L’orée ne s’était pas montrée prometteuse ; c’est à contretemps et menacés par de sombres nuées que nous appellent les hauteurs mordorées du Marboré ; il rassemble en son apogée de sublimes cimes où le Casque est fort bien porté…

Ce joli pic pyrénéen, faisant partie des plus de 3000 m d’alti, porte en effet parfaitement son nom : outre sa forme sommitale arrondie qu’une fin d’ascension raide avec recours aux mains, ne laisserait pas envisager, il apparaît déjà de plus loin (col des Tentes, puis refuge des Sarradets) tel un imposant couvre-chef de la haute ceinture gavarnienne. Aussi bien construit qu’une flèche de cathédrale, un magnifique cairn terminal – où je rajouterai une pierre à l’édifice – en fait un Casque à pointe…
Les vrais soldats des montagnes le préfèrent au Taillon, un grand classique. Outre le panoramique d’exception à 360° qu’offre le Casque, son accès est autrement plus sauvage, plus engagé et exposé… Une fois la brèche de Roland franchie, il faut prendre à l’opposé de la voie pour le Taillon, à gauche toute en pied des falaises de crête, pour aller remonter le « Pas des Isards », appellation qui invite à y avoir le pied agile… Une quarantaine de mètres sont équipés d’une chaîne qui permet de se rassurer au fil d’une mince corniche surplombant le vide, mais le vrai danger n’existe en réalité que sur une dizaine de mètres très aériens avec peu d’appuis. Par temps mouillé, le passage est délicat. Il faut ensuite continuer à longer la falaise effritée, le danger demeurant alors dans les fréquentes chutes de pierres. Autre option : à la faveur d’une vire assez exposée, on accède à une étonnante cheminée souterraine… Dans tous les cas, pour faire le Casque, il ne serait pas inutile d’en avoir un sur la tête, en empruntant la voie ordinaire, afin de se protéger des nombreuses petites chutes d’érosions dès le passage de la Brèche ; et par la voie en cheminée, une lampe frontale est nécessaire. Passé l’entonnoir entre le Casque et la Tour, en fin de falaises, il faut s’élever au-dessus d’elles dans un pierrier qui dériboule vite, et sans grands repères autres que la topo générale, puis faire quelques passages d’escalade avec un total vide à gauche, pour se hisser sur la plateforme sommitale. Mais l’improvisation reste permise sans trop de risque.
La récompense est époustouflante sur ce belvédère d’exception. Nous sommes perchés entre, d’une part, l’Ordesa rassemblant les vastes sierras espagnoles toutes minérales aux nuances de gris cendrés et de tons rompus, d’autre part, le cirque de Gavarnie par-delà les vertes vallées des hautes Pyrénées françaises ; Gèdre entre les beaux plateaux de Coumély et de la Saussa, comme vus d’avion ; nous sommes suspendus entre le Taillon d’un côté, et le Mont Perdu de l’autre… Les ondulations striées des gigantesques pans de roches comme des mégas millefeuilles ramollis au soleil, d’improbables monticules telles des grosses bouses figées de dinosaures…, constituent un paysage, tourmenté et vertigineux, d’un autre temps et d’un autre espace. Pas âme qui vive autour de nous, pas même un de ces effrontés choucards pour nous aborder ; seuls dans l’air vif…
Au retour tardif, nous rejoindrons finalement deux autres grands passionnés en amont du glacier de la Brèche, Jérôme Bridonneau de Nantes et Didier Raud de Tarbes, ces derniers s’étant eux-mêmes retrouvés fortuitement sur une belle boucle, et pas pressés de quitter ce paradis de montagne. Cependant que Mireille a déjà capté Didier en lui racontant son épopée “diagonalesque” et que Jérôme met prudemment ses crampons dans les névés pentus, je me laisse débouler sur le refuge des Sarradets ; puis, après avoir traversé le délicat chaos de la cascade du Taillon, passage qui connaît chaque année des accidents, nous reformons le groupe pour une fin de parcours vespérale en mode discussions et photos. J’appelle Jérôme « le poète », tant il met en œuvre une démarche artistique à capter les paysages, et Didier « le philosophe » à la recherche de nouvelles voies, hors des sentiers battus, et dans l’exploration du génie des lieux.
Aux premiers déclins du jour, les cimes se plaquent d’or et leurs pointes s’empourprent cependant que nous descendons vers Gavarnie en slalomant parfois entre les vaches paisibles et nonchalantes. A près de 22 heures, Mathieu Noguère n’a pas encore clôt boutique de « La Cordée », et me change une pointe perdue des supers bâtons que je lui avais pris il a déjà plus de 10 ans, tout en discutant de la situation du Covid à La Réunion, de celle des ultratrails dont le GRP et la Diag’, de grandes figures locales telle Brice Delsouiller… Véritable fourmilière le matin, le village s’est endormi… Flambant encore par-delà l’ombre des vallées, avant de céder à la nuit qui les efface, les surplombantes montagnes nous adressent leur chaleureux bonsoir. Au loin, luit le Casque du Marboré avec son masque de nuit Doré. Je repense comme bien souvent à feu Marc Labit, célèbre berger m’évoquant depuis Gèdre, le phare de sa vie : le pic Campbieil, un autre sommet qu’on adore… Et c’est dans son si beau village de montagne (devenu aussi le mien) que nous redescendons, accompagnés par la nuit, sur mon nid d’aigle, avec de belles images plein la tête, les poumons bien ventilés, les abattis détendus, et une faim de loup…

Texte et Photos : Daniel Guyot

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Daniel Guyot
Daniel Guyot est le recordman absolu en termes de Diagonales achevées. En trente ans de grandes traversées depuis la Marche des Cimes, il est le trailer le plus assidu. A 60 ans, Daniel Guyot aura passé la moitié de son existence à courir après celle qui affole son palpitant depuis trois décennies. Une certaine Dame Diagonale. L'histoire de La Réunion étant intimement liée à celle de la Bretagne depuis les origines, il n'est finalement pas si étonnant que ça qu'un Breton le soit également à celles du Grand Raid.

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