L’orage gronde déjà, qu’on devine violent mais encore lointain, dans l’épaisse masse violet sombre striée d’éclairs, où s’estompe en amont, l’enfer vert de Takamaka, cependant que nous nous évadons à 13 h 45 en cette saison cyclonique 2022, sous un soleil ardent, pour 15 kilomètres d’ascension depuis le littoral Est, avec un départ donné sur l’ancienne « ligne au vent » des chemins de fer. Comme dans une cavale idéale, nous allons filer chacun à notre rythme, dispersés pour éviter d’être piégés ensemble dans un « faux train », selon l’expression locale…

Tapant tel un fuyard de la chaise électrique, aux abois, les 5 premiers kilos en allure 5 et quelques, à peine hissé au-dessus de la vaste étendue des champs de cannes, j’entre en zone de turbulences, tabassé par des hallebardes de pluies. En moins d’une heure, l’ambiance aura complètement changé depuis la côte ensoleillée et chaude… Welcome to « Cold Montain »… La pente, globalement progressive, est néanmoins ponctuée de quelques passages plus piquants : aucun risque de refroidissement, malgré une différence de 18° avec la température de départ… Seuls, les torrents d’eau s’avèrent redoutables, qui provoquent nombre de débordements par accumulation…
Mais en bon breton, dussé-je nager, j’atteindrai le bout ; et je franchis la finale flaque de flotte, profonde, afin de grimper sur le belvédère d’où résonnent les phénoménales cascades depuis tous les titanesques murs d’enceinte du gouffre de Takamaka. Dans ce contexte électrique et diluvien, de curieux automobilistes ventripotents qui viennent de réaliser l’exploit de faire les 200 mètres à pied d’une fin de route coupée, m’interpellent :
– « On n’était pas au courant de cette course ; elle relie Bélouve, ça passe ? »
Répondant gentiment :
– « Non, je viens de franchir la ligne d’arrivée ; en haute tension vu les orages ; de quoi péter les plombs ; désolé de ne pouvoir vous éclairer sur l’état du réseau des sentiers plus avant »…, je pense en moi-même :
– « T’as qu’à taquiner ces sentiers Takamaka par tels temps de cataractes cataclysmiques, toi ! »
Aucun kiosque n’ayant été prévu pour ce terminus, je m’abrite tant bien que mal sous une anfractuosité des installations hydroélectriques pour attendre mes compagnons de route. L’EDF a récemment proposé, sur ce petit plateau technique, bardé de ferraille à en attirer la foudre, une opération de charme à l’occasion du cinquantenaire de l’usine ; mais le non raccordement, 10 jours après le lointain passage du Batsiraï, de beaucoup d’abonnés en souffrance (personnes sur lit médicalisé, hospitalisées à domiciles, insulinodépendantes, âgées, handicapées, isolées…) fait de cet ex-service public un acteur supplémentaire de protocoles peu humains, dépassant des lignes rouges pour gérer ses lignes électriques… Et toutes les suppliques restent vaines, malgré les devises républicaines….
Courant aux piles atomiques sans risque de manque d’énergie, Mireille, puis Eddy, qui ne m’avaient guère eu en ligne de mire plus d’un kilomètre après mon allumage, parviennent au bout de « la ligne verte » dans les mêmes temps que la dernière fois. Nous reprenons alors ensemble le chemin en sens inverse sous de grosses averses, nous arrêtant pour une bonne recharge en eau fraîche, à la généreuse résurgence qui, dûment analysée, alimente gratuitement les bienheureux habitants du coin… Hydratés en double face entre ciel et source, nous filons vers la mer en essayant de distancer les sombres nuées… Nul besoin de mettre les watts comme en montée ; même sans trop de jus, nous bouclons ce circuit va-et-vient avant l’extinction des lumières célestes libérées des abat-jour nuageux.
De retour sur le littoral tropical, à la faveur d’un approvisionnement proposé par Mireille sur le beau promontoire de la Marine de Bourbier – haut lieu qui abrita un port très actif au 19ème siècle -, tous les finishers ont droit aux pizzas et financiers accompagnés de diverses boissons. Seuls, trois pêcheurs à la ligne partagent notre proue prestigieuse. Avec le bien être apporté par cette escapade, les spectres des pandanus sur fond océanique baigné d’une ultime résistance d’éclairages, nous paraissent une douce partition musicale dans la tiédeur vespérale. Revenus de la géhenne, l’intensité romantique nous offre sa puissance réparatrice.
Pas de mystère, en matière de courses de côtes, c’est bien celle de Takamaka qu’on préfère ! J‘ai couru 5 de ses éditions officielles, la dernière fois 1er de cat. pour mon moins bon temps, 1 h 11, alors qu’ordinairement, c’était en 1 h 08, ce qui me plaçait dans les 20 du scratch. Mireille s’est aussi hissée sur les podiums des 3 dernières éditions, à l’arrivée jugée au PK 12, au niveau de la vaste aire de jeux et de pique-nique qui fut jusqu’en 1985 le « Village Nature » EDF, lieu de vie familiale des techniciens. Eddy – un authentique gars de l’Est qui sait honorer sa verte province malgré son goût prononcé pour l’Italie et ses copieuses pizzas – a aussi couru les 2 dernières éditions officielles, et nos 2 « OFF ».
Programmée ordinairement le 1er mai, sous la houlette de l ‘Athlétique Club des Marsouins, la course de côte de Takamaka n’a pas eu lieu depuis 2 ans en raison des restrictions Covid. C’est la 2ème fois que nous la réactivons en petit comité, et dans son initiale version longue que domina le grand coureur breton, Arnaud Moël. En ajoutant la descente, on obtient une bonne sortie de 30 km pour près de 900 m D+ au fil d’une petite route assez tranquille se faufilant dans une immensité luxuriante en un cadre enchanteur : un très bon spot d’entraînement !

Texte et photos Daniel Guyot

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