de victoires. Avec à peine 1000 finishers, le taux d’abandon aura été énorme… Je plains ceux qui auront dû passer une 2ème nuit de course, encore bien fraîche, et les félicite de leur ténacité à être finishers dans ces conditions.

J’aurais pu mieux faire en partant sans crève, avec un sac plus léger, et en connaissant le parcours vu les défauts de balisages, mais 2ème sur plus de 100 M5 partants dont 59 finishers, ça me va, surtout à 2 mois de passer M6… D’autant que sur les Ultras, la compétition n’est pas mon moteur ; sur ces formats longs, il convient avant tout de viser le meilleur de soi-même pour avancer en fonction des circonstances, l’essentiel demeurant de prendre le maximum de plaisir à investir la nature, libre tels ces oiseaux de mer qui jouent avec les vents et les vagues, l’éther et les terres, en parfaite symbiose avec l’environnement, jouissant de jouer avec lui…

Merci aux plus de 40 000 spectateurs (sources Ouest-France, mais on l’a bien senti en live), de nous avoir soutenus chaleureusement. Merci au plus de 1000 bénévoles pleinement mobilisés pour nous faciliter le périple. Merci aux organisateurs de cette très atypique course. Son bien moindre dénivelé qu’une Diagonale ne la rend pas pour autant si facile… L’entame roulante en aura d’emblée amené beaucoup à se griller les ailes ; par ailleurs, de nombreuses difficultés (changement de milieu, de terrain, de temps…) viennent corser l’aventure. Bravo à tous les coureurs pour s’y être confrontés… Mon expérience m’aura aidé, mais il est logique que les conditions particulièrement difficiles cette année, aient produit des dégâts au sein de la troupe. Un coureur m’a confié qu’en une dizaine d’éditions à son actif, c’était la plus dure… Tout le monde craignait de souffrir de la chaleur, ils ont dû faire face au froid. Mais, il est probable qu’il ait finalement favorisé les tous premiers, octroyant un meilleur refroidissement au haut régime de leur moteur ; ils auront, en outre, bénéficié de la marée basse…

Parmi les petits bémols inévitables sur pareilles épreuves, notons que pour cette 18ème édition, le sens de la course ayant été inversé, retrouvant celui des aiguilles d’une montre – et il est en effet judicieux que la marche dans la mer se retrouve sur la fin ! -, le positionnement et la nature des ravitos, restés identiques, ne sont plus vraiment cohérents avec le déroulement de l’épreuve : les ravitaillements rapprochés du début ne sont pas nécessaires, en revanche l’espacement de 22 km entre les deux derniers, ainsi que leur manque de nourriture solide et chaude, aura pénalisé de nombreux coureurs sur la fin. Il est probable que les défauts du balisage, par endroits, aient été induits par ce changement de sens, sans toujours penser aux nécessaires anticipations pour rendre visible les indications aux coureurs arrivant en sens inverse cette année… Par ailleurs, vu le nombre de participants, plus de 10 000 sur les différents formats (178 km, 100 km, 56 km, 34 km), il pourrait être opportun de ne pas seulement récompenser que les 3 premiers au scratch, mais aussi les catégories… Les bretons sont comme ça, hyper sympas, mais parfois un peu durs tels les granits…

L’Ultra-Marin n’en demeure pas moins une incontournable expérience pour tout adepte de la course à pied au long cours, agrémentée de quelques surprises piquantes, dont cette incroyable séance aquatique de longe-côte après 160 km d’autres réjouissances littorales – sables, vases, roches glissantes, racines, cailloux piégeurs, ornières, goulets, pavés irréguliers, alternances de bosses variées…-, et je connais déjà des réunionnais, à qui j’en ai parlé, prêts à relever le défi. Nul doute que nos traileurs péi y seront toujours plus nombreux à l’avenir ; que les drapeaux réunionnais y flotteront comme les Gwenn ha Du sur la Diagonale… Vive la Bretagne et ses liens sportifs avec La Réunion ! Vive les grandes fêtes du trail, fédératrices, que sont leurs Grands Raids !

Texte et photos Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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