Le 17 octobre, la Diagonale prendra une nouvelle ride. Un sillon profond. Celui qui marque trente années de grandes traversées depuis la Marche des Cimes. Un cap symbolique pour l’un des premiers ultras de la planète trail.

On vous parle d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas ne pas connaître. Lors des trois décennies écoulées, qui à La Réunion n’a jamais entendu parler du Grand Raid ? Probablement personne. Au fil du temps, cette épreuve, qualifiée de démente par de nombreux observateurs, s’est frayée un chemin à la force des mollets dans le cœur des Réunionnais. Et a été adoptée par une île tout entière. C’est ce qui lui confère d’ailleurs cet aspect unique au monde. Chaque saison, depuis 30 ans, quand le départ d’un nouvel épisode est donné, la populace se passionne pour ces héros des temps modernes, mus par un seul but : entrevoir les portes de la délivrance.

Le « Grand Raid », tel qu’on le dénomme depuis 1994, célébrera en octobre sa 27e édition. Mais sans l’imagination débordante et le grain de folie de Jean-Jacques Mollaret, la saga n’aurait peut-être pas existé. Ayant déjà fait sortir de terre, un an auparavant, le Cross du Piton des Neiges, première course de montagne digne de ce nom dans les hauts de Bourbon, le directeur de la Maison de la Montagne voit plus haut. Beaucoup plus loin aussi, en décidant d’organiser la première traversée totale de l’île dans le sens Nord-Sud. Le terme n’existant même pas à l’époque, sans le savoir, le gendarme savoyard échafaude le tout premier ultra de l’histoire de l’île. Et l’un des premiers au monde.

En ce 28 octobre de l’an de grâce 1989, un peu plus de 500 malades mentaux ont répondu à l’appel. Pour la plupart des randonneurs du dimanche. Dans l’assistance, au Barachois, dans une discipline qui n’existe pas encore, les casquettes Sahara et les shorts de bédouins égayent la scène de notes chamarrées. Le défi auquel s’attaquent ces pionniers qui s’ignorent n’a pourtant rien de rigolo. 112 bornes de montagnes russes et 5000 mètres de dénivelé positif les attendent jusqu’au Tremblet. Une large majorité d’entre eux parviendront malgré tout jusqu’au bout. 313 pour être plus exact. Et même si cette Marche des Cimes n’a pas encore la portée médiatique que revêt le GRR aujourd’hui, elle est, et restera à jamais, le point de départ d’une extraordinaire aventure humaine.

L’année suivante, le bébé est repris par Didier Le Méhauté. Via l’entreprise privée Parad’Isles Organisation, la Diag’ vit son premier tournant commercial en étant rebaptisée Grande Traversée. Le nombre de candidats a doublé. Ils ne sont pas loin d’un millier à s’élancer entre Langevin et le Port pour ce premier foot-trip d’une longue série dans le sens Sud-Nord. Trois éditions durant, les vainqueurs de succèdent. Gilles Trousselier, lauréat de la Marche des Cimes et de la Grande Traversée, acte I, passe le relais à Patrick Maffre, gardien de prison aux bacchantes généreuses, en 1991 à Gillot. La Réunion ouvre son compteur. Et Jean-Philippe Marie-Louise double la mise en décrochant la première de ses quatre étoiles à Duparc, en 1992.

De la Pleine Lune à la Diagonale des Fous

La saga Grand Raid débute alors. À sept semaines du départ, Le Méhauté, en proie à quelques soucis financiers, lâche l’affaire. Et c’est Jean-Pierre Charron, directeur technique de la Grande Traversée, qui décide de perpétuer le mouvement en compagnie d’une poignée de passionnés. Le premier opus du GRR sous sa forme associative s’enfantera dans la douleur. Mais il aura le mérite d’exister. Sous l’appellation céleste de Course de la Pleine Lune, on assiste à l’édition la plus confidentielle de l’histoire en termes d’affluence, avec seulement 460 gazés dans les sentiers entre Basse-Vallée et la Possession. C’est seulement l’année suivante que Jean-Pierre Charron, premier des trois présidents qu’a connu l’association, avant Michel Noël et Robert Chicaud, décide de donner à cette harassante traversée le nom de « Grand Raid ».

Un mythe vient de naître. Et l’épopée ne fait que commencer. À grands coups de talons dans les scories, les raideurs vont se succéder, écrivant pas à pas la fabuleuse histoire du GRR. Jusqu’aux années 2000, qui marquera l’entrée dans l’ère moderne, les héros du peuple sont tous issus de l’île au volcan. En 1996, Jean-Philippe Marie-Louise signe un ronflant quadruplé. Il faudra attendre plus de vingt ans pour qu’un vigneron égale l’homme aux quatre prénoms. En 1998, Cléo Libelle connaît enfin la gloire, étrennant de la plus belle des façons la première arrivée de la création au Stade de la Redoute. Après avoir passé dix ans en salle d’attente, le patient Mafatais ne se fait pas prier pour remettre ça dès l’année suivante.

Pour célébrer l’entrée dans le XXIe siècle, une belle histoire unit Thierry Técher au Breton Gilles Diehl, en l’an 2000. En panne de lampe alors qu’il est en tête de la course, le « zorey » est dans le fénoir à la Plaine des Chicots. La grande humanité de Técher, qui sort de l’ombre, éclate au grand jour quand le Saint-Louisien éclaire son chemin avant une arrivée main dans la main. Técher signera le doublé en 2002. Il sera imité quelques années plus tard par deux autres légendes du Grand Raid, Richeville Esparon (2003, 2004) et Pascal Parny (2001, 2008), dernier cabri péi à avoir triomphé sur la Diagonale à ce jour.

Reine Marcelle et Roi Kilian

Si les rois se sont ainsi succédé au palmarès, en 2002, le royaume de Bourbon se trouve une reine en la personne de Marcelle Puy. Déjà couronnée sur le GRR en 1995 – le premier trail du reste de sa vie – la Possessionnaise affole tous les compteurs, sept ans plus tard, en rivalisant avec les hommes. À la Nouvelle, elle émarge en 5e position au scratch, à seulement une heure du leader, Thierry Técher. Elle se classera finalement 10e à la Redoute, signant le premier Top 10 féminin de l’histoire. Une performance que seules les traileuses de dimension mondiale que sont Emilie Lecomte et Andrea Huser parviendront à réaliser, bien des années plus tard. Aujourd’hui, la Reine Marcelle peut dormir tranquille. Avec cinq victoires à la clé, elle trône tout là-haut, un étage au-dessus de D’Haene et Marie-Louise.

Après 2008, La Réunion entame une longue traversée du désert sur ses terres. Une période qui correspond à l’explosion du trail au niveau planétaire. Le Grand Raid s’internationalise et chaque année, eu égard à sa grandissante renommée, ils sont de plus en plus nombreux à venir défier la bien nommée Diagonale des Fous. Véritable marque déposée aujourd’hui, l’expression est née en 1994 sous la plume de Bernard Morin, un journaliste métro. Et colle à la peau du Grand Raid pour l’éternité.

Parmi les visiteurs célèbres, un certain Kilian Jornet enflamme littéralement le cœur de l’île en 2010. D’une facilité déconcertante dans les sentiers, l’ultra-terrestre catalan a la banane tout du long, pendant que ses concurrents tirent la langue en retrait. La « Kilian-mania » s’empare de La Réunion. Disposant d’un statut de demi-Dieu depuis cette première traversée victorieuse, Jornet se trouve une deuxième maison. Il fera définitivement chavirer les cœurs, trois ans plus tard, quand, diminué, il va au bout de l’effort malgré tout en terminant 20e au scratch au bras de sa compagne suédoise, Emelie Forsberg.

Autre monument de l’épreuve, Antoine Guillon sera de nouveau sur la ligne de départ en octobre prochain, pour sa treizième Diagonale d’affilée. Ayant jusqu’ici décroché onze Top 5 en douze tentatives, dont sept podiums et une victoire en 2015, le professeur des sentiers n’a pas fini d’arpenter les chemins mascarins. D’une régularité rare, le nouveau recordman du tour de l’île trône désormais au sommet du classement tout temps du Grand Raid de La Réunion. Et pourrait bien s’y installer ad vitam s’il continue à écrire chaque année un nouveau chapitre dans sa folle entreprise.

Texte: Etienne GRONDIN
Photos: Pierre MARCHAL

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