Le Grand-Raid est terminé depuis plus de deux semaines. Avec ses déceptions, ses blessures, ses joies, ses abandons, ses victoires. Plusieurs athlètes canadiens, espagnols, suisses et français étaient réunis au sein d’une même équipe : « Les guerriers du grand raid » dont Sébastien Champion fait partie. Originaire de Bretagne, Sébastien a bouclé son deuxième Grand-Raid. Récit d’une course pas comme les autres dont l’issue pour Sébastien ne sera pas celle qu’il avait imaginée.

Arrivé quelques jours avant le départ, j’en profite pour faire quelques petites sorties sur des sentiers bien connus et retrouver quelques amis habitant à la Réunion.  Je fais le plein d’énergie mentale, me repose et peaufine la partie logistique pour tout le soutien de l’équipe.

Ces canadiens sont formidables. Leur joie de vivre, leur gentillesse et leur accent résonne sur toute l’île de la Réunion. Des affinités se créent entre coureurs, une famille est née !

Les jours passent et le départ approche. C’est bizarre, je n’ai aucune pression. Et comme le dit si bien un vrai guerrier : « La pression on ne la subit pas on la boit !! »

Jeudi 17/10

20h00 : J’arrive à Saint-Pierre en compagnie de toute l’équipe, immersion totale dans l’ambiance Grand Raid.

Passage par le contrôle des sacs puis je m’avance tranquillement sur l’esplanade du départ où je retrouve Manu, mon « poulain » que j’entraîne. L’attente est longue mais les chants du Maloya ainsi que Ludo Collet, le speaker, tiennent en éveil les 2 700 coureurs.

A quelques minutes du départ nous rejoignons l’arche de départ poussée par cette vague humaine. Ce moment est unique car nous sommes les uns sur les autres, certains tombent, sans gravité, les fauves sont prêts à sortir de l’arène !

22h00 : Après un décompte avec le public, le départ est enfin donné. Cette ambiance de folie, il faut la vivre ! Sur plusieurs kilomètres, des milliers de personnes vivent le départ de la diagonale en famille ou entre amis. Certains chantent et dansent, d’autres applaudissent avec en fond de toile un feu d’artifice pour le plaisir des yeux.

Le calme se rapproche à l’entrée de Bassin Plat. Nous continuons notre route au travers des chemin de canne. Cela monte doucement, je donne le tempo “ultra” en compagnie de Manu pour éviter de s’enflammer.

PK15 : Domaine Vidot : du monde, encore du monde, on profite encore de l’ambiance de début de course avant de rentrer en file indienne dans la forêt de Montvert-les-Hauts. La nuit étoilée et ce serpent de frontales qui s’étire devant nous est vraiment féérique. L’allure devient plus lente, le dénivelé et l’altitude m’oblige peu à peu à enclencher la vitesse “tipa-tipa”.

PK25 : Notre-Dame de la Paix. Ravitaillement en compagnie de Jérôme et Caroline Côté, notre journaliste attitrée. Je commence à avoir froid, j’enfile une deuxième couche et me réchauffe avec une petite soupe. Direction maintenant Nez-de-boeuf. Le parcours passe par des pâturages rendant la course difficile jusqu’à la route forestière du volcan, la vigilance est de mise.

PK38 : Parking Belvédère du Nez-de-Boeuf. Jérôme est toujours présent et son soutien est précieux. A ce moment-là je ne comprends plus rien. Les leaders me doublent sur un rythme effréné : Diego Pazos, Maxime Cazajou, Ludovic Pommeret, Antoine Guillon pour ne citer qu’eux. On aurait dit des lions enragés à la poursuite de leur proie ! La cause de ce malentendu est une erreur de balisage qui les a contraint à faire plusieurs kilomètres en plus au compteur, terrible fait de course !La suite est plutôt agréable avec la descente vers Mare à Boue, traversant des prairies et sentiers carrossables. Cette année le froid est intense, 0° C au thermomètre à la Plaine des Cafres et un sol gelé qui craquelle sous les chaussures.

PK48 : Je ne traîne pas longtemps au ravitaillement de Mare à Boue et file rapidement sur le sentier menant au Coteau Kerveguen. Cela monte régulièrement, certains passages sont humides et bien gras. A l’approche du sommet les premières lueurs du jour laissent apparaître le magnifique Piton des Neiges aux couleurs orangées.  Je croise Francis Garnier qui est pris de maux de ventre. Quelques mots d’encouragement et de soutien entre bretons ne font pas de mal.Puis la première grosse descente du parcours nous mène à Cilaos. Celle-ci est très technique et périlleuse il ne faut vraiment pas s’enflammer.

PK65 : Stade de Cilaos. A ce moment de la course je suis 56° et en pleine forme, pourvu que ça dure. Je croise Florent Bouguin au ravitaillement puis repars à ses côtés, vêtu d’une tenue légère pour m’attaquer au redoutable Cirque de Mafate.

PK77 : Ravitaillement début du sentier Taïbit. Je croise Christine Bénard, ancienne partenaire de team lorsque je vivais à la Réunion. Content de la voir, elle me propose des fruits frais, des gâteaux maison puis on se remémore quelques bons moments partagés ensemble, sympa ! S’ensuit la montée du Taïbit. Celle-ci est raide et se fait principalement en marchant. Il fait chaud, très chaud, l’hydratation est primordiale et ne doit pas être négligée. Passé le col, le cirque de Mafate s’offre enfin à moi. Plus le choix maintenant de faire machine arrière, la porte de sortie est 40 km plus loin.

PK78 : Une petite pause à Marla avant de passer par la Plaine des Tamarins puis le Col des Boeufs à 2 000 mètres d’altitute où la fraîcheur refait surface. L’humidité du Cirque de Salazie nous rappelle que cette île comprend pas moins de 200 microclimats et que les amplitudes thermiques sont importantes. Passé cette phase humide la descente du Sentier Scout vers Grand Place les bas est très agréable et permet de se laisser aller. Passage par Ilet à Malheur et Ilet à Bourse au milieu des filaos puis par une passerelle suspendue.

PK98 : Ecole de Grand Place les Bas. Le ravitaillement est toujours aussi sympathique avec des bénévoles aux petits soins. On recharge la bête car la suite du programme est technique avec les passages périlleux de Roche Ancrée puis la traversée de Rivière des Galets. Je croise quelques coureurs dans le dur dont Francis Garnier (encore lui) qui jette définitivement l’éponge avec une blessure au genou. Le mental est bon mais un témoin orange de surchauffe s’allume. Petit coup de mou dû à la chaleur de Mafate, il est temps de rallier Roche Plate où je compte bien me ravitailler. Je croise David Jecker, un guerrier euphorique qui est parti aux côtés de David Hauss dès le départ. Il décide de jeter l’éponge ici avant même de monter le Maïdo ! On se fait un petit resto italien (pâtes au gruyère) et je repars à l’assaut de cette rude montée.

Le soleil se couche, l’air est plus frais, parfait pour s’attaquer au monstre. Je grimpe en compagnie de Julien Courbet (pas le journaliste, celui qui a gagné plusieurs fois le GRP) sur toute la montée, le rythme est régulier, cela me convient parfaitement.

PK113 : J’aperçois la sortie de Mafate et me dirige vers le ravitaillement de Maïdo Tête Dure. Patrick Jo et toute son équipe m’accueille telle une formule 1 entrant dans un stand. Enfin à ce stade c’est plutôt une 4L au réservoir à sec. Deux personnes qui s’occupent du massage, un qui me réchauffe et un autre qui me prépare du riz, c’est pas cool Raoul tout ça ? On est tellement bien que je commence à avoir froid et décide de ne pas tarder à 2000m d’altitude. Je me réchauffe tant bien que mal, mange le strict minimum, je n’ai qu’une envie, repartir.

La descente vers Sans-Souci est douloureuse, j’ai froid, je n’arrive pas à allonger la foulée. Je prends un coup au moral car j’étais bien jusque-là ! J’appelle ma femme qui trouve les bons mots pour me rebooster à l’approche d’Ilet Savannah.

PK129 : Je suis fatigué de cette descente et me donne 30′ pour dormir. Mon plan de course n’avait pas prévu de dormir mais cela me permet de reprendre des forces salvatrices.  Requinqué, je m’enfile un cari poulet avec un peu de boucané. Quel bonheur, je revis ! Avec ce poulet je me sens poussé des ailes !

BIB BIP : vous avez un message. “Je ne suis pas au mieux, je n’ai plus de jambes” m’écrit Manu. Changement de programme. Je ne vais pas laisser mon pote dans cette situation et décide de l’attendre. Avec toutes les péripéties d’avant course qu’il a vécues je ne pouvais pas le laisser dans cette situation.

Après 3h de pause et 3 marmites de cari poulet dans le ventre, Manu arrive enfin, le visage meurtri de fatigue. Il se ravitaille, se fait soigner puis part dans les bras de Morphée pendant une bonne heure.On repart ensemble, les jambes douloureuses. Ses premières foulées rassurent un peu mais pour combien de temps ? Les descentes de Ratineau puis Kala sont un calvaire. Manu n’en peut plus, j’essaie de trouver les mots pour l’encourager pendant qu’il s’accroche aux branches et s’amuse à faire du toboggan. Cinq heures plus tard nous arrivons à La Possession où un stand de La Clinique du Coureur nous attend. La famille de Manu est présente, il se fait masser et soigner les jambes, le sourire tranche papaye revient ! La fin de course est agréable, nous arrivons à trottiner, partageons de bons moments de cohésion et profitons de la beauté des paysages qui s’offre à nous. Le chemin des Anglais en dessert n’est pas le meilleur. On s’en contentera. L’issue n’est plus très loin.

PK152 : Ravito de Grande Chaloupe sous un air de Bretagne. Des crêpes au Nouléla nous sont proposées (merci Blaise de nous en avoir laissé) que je partage avec Manu avant d’attaquer le Colorado. La dernière descente est devant nous. Quelques mots d’encouragement de Jay et Lucas et nous voilà parti direction la Redoute. On se permet quelques accélérations pout tester le moteur mais pas assez vite pour certains traileurs péi qui nous doublent avec aisance même après 165km au compteur, chapeau ! La voie du speaker se fait entendre, dernière ligne droite. Je saisi le téléphone de Manu, franchi la ligne d’arrivée et immortalise son arrivée en famille. Quel bonheur ! Heureux d’avoir partagé cette aventure avec mon pote qui montre que ce sport réserve bien des surprises !

Félicitations Manu pour ton courage ainsi qu’à toutes et celles et ceux qui se sont surpassés pour arriver au bout de cette course de fou ! “Vous avez survécu” et “J’ai survécu”.

Je tiens à remercier Blaise Dubois, fondateur de La Clinique du Coureur et toute l’équipe des “Guerriers du Grand Raid” avec qui j’ai passé d’excellents moments de partage pendant ces 12 jours.

Merci également à ma famille pour leur soutien à distance ainsi qu’à tous mes proches, amis qui sont restés scotcher derrière leur écran pour voir le petit bonhomme avancer de point en point (c’est prenant n’est-ce pas ?

Je pose ma plume pour reposer mes ailes et en profite pour vous souhaiter plein de beaux moments sportifs.

Sportivement,

Sébastien Champion

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