Acte II après ma « Marche des Cimes » avec l’élite Arnaud Moisan ; suite à la traversée Nord/Sud pionnière de 125 km pour 7500 m D+, juste le temps de fêter mon anniversaire canonique, je repars avec Mireille Vélia-Toussaint – Finisher des deux dernières Diag’, 45 courses en 2019 et une quarantaine de podiums… – pour une traversée retour Sud/Nord de 145 km et 8500 D+. La Diag’ a été annulée, alors qu’à cela ne tienne, j’en ferai deux dans la foulée : 270 km pour 16 000 m D+ (71 heures sur le terrain, 27h30 pour aller au Sud, 43h30 pour ne pas perdre le Nord…) Et à l’aller comme au retour, pas avec n’importe qui !

Nombreuses ont été les alternatives à l’annulation de la Diag’ 2020 ; sans prétendre à l’exhaustivité :
– TDB de Fleur Santos Da Silva, très médiatisé.
– Team Breizh-Run GRR 2020, binôme d’anciens commandos de Marine, Gaël et Jean-Patrice, en faveur de l’Adosm pour aider les blessés, orphelins et familles de la Marine Nationale.
– Diag’ en mode marron/rando sur 4 jours par Christian Cochetel et Daniel Hélias (aussi passionnés de plongée que de montagne), agrémentée de 3 nuits en gîtes, avec la participation de Mahafanirina, Boudou, Bruno, Florent, Gégé, Loïc…
– Traversée de 135 km par 5 traileurs, pour la cause animale.
– Traversée directe de 102 kilomètres par Alexandre Toulcanon et ses dalons, soutenue par la Team Trail Titile, une franche réussite.
-Traversée de Véro-Véro avec l’ami Marc Bonhomme, en faveur du traitement de la maladie de Parkinson ; ont dû abandonner.
– « Diag’ des Offs » d’une quinzaine de traileurs en lieu de place de la Diag’ des Fous, depuis St Pierre jusque La Redoute par le tracé officiel, avec notamment l’ami Clément Sorres.
– « TGV Team » de Johnny Olivar avec Grégory Bataille (ce dernier a dû baisser les armes à Ilet à Bourses, et Johnny est descendu direct par La Rivière des Galets.)
– Relais « Tangente des gazés » avec Gino LSY, Giovanni Baret, Nathalie Percheron et 6 autres coureurs…
– Cimasa Nancéienne (rencontrée sur le terrain).
– Traversée par le GRR 2 des inscrits à la Diag’ de l’Est de la France (avec la tête de course vue sur le terrain, en difficultés au Piton des Neiges ; abandons en cours…)
– Récidives de Stéphane Schneider (membre du célèbre trio de grands traileurs alsaciens avec Pascal Wachenheim et Laurent Rohmer, Finishers GRR), rencontré sur le terrain à la fin de son DTour en solo.
– Tronçons de Diag’ par Christophe le Saux (rencontré à Cilaos) en vue de sa traversée de 170 km différée le 31 octobre.
– Barkley locale de l’ami Aymar Pèrié, projet d’aventure/orientation sur 186 km avec 13 000 D+, mais qui n’a finalement pas eu lieu.
Pour ce qui me concerne, après ma trentaine d’années en traversées, j’ai spontanément opté pour un « Stop, c’est magique », selon le titre d’un célèbre ouvrage d’Augusto Boal, théâtre de l’opprimé. Ne pas subir et renoncer, mais redevenir acteur pour aller de l’avant, explorer et improviser les meilleures pistes face aux obstacles. « Stop, on réfléchit », pour écrire une nouvelle page malgré celle qui venait de se tourner en refermant officiellement le chapitre Diag’ 20… Façon aussi, comme dans ces moments de doutes en plein ultra, de bien rassembler corps et esprit, mental et physique ; le talent sur le terrain d’Antoine Guillon n’a d’égal que ce qu’il en écrit : sa force première, distanciée, mûrie de l’expérience ; ses pas et ses mots vont de paire ; une lecture et une écriture de l’existence portent vers de nouvelles aventures dans une démarche toute personnelle qui sait s’affranchir des impasses obligées, rebondir de manière presque « libertaire » ; une philosophie pratiquée à la M. Onfray, sous-tendue par ce chaud « Désir d’être un Volcan » qu’incarne parfaitement La Réunion…
La base de mon « projet réactionnel » annonçait cette cavale en deux temps :
– Revenir aux origines, aux sources : la toute première Diag’ dite « Marche des Cimes » avec Arnaud. (Comme revenir sur ses pas après s’être perdu). L’aller.
– Faire le lien avec la Diag’ contemporaine stabilisée. (Intégrer ce qui est advenu.) Le retour.
Dès lors, la réflexion s’imposait sur les évolutions qu’a connues la Diag’ entre 1989 et 2019 ; faire une Diag’ moderne ayant tiré les leçons du meilleur de son passé, outre les contraintes avec lesquelles elle a dû s’adapter pour gérer la masse des coureurs… Mais là, nous ne serons qu’à deux, donc libérés.
S’est ainsi imposée l’idée de composer une Diag’ avec les meilleurs tronçons qu’elle a empruntés au fils de ces 30 ans :
– Revenir au départ depuis Saint-Philippe, et repasser par le Volcan.
– Substituer la fin sans grand intérêt entre Sans-Souci et La Redoute, par un parcours qui demeure vraiment Montagne pure et dure. Entre Deux-Bras/Dos-d’Ane, dans un premier envisagé, et la Paroi de la Roche Écrite, le choix du plus haut et du plus costaud, devenait une évidence… Cette option permettait en outre des parcours équilibrés dans les trois cirques. Pas de jaloux !
Cette démarche réflexive a finalement abouti sur « La DIAG’ Aux SOMMETS » ; toutes proportions gardées, elle peut se comparer à l’idée de Guillaume Beauxis de relier, le 27 juillet dernier, 3 sommets pyrénéens qui lui sont intimes. Pour moi, sur La Réunion, c’est : Piton des Neiges, Piton de la Fournaise, Roche Écrite…
Partis de Saint Denis après une nuit et un petit dèj. ordinaires comme pour un début de journée de boulot, Odile Sabattié nous a gentiment déposés au Cap Méchant ; il est 9 h30 vendredi matin, 16 octobre ; nos sacs sont lourds de réserves alimentaires, nous avons des bâtons de trail ; à la faveur d’un petit échauffement sur les 8 kilomètres de RF bordée de jolis cretons multicolores, puis du plein de nos 3 flasques au gîte de Basse-Vallée, nous remontons régulièrement mais sûrement les grandes pentes luxuriantes du volcan, jusqu’au bord de la Caldeira (parcours totalement inconnu de Mireille, comme sans doute d’un bon nombre de finishers aux dernières Diag’…) Elle regarde, émerveillée, ces nouveaux vastes paysages cependant que j’en observe les détails, à l’aune de mes AR ancestraux. Le survivant dinosaure des sentes que je suis, vois par exemple, en de vieux brandes blancs comme des morts, polis par les vents et les eaux, éclaircis par le soleil, os des hauts entre le chthonien et le céleste (qui sont aussi nos deux pôles de progression en bien vivants), les restes de squelettes d’animaux préhistoriques…
Pas d’éruption comme lors du GRR 2010, mais un grand beau temps. Nous rejoignons sans encombre le parking Foc-Foc, passant l’inscription au sol en Land Art « Allez les Fous !! », avant de suivre la piste jusqu’au gîte pour un nouveau plein d’eau ; réputée non potable aux robinets, ce sera deux bouteilles commercialisées d’eau minérale. Nous nous installerons à boire un bon double café servi par Myris et sa fille dans la vaste salle panoramique, avant de sortir sous une haie d’honneur et d’applaudissements par un groupe qui avait une belle ivreté du nom d’un gros oiseau disparu… Nous nous envolons par le sentier sauvage menant à la Griffe du Diable. S’offre alors la toujours aussi magique Plaine des Sables. Gravir l’oratoire Sainte Thérèse, avec ses orgues rocheux, nous transporte dans un univers de Far West. Perchés pour une bonne pause, en fin de journée, à près de 2500 m d’altitude, sur ce plus extraordinaire col de l’île, avec magnifiques vues tant sur l’imposant et lointain massif du Piton des Neiges vers lequel on se dirige au Nord, que sur le massif de la Fournaise que l’on va quitter au Sud, s’accroît ce désir de goûter encore plus avant à « l’âpre divinité de la roche sauvage » selon Nietzsche, dans l’invitation au voyage Baudelairien… Toute une poésie de l’espace qui porte en des paysages toujours sublimes sous différentes lumières comme savaient les voir et les peindre les impressionnistes… Nous mettrons les lampes frontales vers la stèle Josémont après avoir fait une petite rallonge due à la distraction par la magie des lieux. Malgré le terrain piégeur aux lames basaltiques acérées et où nous faisons preuve de la plus grande prudence, le Textor est vite atteint ; des feux de camps et bivouacs font légions aux alentours. Le bruit de groupes électrogènes et les ambiances musicales ponctuées de voies nous rappellent les ravitos GRR… Sous le ciel étoilé, je me prends à chantonner, du groupe « Les avions » : « La nuit est chaude/Elle est sauva-age ; La nuit est belle/Pour ses otages ». Mais, je me dis que je devrais plutôt choisir du même groupe, alors qu’on se dandine dans le froid : « La Fiesta polaire », où il est question de réveil rythmé dans un grand frigo…

… L’ancien GR direct ayant été dévié, nous descendrons vers la Plaine des Cafres via Nez de Bœufs et Piton Sec. Mais, alors que tout allait comme sur des roulettes depuis le début, notre progression connaîtra quelques balbutiements dès lors que Mireille sera en proie à une capricieuse panne de sa lampe frontale, – ce fameux modèle pourtant recommandé par le Maestro François d’Haene lui-même… Elle chauffe, s’éteint, se rallume… Après toutes sortes de manipulations dont le changement de batteries, il faut se rabattre sur une petite lampe de secours à n’utiliser qu’en position de faible intensité pour que son unique jeu de piles ne lâche pas… Le terrain devient ainsi difficile à lire. Nous envisageons diverses stratégies pour esquiver ce problème que j’avais déjà connu lors de ma toute première Diag’ de 89, recouvrant une avancée en mode de sérieux pèlerinage qui nous mène jusqu’aux abords de l’ex « Diligence ». Me dirigeant, par ce « Chemin des Herbes Blanches » qui porte si bien son nom cette nuit, alors qu’il allait être 22 heures, tout droit vers un bâtiment encore éclairé qui s’est avéré une école islamique – ITMR, Institut de Théologie Musulmane de La Réunion -, on nous y a offert très gentiment un secours en éclairage, un jeu de piles alcalines qui nous rassure… Une divine lumière, – que l’on se plaît à penser à la fois physique et spirituelle – éclaire désormais notre chemin, car, dès lors, il est possible de mettre la petite lampe plein pot et d’avancer de nouveau plus sereinement. Nous faisons une pause restauration avant de reprendre de l’autre côté de la RN3, la longue remontée vers le Piton des Neiges. En enlevant mon sac, la tétine de ma flasque vole soudain dans les fourrés, très dure à retrouver ; or, la réserve d’eau est particulièrement vitale en situation d’autonomie… Là, je me dis que les mises à l’épreuve techniques se répètent curieusement, mais finissent pas se résoudre favorablement aux prix de nos efforts, de notre détermination… Une invitation à persévérer plus avant dans les meilleures dispositions et actions. J’avais été tenté de faire l’ascension des grandes pentes depuis Langevin, sublime parcours intimiste avec ses baptisées « Ravine Bleue et Plaine aux Ombres Géantes » maintes fois faites chargés de gros sacs de rando, et parfois en mode plus dynamique ; et j’ai notamment le souvenir encore bien vivant de la “Passe Montagne” 96 en compagnie de l’illustre Loulou, Louis Ulentin, décédé cette année… Mais cette voie ne permettait pas de recharge en eau potable. Outre que le parc national (autant y mettre des minuscules) a brouillé les pistes, déportant le GR sur le tracé Tangue et Volcano (avec des indications très aléatoires, des temps annoncés peu cohérents…), les points d’eau tel celui du chalet des pâtres avec robinet et vieille baignoire en émail pour les animaux, n’existent plus. On retrouve en revanche beaucoup d’eau en rosée ; les pâturages sont blancs comme neige ; la température descend, les vaches ruminent paisiblement derrière les barbelés. « Elles ne dorment pas, les vaches ? », demande Mireille. Ben non, elles sont solidaires. Parfois, de gros tangues-traileurs dont j’avais pris le premier pour un rat tellement il allait vite, courent devant nous quelques instants… Bras Chanson est une jonction chaotique en vrai « Jeu de patience ». (Je parle d’ailleurs à Mireille du livre de Louis Guilloux portant ce titre, prix Renaudot 1949 ; ce grand écrivain de ma ville de naissance, ami d’Albert Camus, posant au fond la même question éthique que répétait Laurent Smagghe avant la toute première Diag’ : Pourquoi cette nécessité de rendre la vie valable ?… Chercher cette intensité d’être au fil d’une traversée qui ritualise à échelle réduite celle d’une vie…) A la croisée de Kerveguen, Cilaos apparaît endormie, aplatie dans une vertigineuse profondeur, vision qui se renforcera dans la montée vers le gîte du Piton des Neiges (où le GRR n’est allé qu’une seule fois, en 2014, du fait d’un éboulement dans le Taïbit). Et dire qu’on est déjà passés par cette crête accidentée, en mode TGV, lors de certaines versions du Cross du Piton ! En cette très rude montée aux blocs énormes avec 3 murs, limite escalade, et une moindre oxygénation de l’air… Mireille y accuse un premier petit coup de mou qui nous inspirera une première vraie pause d’une heure, plus loin, au plateau Matharum, où il fera encore très froid à la levée du jour. En attendant, nous sommes au sein d’une danse de frontales par ceux qui veulent assister au lever du soleil depuis le sommet ; la densité humaine au beau milieu de la nuit est tout à fait inhabituelle. Nous avons discuté avec les 2 premiers de la « Diag’ Off via le GR2 »,- histoire pour les participants de se dispenser de balisage – des lorrains dont l’homme de tête, fatigué, veut encore y croire cependant que celui qui le suit péniblement a décidé d’abandonner à Cilaos ; il cumule des problèmes biomécaniques, avec un épuisement majeur. On se retrouvait donc finalement dans l’ambiance habituelle de la Diag’ après 70 km de course… En redescendant la deuxième partie vers Cilaos, je crois avoir oublié une flasque à la source ; je ferai un AR tonique d’un km pour rien : j’avais mis mes deux flasques l’une sur l’autre du même côté… (Encore ces mises à l’épreuve techniques… Qui donc manipulerait les aiguilles ?) Mais ça me permet de voir que je conserve une bonne dynamique ; nous croisons Denis, le directeur de course de la Diag’, me confirmant que cette annulation n’était vraiment pas cohérente avec la situation réelle… Nous traversons le village de Cilaos alors que les commerces viennent d’ouvrir (ce qui avait motivé notre heure de départ tardif hier matin) pour nous diriger sur la boulangerie-pâtisserie et salon de thé, en face feu Tia-Tiong-Fat ou j’achetai, en 1985, les brodequins qui me hissèrent deux fois la même journée au Piton des Neiges… On s’attable un moment devant deux doubles cafés et des macatias au chocolat tout chauds. Après avoir déjà franchi deux sommets, l’option Roche Écrite est validée pour de bon. The Wall, autrement plus sévère que le Maïdo… Nous repartons avec deux grands sandwichs poulet grillé/salade dans les musettes, quittant le village avec la satisfaction de renards qui viennent d’embarquer deux pintades d’un poulailler… Après pas mal de rencontres qui nous avaient ramenés ponctuellement à la vie sociale, contrastant avec la solitude de la première partie – Christophe Le Saux, d’ex-élèves devenus grands, le sympathique patron du restaurant Les Sentiers, etc.- nous reprenons notre route vers le pied du Taïbit, admirant au passage les cimes Sud du gros Morne se détacher comme des flèches de cathédrale dans un ciel de pur azur. Pause « tisane ascenseur » aux 3 Salazes où nous discutons un moment avec l’ami Thierry Chambry, vainqueur de la Diag’ 2007. Le col est atteint tranquillement, où nous dévorerons la première moitié de nos délicieux sandwichs. Dans la descente sur Mafate, nous croiserons moult disciples d’alternatives plus ou moins classiques – Cimasa, Maïdo/Cilaos…-, à la Diag’. A Marla, les gîtes connaissent une grosse affluence dans une ambiance très festive, lieux de rendez-vous hors du monde contraint, un défouloir où alcool et zamal ne sont pas exclus, loin s’en faut… Est-ce à cause de ces effluves que Mireille devra faire un petit AR, à son tour, depuis l’église, pour aller rechercher ses lunettes ? (Il est où ce sacré gourou qui nous suit…) Après avoir refait le plein des flasques, nous remontons vers la Plaine des Tamarins toujours aussi bucolique, mais rapidement le ciel va pour la première fois devenir menaçant et les premières grosses gouttes se mettre à tomber. Au Col des Bœufs, l’ambiance change encore plus radicalement, vent froid, pluie battante… Nous descendons d’un bon pas vers le premier kiosque qui nous permet de nous habiller plus chaudement, de nous restaurer. Mireille, par-dessus ses trois couches, met la cape de secours que je lui ai recommandé d’emporter cependant que, peu revêtu en vieux breton têtu, je me contente d’enfiler un sac poubelle qui me va à merveille… Et la longue descente repart pour le Bélier où le temps s’arrange un peu ; plus franchement sur Grand Ilet. Après 110 km de “crapahutage”, je me dis que ce serait pas mal de s’arrêter dîner chez le vieil ami Serge, mais on se contente de remplir encore les flasques à la vieille pompe de l’église. Je teste un peu l’état de fatigue de Mireille ; elle me confie avoir déjà eu quelques hallucinations dans la montée nocturne au Piton des Neiges, voyant en guise de rochers des têtes de sa chatte Chaloupe… Vu les dangers que peut présenter cette paroi verticale, de nuit, glissante, je me mets en mode GPS parlant ininterrompu pour donner les bons appuis, préciser les pièges, les vides… A partir de la marque 700 du KV (kilomètre vertical), Mireille aura vraiment du mal à terminer l’ascension, elle qui n’avait mis qu’une heure à la dernière édition du KV… Pour être passé par ici aux GRR antérieurs à 2002 – avant que le champion néerlandais Guus Smit n’y trouve la mort – je sais qu’une majorité de traileurs y doublaient leurs temps ordinaires… Pour moi qui mettais 50 minutes dans mes entraînements, après la centaine et quelques de km, ce n’était pas loin de 2 heures… Mireille m’évoque un effet de couloir, d’oppression, une impression de monter sans fin au ciel (au sens propre comme au sens figuré). Le plateau basaltique enfin atteint, froid et humide, s’offrent les basses et lointaines nappes lumineuses des villes de la côte Est. Malgré tout, comme maîtres du monde en proue du Titanic… Bientôt, le dernier sommet, et l’ultime descente sur la capitale que l’on atteindra dans une vingtaine de km et qui me sont très familiers… En faisant attention à ne pas glisser sur les dalles, on atteint assez rapidement le gîte des Chicots. Mireille était disposée à faire une pause dans le hall chauffé d’un bâtiment, – je connais bien José le tenancier, pas de problème – mais non, elle dit s’être enfin soudainement réveillée à la faveur d’un nouveau cycle. A la bonne heure ! « C’est juste en suivant les deux petites lumières de tes chaussures comme dans un cadencement berceur. Là, ça va bien mieux ». OK, ça repart, toniques, dans la sente boueuse, – les aptitudes à skier sont bienvenues… Mireille veut aller vite pour rentrer, et après dix minutes, elle reprend : « Le sol se dérobe, j’aimerai bien dormir »… Bon, de Charybde en Scylla, au fil d’un sentier pourtant sec depuis des semaines et soudain défoncé comme une tranchée de 14/18, on arrive à Camp Mamode où se dressent de nombreuses tentes ; un jeune couple en lune de miel, qui demande, après avoir eu peur de nous voir débouler, d’où on vient à cette heure, s’égosille à réveiller tout le monde : « Mais vous êtes carrément fous ! Hé, tout le monde, ils sont complètement fous… » On file déjà comme des voleurs, via le sentier Laverdure, vers les hauts du Brûlé où Mireille change ses chaussettes imbibées de boues… Émilie, la photographe à l’aller avec Arnaud, dort, qui nous a laissé un message vidéo chou d’encouragement par son jeune Paolo… La descente du Brûlé procèdera d’automatismes ; physiquement, Mireille va plutôt bien mais elle est très fatiguée par cette traversée autrement plus en altitude que la Diag’ et ne lui ayant pas permis ses habituels sommeils flash de marin. Il est 5 heures, Saint Denis s’éveille à peine, j’ai vu ma boulangère se préparer pour aller au boulot, nous sommes arrivés à bon port (après une ultime facétie du gourou qui demande à Mireille d’aller rechercher ses bâtons oubliés un peu plus haut )… 43h30 pile de traversée. Mireille dormira 7 heures, moi 2 ; il faut un moment pour que mon cerveau comprenne que la cavalcade est finie et en informe pleinement la machinerie qu’il active, (c’est pas mon truc de dormir sur le théâtre des opérations )… Pendant ce temps, je ferai un carry poisson. Avec riz complet bio, après diverses crudités, puis fruits, fromages, un bon litre rouge, tous les indicateurs reviendront au vert ; nous nous retrouvons en bonne forme et avec un sentiment d’accomplissement.
L’entraînement en autonomie totale permet les meilleurs progrès ; elle est de nature à réduire considérablement le taux d’abandon sur les ultras ; elle forge une discipline apte à affronter toutes les conditions et rendre à la fois libre et responsable dans ses excursions en montagne, tant du point de vue de la gestion du temps que des espaces (d’autant avec les actuels remaniements des traces, marquages et indications…), de l’écoute de ses propres sensations, des bienfaits de retrouver l’animal qui est en soi derrière les carcans sociaux…
Par ailleurs, la progression sur de longs parcours en altitude, oblige à gérer des conditions plus difficiles – moins d’oxygène, amplitudes thermiques sévères, terrains rocheux et accidentés – sans possibilité de pause sommeil (ce qui a un peu manqué à Mireille, capable d’un sommeil flash réparateur). Si la Diag’ officielle ne dépasse guère les 2000 m d’alti et propose, outre les descentes jusque Grand-Place-les-Bas et La Roche Ancrée, un bien long parcours final peu montagneux entre Sans-Souci et La Redoute, notre « DIAG’ Aux SOMMETS » est passée deux fois par l’alti 2500 m et nous a maintenus dans les hauteurs…

Texte et photos : Daniel Guyot

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