Antoine Guillon revient sur son record du tour de l’île de la Réunion sur route en courant. Sa préparation, ses doutes, ses joies, son parcours. Confidences d’un sportif au grand coeur dont la modestie n’a d’égal que son courage sportif.

Se surprendre soi-même, c’est sans doute une des raisons qui pousse à explorer au-delà de ses propres limites, pour moi à me placer régulièrement en situations nouvelles, comme enchaîner des compétitions, des séries d’entraînements parfois répétitifs, ou relever des défis…

L’idée de courir le tour complet de la Réunion m’est venue au fil de mes séjours pour le Grand Raid, motivée par la biodiversité du littoral, l’engouement particulier autour de la course à pied, les discussions enthousiastes sur les précédentes tentatives réalisées – dont le fameux record de Jacky Murat- et par sa dimension somme toute humaine.

Avec l’aide de John de Trail Péi, j’ai obtenu une trace GPS très proche du parcours suivi par Jacky Murat en 1997. Les aménagements du littoral ont porté la distance de 209 km à un peu plus de 212 km et environ 2 000 m+. Record à battre : 21h20

Préparation :

Une fois bien décidé à m’engager sur ce défi, il me restait 3 mois d’entraînement. Que faire ? Changer mes habitudes de trailer ? Courir sur route plusieurs fois par semaine ?
Après réflexion, la spécificité de ce défi étant de courir longtemps et sur une surface dure, il me paraissait évident de prendre un départ armé de bonnes fibres musculaires et de tenir ensuite un rythme régulier très économique autant en dépenses énergétiques qu’en impacts.
Compte tenu de ma programmation d’ultras sur la saison, j’ai décidé de ne rien changer, mis à part une légère augmentation du temps passé en vélo. Durant deux mois je ne pose pas un pied sur la route, continuant à avaler du dénivelé positif et négatif sur mes sentiers préférés de l’Hérault.
Le 17 mai, je participe à l’ultra Otso Cami de Cavalls, 185 km et 3 000 m+, le tour de l’île de Minorque sur le sentier et la route du littoral, un test grandeur nature, bouclé en 18h42. C’est un nouveau temps référence pour moi après 4 participations ; la méthode d’entraînement sans vitesse, basée uniquement sur le foncier et la puissance musculaire est donc bonne.

Un peu de repos, une reprise douce, une semaine de charge avec 400 km de VTT sur route, il est tout de même temps de tester quelques chaussures de route. Avec les conseils de mon ami Julien Chorier, team manager du team Hoka One One, j’opte pour les nouvelles Clifton 6 qui constitueront ma base, et je changerai pour quelques sessions de 15km avec les Huaka 2, juste pour varier les appuis.

C’est parti !

Nous voici Anne et moi chez Ombeline Blanc à l’Entre-Deux. Son mari Pascal est, comme beaucoup d’entre vous le savent, en route pour sa tentative de record de la traversée des Pyrénées (GTP-GR10) dont le départ est prévu fin juillet.
Autant dire qu’être accompagné sur ce tour par ces deux professionnelles de l’assistance est très rassurant !
Une bonne visite chez mon ami Thibaut Lefebvre au centre Forme et Santé des Bambous me rassure définitivement : j’en ressors avec la certitude d’être parfaitement opérationnel.

Il ne me reste qu’à avaler du cari et me balader sur la côte pour recharger les batteries et m’imprégner de l’atmosphère du défi. Les médias locaux sont de la partie, télé et presse écrite ; les messages de coureurs désirant m’accompagner se font plus nombreux, ça promet donc une belle virée.
Samedi 22 juin, 15h00, je m’élance de Saint Denis, sur le début du sentier du littoral, devant la statue de Roland Garros. Espérons qu’il me donne des ailes, quoiqu’à Guillon il y en ait déjà 2 !

Un petit groupe m’escorte, coureurs et cyclistes, sous les grands arbres qui me protègent du soleil. Je suis heureux de courir à cette allure facile, à peine 12 km/h sur le premier quart d’heure. La mer sur ma gauche est bien agitée, le vent de face est constant et relativement fort, je ne lutte pas, laissant ses assauts me freiner ; je sais que je l’aurai dans le dos plus tard, patience…
En discutant avec mes poissons pilotes du moment, j’apprends que deux cyclistes réunionnais souhaitent me suivre sur l’intégralité du parcours, Sébastien et Denis, des ultra trailers. J’avais prévu des moments de solitude car j’aime l’introspection, mais devant une telle détermination, je ne peux que les remercier. Ils sont au top, assurant ma sécurité aux traversées de route, indiquant aux véhicules de s’écarter si nécessaire.
Je suis la trace GPS sur le téléphone, pratique, d’autant plus facile qu’il n’y a pas beaucoup matière à se tromper, excepté dans les centre-villes.
La nuit tombe vers 18h, les km s’enchaînent tranquillement mais sûrement. Ma moyenne est stabilisée à 11km/h. La circulation devient moins dense après Saint Benoît, je commence à rentrer dans ma bulle.

Meutes de chiens

Sainte Rose, 60 km, le décor change, végétation plus présente, noirceur totale. Les chiens errants sèment la pagaille, nous attaquant parfois en meute, dont une de dix qui doit avoir laissé des souvenirs à mes accompagnants ! Je suis toujours très régulier. Le relief devient plus marqué, ce que j’accueille avec joie. Je remarque que ma vitesse ne change quasiment pas dans les côtes, petit avantage du trailer ! Moins sympathique est la pluie qui s’abat violemment sans plus prévenir qu’un bref roulement de tambour sur les arbres environnants. En quelques minutes je suis trempé jusqu’aux os ! La tiédeur me décide à rester en tee-shirt. Le gilet jaune que je porte par-dessus pour me signaler me coupe un peu du vent, c’est acceptable.
Chaque 7 ou 8 km je retrouve Anne, Ombeline et sa petite Sauvanne pour un léger ravito et changer ma gourde de boisson Effinov. Entre chacune de ces étapes je mange une petite patate douce blanche salée et une petite banane Péi.

J’aborde la partie que j’attendais avec envie, celle des coulées de lave. Un coup de frontale fait éclater la blancheur des lichens qui recouvrent la roche volcanique. C’est magnifique.
Saint Philippe, Saint Joseph, les 100 km sont atteints en 9h20, puis la symbolique moitié du parcours, 106 km, en 9h53. Les calculs semblent bons pour une arrivée en 20h30. Je reste à l’écoute de mes sensations. J’ai remarqué l’efficacité des Clifton 6 sur le sol dur. Lorsque je change avec une paire plus légère, je perds mon confort musculaire. Malgré tout, ces changements offrent l’avantage de varier mes appuis, ce qui limite les risques d’échauffements et la lassitude musculaire.
Malgré l’heure tardive des coureurs me rejoignent. Nous formons un petit groupe qui doit surprendre les rares automobilistes.
Le dénivelé est parfois bien marqué, surtout avant de basculer sur Petite Île, des kilomètres de montée. La moyenne baisse un peu, mais est vite reprise derrière.

Saint Pierre, je commence à sentir de la casse musculaire aux quadris. Il me reste 85 km, je dois être vigilant. Je me sens en parfaite forme, l’énergie est là. La lutte sera mentale ; faire face aux douleurs musculaires et occulter la distance restante. Je me concentre sur l’instant, je regarde autour de moi, je consulte plus régulièrement la trace GPS, je discute avec les amis. Ici des pancartes en bois indiquant la vente de vanille , là une succession de maisons aux couleurs vives.
Le soleil se lève alors que je traverse Saint Leu. Un beau comité d’accueil m’attend à la pause ravito. Cet enthousiasme communicatif me lance à l’assaut de la dernière longue ligne droite avec un nouvel élan de détermination et de joie. Je sens que le dernier quart du parcours me plaira.
Je passe devant le Vacoa où je séjourne chaque année en octobre. L’Ermitage est un bel endroit pour le repos en bord de mer. L’heure n’est pas encore à la détente ; je salue Yves le maître des lieux venu m’encourager sur le bord de la route et je file vers Saint Gilles à vitesse constante.

La suite se durcit.

La chaleur monte, la route aussi ; je suis dans le secteur pelé de la savane. De grands groupes de cyclistes me croisent ou me doublent en m’acclamant, c’est vraiment top.
Traverser Saint Paul est long. La zone industrielle n’en finit pas. Je garde toujours la même allure ; c’est sans doute dans la tête que les choses se compliquent. Je regarde au loin les bâtiments du Port, ça sent bon l’arrivée.
Il devient plus douloureux de repartir de chaque nouvel arrêt. J’abrège au maximum ces pauses de peur de coincer au redémarrage. De bonne composition, les cuissots acceptent de reprendre leur rythme de croisière !
Un autre moment attendu arrive : l’entrée sur la 4 voies au niveau de la Possession. La stratégie est simple, le petit groupe se serre au maximum à droite et la voiture suit avec les warnings.
Je m’engage donc sur la voie rapide, vent de face, en laissant sur ma droite l’entrée du chemin des Anglais qui m’occupe une heure chaque année lors de la Diagonale des Fous pour rejoindre Grande Chaloupe.
Réaliser que je vais rester sur du plat me conforte dans l’idée que la fin sera facile ; je m’en persuade en me remémorant les passages sur les dalles inégales du sentiers accidenté que j’évite. Comme pour me donner raison, les bornes kilométriques qui décomptent la distance jusqu’à Saint Denis se succèdent, 12 ; 11 ; 10 ; 9,5 ; 9 ; 8,5….

Faible circulation

Le gigantesque pont de la nouvelle route s’étend devant moi. Long de 8 km il défie l’océan sans toutefois avoir l’audace de partir au large, contrairement à celui qui permet de rejoindre Macao depuis Hong Kong, un monstre de 55 km au coût de 17 milliards d’euros. Heureusement, celui que j’observe à la dérobée ne me conduit pas dans l’ancienne colonie portugaise mais bien au Barachois, tout près à présent !
Une voiture d’Antenne Réunion me dépasse et se poste devant moi sur la bande d’arrêt d’urgence pour filmer les derniers instants de ce tour de fou. La relativement faible circulation de ce dimanche matin est rassurante, et la communication de radio Freedom avertit bon nombre d’automobilistes de l’événement ; je suis souvent klaxonné !

Enfin l’entrée du tunnel qui marque la fin de la 4 voies.

Sa traversée est rapide ! L’entrée dans Saint Denis me tend les bras, tout comme les spectateurs qui attendaient mon arrivée ! Je n’accélère pas vraiment, profitant du final, savourant cette victoire sur moi-même, me laissant le temps de réaliser la réussite du challenge : 20h38’10’’ soit 42’ de moins que la précédente marque.
Quel tour ! Quelle différence d’effort avec un ultra montagneux ! Si différent, mais très intéressant à vivre.
Merci infiniment aux personnes qui m’ont accompagné, à ma formidable équipe d’assistantes, à tous ceux qui m’ont encouragé sur place et à distance – vous étiez très nombreux -, sans oublier mes précieux partenaires ; à vous tous vous m’avez donné l’envie et vous m’avez permis de me dépasser !

On me demande souvent les secrets de la constance ; à mon avis ils ne relèvent pas d’une quelconque origine extraterrestre mais plutôt d’une approche raisonnée de notre sport. Préparation douce, alimentation saine, mental solide dont le socle se construit d’une suite d’expériences progressives et réussies. “Qui veut aller loin ménage sa monture” : c’est tellement simple à appliquer ! A la condition d’évaluer correctement son niveau de forme du moment…
J’invite celles et ceux qui ne le connaissent pas encore, à découvrir mon dernier livre “Le plaisir du trail sans contrainte”, dans lequel je partage toutes mes connaissances de la préparation à ces aventures extraordinaires, sans le moindre effort violent, sans risquer la blessure.

Texte: Antoine Guillon
Photo: Pierre Marchal

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