Le jeudi 2 mai à 18 heures, près de 150 mordus de trail roots étaient attendus au Cap Méchant sur le 1er UTG, Ultra Trail des Géants, 175 km pour 10 000 m D+ de traversée jusque Saint-Paul… L’annonce des « 164 km et 9300 m D+ » devait-elle minimiser le gigantisme qui nous attendait ?

Présent sur le tout 1er ultra de l’île en 1989, c’est une chance pour moi que d’inaugurer 35 ans après, une nouvelle traversée de l’île dans une ambiance retrouvée de pionniers ; avoir la peau encore assez dure pour la finir, et faire de l’innovant chemin un parchemin de plaisirs, telles sont mes motivations. Pour d’autres, ce sera là un tout 1er ultra. Notre bataillon sera hétérogène ; aucune course qualificative n’est requise. L’effectif n’est pas énorme car beaucoup furent sceptiques sur le maintien d’une telle épreuve récemment annoncée (notre calendrier subit tant d’annulations), d’autres ne se sentirent pas assez préparés à cette période de l’année, pour un tel défi.
Initialement consulté sur des données opérationnelles de cette inédite traversée, j’ai fini par mettre un pied dedans, puis finalement les deux en vue du départ à Saint Philippe, dans une ambiance qui remonterait à celle du GRR de 1995. On débarquait aussi sur site en voiture, garée à côté du plateau aux conversations branchées sur les trouillomètres. A ce stade de l’année, peu sont prêts pour un ultra. Perso, je n’ai que 27 000 m D+ au compteur, autant dire une misère pour cette énorme affaire à gérer. Mais un dicton m’apaise : « En mai, fais ce qu’il te plaît ! » Car face à un tel défi en montagnes, la raison ne suffit pas sans être guidée par l’instinct, portée par le flow…

Un nouveau défi de pionniers
Le temps va s’avérer clément pour la saison, et bien heureusement, vu la technicité hors norme du parcours, en dépit de quelques passages encore boueux. Avec de la pluie, du froid, c’eût été une tout autre affaire encore… La fraîcheur dans les hauts, par de longues nuits de plus de 12 heures, ne sera pas très marquée. Quelques coups de vents aux cols, quelques menues farines de pluie, rien de plus. Un bon coup d’ardeur entre le Maïdo et la Glacière, mais pas de quoi souffrir de la chaleur non plus. Autant dire que les dieux sont avec nous pour nous octroyer les conditions les plus favorables sur cette odyssée…
Puys Ramond, Duvernay, Mollaret, Bébour, Bénare…, les noms de passages aussi exceptionnels que redoutables, scandent l’atypique parcours évoluant à 3 reprises vers les 2 500 m d’altitude : Oratoire Sainte-Thérèse, Piton des Neiges, Glacière. Les réintégrations du Volcan et du Maïdo sont bienvenues. La hauteur prise par l’UTG est d’abord topographique.
Le Trail des Géants ne semble pas aspirer pas à être le géant du trail avançant avec de gros souliers, mais à garder Tipa Tipa une taille humaine : faire grandir la passion, développer les plus belles émotions ; élever la qualité de l’aventure, explorer la plus belle nature.
La progression là où aucune course n’avait encore osé s’aventurer, mobilisera parfois les 4 abattis ; comment ne pas s’accrocher par exemple en descendant Bébour ? (A l’avenir, quelques ponctuelles cordes seraient bienvenues…) Les sentes s’érodent graduellement ; leur technicité se corse. L’ONF ne procède plus désormais à un vrai travail sur les sols partout – les moyens n’y sont plus et les savoir-faire, oubliés – mais se contente le plus souvent d’une superficielle coupe végétale ; certains passages ne sont pas du tout traités, comme en amont du sévère Mollaret. Par nature, le Duvernay reste un chaos de cailloux, racines, sphaignes, branches, épiphytes…, où il reste laborieux – voir risqué – d’avancer… Sur l’UTG, autant dire que les longues pauses ne sont pas permises comme sur la plupart des autres ultras ; il convient de bien doser les efforts, de les adapter aux difficultés du terrain, afin d’éviter tout gros coup de mou qui conduirait vite à un décrochage fatal. Pas de droit à l’erreur, pour être Finisher !

Le déroulement de la traversée
Quels plaisirs de recouvrer cette mythique entame sur les grandes pentes du Sud, à contre-courant des épanchements du volcan, pénétrant en une vaste nature vierge, et d’y pouvoir progresser librement à son rythme, sans bouchon, en rêvant dans sa bulle. Je pense à des figures tels les sacrés amis Thierry qui fondèrent ici leurs victoires, Técher en 2010, Chambry en 2007… Même s’il fait nuit, les contours se dessinent, les masses se devinent, et l’atmosphère volcanique est parfaitement palpable. Le spectre de la fournaise apparaît par-delà la caldeira. Communion d’énergie. Je n’aurai guère mis plus de 5 heures pour atteindre Foc-Foc. Bonne mise sur orbite. Dans une ambiance fantomatique, se détache telle une soucoupe volante posée dans le sable sidéral, un îlot de lumière d’où résonne à mon approche « Daniel ! Daniel ! » La tonalité de la traversée est donnée. Passé l’oratoire Sainte-Thérèse, le grand détour par Piton de l’eau est très raviné qui exige une attention pour ne pas s’éloigner de la trace principale. 1er acte de technicité. Au ravito de Textor, je retrouve Patrick Jourdain, le directeur de course, en serveur et sommelier ; il se déplacera de poste en poste, proposant ses menus variés de qualité, carry poisson, carry poulet… C’est bien connu : une bonne intendance fait le moral des troupes ! Passé Grand Bassin, le Mollaret tend les mollets… A la Plaine des Cafres, je croise Serge Valgresy, encore un acteur du trail Péi. « On va bien lire ton reportage… », qu’il me lance, « mais fais pas trop long quand même ! » rajoute-t-il, connaissant ma marque de fabrique. « Et alors, il n’est pas long, ton UTG ? », que je lui réponds en rigolant… La bonne humeur entre initiés traversera l’île tout ce week-end. Après la terrible descente de Bébour, vient la rude montée du Duvernay suivie de Bras Chanson – et là, on connaît la chanson du traileur dans le dur… – puis l’ascension au gîte du Piton des Neiges ; ils constitueront la section la plus physique entre toutes. Ensuite, c’est plus classique : Roche merveilleuse, Cilaos, Bassin Bleu, Bassin Fouquet, Taïbit, Marla, La Nouvelle ; là, un moment magique : déguster un savoureux gâteau bananes avec un bon café ! De nombreux mafatais m’encouragent : « On t’a vu à la télé ! » (C’était au JT d’Antenne Réunion jeudi soir.) Passé 3 Roches, Roche-Plate – quelle confortable pause chez Judex ! -, petite discussion en montant la Brèche avec Judicaël Sautron initialement annoncé comme tête d’affiche – « J’étais pas assez entraîné pour le parcours proposé », me précise-t-il -, on arrive au pied du fameux Maïdo, délaissé par l’ultra depuis un moment. Tenant le ravito de là-haut, Marguerite Hoarau, alias Margot, avec qui je me retrouvais souvent dans l’effort, à la belle époque de l’ultra, me fait un riz chauffé après un bon sosso maïs ! Il faut en effet de l’énergie pour monter encore à la Glacière, descendre la très technique sente de lames basaltiques qui mène à Tamarins. Puis, la piste 1800 faite, commence la très longue et alambiquée descente vers l’arrivée…
Tel un Pétrel (mais sans doute plus un papangue dans l’âme) planant longuement dans de fous méandres depuis les hauts de la planèze de l’Ouest, attiré par les lumières de Saint-Paul, ce serait plutôt avec l’âme de l’albatros baudelairien que je me pose sur le stade olympique, un peu groggy, mais très chaleureusement accueilli… En tout cas, nous sommes de drôles d’oiseaux pour avoir fait ça ! 1er M6, 66ème ; diabolique ! Belle médaille, beau tee-shirt « Moin la fé ». Je n’ai absolument aucune douleur, aucun souci, ni physiologique, ni métabolique ; j’aspire juste à un peu de sommeil…

Un bilan remarquable
Ultra le plus exigeant jamais proposé sur notre île intense, il fait de ses finishers d’authentiques géants de l’Engagement. Indice de sa difficulté, s’il n’en fallait qu’un seul : Fabrice Payet en vient à bout après 26 h 41 minutes d’efforts contre 25 h 48 sur la dernière Diagonale. Le taux d’abandons s’élève à 41% des participants, mais sans aucun accident notable. (Rappel des chiffres du chronométreur Sport-Pro : 142 inscrits, 72 arrivées, 50 abandons, 20 non partants.) Si ma longue expérience sur tous les terrains m’a favorisé, mes camarades M5 et M6 ont été « décimés » par la rudesse des cimes à escalader. Balises individuelles de suivi (Owaka live) et d’appel au secours si besoin, qualité remarquable des ravitaillements : l’encadrement, la sécurité, l’attention accordée aux coureurs, furent à la mesure du grand défi. On le savait très difficile ; les plus grands coureurs l’avaient compris, qui ont manifesté leur intérêt pour cette folle 1ère.
Frédéric Duchemann à Basse Vallée, Richeville Esparon et Danielle Séroc au volcan, Marguerite Hoarau au Maïdo, Judicaël Sautron dans Mafate, Didier Barret à Cilaos, Eddy Myrtal au stade olympique…, partout sur notre passage, d’authentiques déjà géants dans l’histoire du « courir péi » sont venus nous soutenir… L’UTG a fédéré, abolissant le clivage élites/figurants, sur la base des valeurs fondamentales partagées qui animèrent les grandes traversées des années 90.
Missty et Kaf Malbar ont ambiancé la fête finale, avant qu’Hassen Patel, le Président de l’UTOI organisant cet évènement qui comprend 4 formats, outre un Trail Kids – Pétrel, 43 km ; Méga Trail de l’Ouest, 72 km ; Speed Goat, 117 km ; UTG – ne procède très chaleureusement, entouré de son équipe, à la remise des prix particulièrement généreuse, assortie de magnifiques trophées. Outre son esthétisme puissant, le modèle UTG est fait de matières nobles. Une marque de respect pour les « Géants », du plus jeune au plus ancien. Si j’ai déjà une collection de trophées, ce dernier prendra la plus belle place. Il se méritait !
Globalement, la 1ère édition de l’Utra Trail des Géants est une immense réussite quand on mesure les innovations du parcours, les contraintes posées par cette période de l’année, sans compter les conséquences encore marquées sur les reliefs de Bélal… Et que la fête finale fut belle !

Quelques « couacs » subis par l’organisation

Une vigilance devrait porter sur deux points :

1 – Globalement, le balisage était correct mais perfectible : l’usage d’un seul type de rubalise serait opportun, au lieu d’utiliser tantôt du blanc estampillé UTOI (parfait), tantôt des petits rubans de chantier moins visibles, voire autres dispositifs différents. L’harmonisation devrait s’appliquer aussi à leurs positionnements, plus réguliers, plus cohérents, et avec des rappels à intervalles réguliers en dehors des changements de directions. Mais le principal problème relève du vandalisme. Un débalisage sauvage a été constaté dans les hauts de l’Ouest. Le journal Le Quotidien du lundi 6 mai en fait d’ailleurs état. Depuis la Glacière, j’ai été confronté à une absence totale de rubalise pour descendre sur Les Tamarins. Après être descendu un kilomètre dans le terrain très piégeur, je me suis résigné à le remonter pour retrouver la dernière rubalise, et y faire le point. (Temps perdu, stress, km et D+ supplémentaires…) Là, est arrivée la jeune championne Manon Ratel, longtemps la 1ère féminine de la course, avant une blessure T.F.L contractée en descendant Le Bloc…, à bloc ! Après un moment d’analyse topo ensemble, suivi d’un contact téléphonique avec le directeur de course, Patrick – toujours aux taquets -, je l’ai accompagnée jusqu’au gîte des Tamarins. Je dois souligner son grand courage à n’avoir pas abandonné avec une jambe raide. Elle fera du chemin, la jeune championne !

2 – Dans le registre de la malveillance, à Cilaos, un petit groupe a opéré une sorte de putsch sur le poste, réduisant les barrières horaires tantôt de 4 h, puis de 2h30… Mon intervention diplomatique qui a duré un long moment, armé du tableau officiel des BH (dûment transmises aux coureurs, disponibles dans « Infos importantes » en rouge sur le site de l’épreuve), confirmées au téléphone par la direction de l’UTOI. J’aurai ainsi permis de différer un peu l’indigne dessein des imposteurs qui allaient accorder aux traileurs de rejoindre le pied du Taïbit, mais il leur était demandé d’y filer par la route au plus vite, et par tous moyens, dont motorisés dans la panique. Sur un rythme très soutenu – ces imposteurs m’ont fait prendre des risques (chute et mise dans le rouge éventuelles) – ; j’ai donc été le dernier à emprunter le vrai tracé, (Bassin Bleu, Bassin Fouquet), comprenant un dénivelé significatif, pour arriver dans les temps de leurs délirantes BH, au cas où le problème se représentait au Pied du Taïbit. Evidemment, tous ceux dont j’avais plaidé la cause, mais qui avaient pris la route, m’étaient passés devant… (Personnellement, j’aurais préféré abandonner plutôt que de suivre des instructions erronées obligeant à zapper une partie du parcours, ce qui s’apparente à une incitation à la triche.) 3 personnes adorables tenaient le poste du Pied du Taïbit, qui déploraient ce qui s’était passé à Cilaos, n’ayant pas accepté d’être dévoyés au regard des instructions officielles. On retrouvait les vraies BH, très larges. Dès lors, la course est redevenue sereine. Mais le mal était fait : les effectifs avaient été indûment rognés à Cilaos, et les classements de la deuxième moitié, faussés. Je devais me refaire la cerise, en mode rando/trail, après cette phase intense.
Pour faire des heureux d’y être, et beaucoup d’envieux, il n’était pas exclu que l’UTG puisse être ainsi victime de quelques volontés de nuire… Recherche stressante du chemin, embrouilles sur les BH avec ordres insensés : l’épreuve devient alors autrement plus psychologique et physique… Il fallait garder la tête froide pour ne pas se laisser déstabiliser.

Un nouvel Ultra qui trouve sa place parmi les autres
Passe Montagne, également en mai de 93 à 97 ; 97.4 de RandoRun-OI ; Diagonale des Fous ; La Réunion, Terre de Trail par excellence, aura désormais une autre traversée singulière, au socle aussi solidement ancré que notre île basaltique, et dont les altiers sentiers jouent avec les étoiles… Faisant pétiller les yeux des ultratraileurs, la magie de l’UTG éclaire déjà 2025…
Il ne faudra pas oublier les 3 autres formats pleinement reconduits, mais également les relais et le Trail Kids, toutes catégories. Il y en aura encore pour tous les goûts, les niveaux, les générations… La grande famille réunionnaise du trail peut s’y retrouver au complet !

Compliments et remerciements
Félicitations à tous les coureurs ; bravo aux 72 pionniers survivants de l’UTG ; une mention toute particulière au jeune Matthias Cadet qui a terminé avec un genou blessé, à l’aide de son grand bâton de pèlerin, fort de son expérience militaire. Dernier du classement, mais ô combien vaillant ! Merci aux bénévoles qui ont été particulièrement soucieux du bien être des géants, aux acteurs clés de l’organisation, et au grand chef d’orchestre, Hassen Patel dont les qualités humaines ont forgé cette extraordinaire aventure qui marquera la longue histoire de l’ultra réunionnais.

Texte et photos Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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