De Perth à Paris, l’ancien espoir du marathon réunionnais court aujourd’hui pour le plaisir, rien que pour le plaisir.

Ses journées sont de grosses journées. Debout bien avant le lever du soleil, il ne quitte jamais sa charcuterie avant 15-16 heures. Jean-Pierre Vee, 57 ans alors qu’il en paraît dix de moins, est un travailleur acharné. « C’est comme ça depuis l’enfance. On travaillait avant et après l’école dans les champs et avec les animaux. Je me suis toujours accroché. Je remercie mes parents de m’avoir sans cesse poussé à travailler. Je ne sais faire que ça, travailler. Aujourd’hui, j’en suis fier et heureux ».

A juste titre. Tout amateur de viande de porc qui se respecte a franchi au moins une fois dans sa vie le pas de porte de sa coquette échoppe rue de Cambuston. Lauréat 2015 du très convoité prix de la Saucisse d’Or, le Saint-Andréen fait partie de la caste jalousée des charcutiers incontournables de l’île. «Cette distinction m’a rendu encore plus fort dans ma tête, plus exigeant avec moi-même. S’il manque le moindre ingrédient, même une épice en toute petite quantité, on ne fera pas la saucisse ».

Ses secrets de fabrication issus de ses ancêtres, Jean-Pierre Vee ne les révélera pas. Il se limite à ses fondamentaux : une matière première exclusivement locale achetée chez des producteurs triés sur le volet, un subtil équilibre gras-maigre et, le plus important à ses yeux, beaucoup d’amour. « Sans amour, même avec les meilleurs produits, on n’arrive à rien. Je prends mon métier à cœur, je le fais avec plein d’amour ».

Un homme de coeur

Les quinze salariés qui l’accompagnent aujourd’hui entérinent les propos du patron. Tout comme ses clients et ses proches. Le charcutier le plus coté de Saint-André est un homme de cœur. Y compris, et peut-être même surtout, quand il court. « Je cours pour ceux qui ne peuvent pas courir, pour ceux qui sont malades et aussi pour donner l’envie de courir à ceux qui le peuvent . Et puis j’aime ça. Quand je cours je suis dans un autre monde, je ne touche plus terre, je me sens libre, heureux. Il m’arrive de rire en courant, je suis heureux, je suis fier ».

Cet état proche de la divinité, conquis dans l’effort pourtant si compact du marathon, Jean-Pierre Vee l’accueille comme un dédommagement des premières années de sa vie professionnelle, celles qui l’ont probablement privé d’une destinée sportive continentale. Admirateur et concurrent de garçons comme Raymond Tangatchy et Jean-Louis Prianon, il n’a pas quitté son île pour tenter sa chance au froid. Qualifié pour la France en 1979 en réalisant les minimas à la seconde près (2h 44’45), puis second espoir français du marathon en 1980, il disposait clairement d’arguments convaincants. Mais il n’a pu franchir le pas. « Mon père était mort en 1978, ma mère élevait ses dix enfants, les plus grands s’occupaient des plus petits, on ne quittait pas sa famille comme ça ».

Ni métropole, ni Bataillon de Joinville. Pire. Plus d’entraînement, ni de course. A 20 ans, après son service militaire et quatre années passées comme apprenti-coiffeur, voyant qu’il n’aurait pas les moyens d’ouvrir son propre salon, il accepte la proposition de son frère de travailler dans sa nouvelle charcuterie. Il y restera 27 ans. « C’était du sept jours sur sept avec trois levers par semaine à minuit pour tuer le cochon. Je ne pouvais plus courir. Avec un métier plus souple, j’aurais peut-être pu faire une carrière. Là, ce n’était franchement pas possible. Je faisais une course de temps en temps parce que c’était plus fort que moi, mais sans vraiment m’y préparer ».

Condamné à faire du surplace malgré une fibre coureuse intacte, Jean-Pierre Vee finira par tenir sa propre revanche. D’abord en s’installant à son compte en 2006 avec la réussite qui est la sienne aujourd’hui. Puis en décidant de rechausser régulièrement ses baskets et son short. L’objectif avoué est double : associer sa passion pour la course à son désir ardent de découvrir le monde. « C’est un client qui m’a parlé du marathon de Paris en 2011. J’y suis allé avec lui. Nous étions 32 000, c’était extraordinaire. J’ai fini 1192ème en 3h05. J’étais plutôt content de moi ».

Convaincu par cette formule du deux-en-un marathon/voyage, le quinquagénaire décide de la renouveler autant que possible. Rotterdam , Rome, à nouveau Paris puis Vienne dans la même semaine (!), Perth , Bangkok (son seul abandon), Lyon, le Saint-Andréen consomme la jeunesse internationale qu’il n’a pu s’offrir en temps voulu. La force du mythe devrait tôt ou tard l’emmener à New York. D’ici là, il continue à s’imposer sa préparation bien à lui : quatre séances en salle sur tapis roulant chaque semaine et une diététique où la saucisse et le riz chauffé sont des incontournables.

Texte : Etienne Grondin
Photo : Pierre Marchal

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